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Nº 2858 du vendredi 17 août 2012

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Entré clandestinement en Syrie en 1961. L’énigme du commissaire Khairallah

L’affaire du commissaire Emile Khairallah, qui s’est introduit clandestinement en Syrie a occupé les devants de la scène politique durant l’été 1961. Elle a failli envenimer les relations entre Beyrouth et Damas. Retour sur un incident peu connu du public.

 

Le 12 juillet 1961, des nouvelles venues de Damas rapportent que le chef de la brigade criminelle de Tripoli, le commissaire Emile Khairallah, est en état d’arrestation dans la capitale syrienne. Selon la presse damascène, l’officier de police serait entré clandestinement en Syrie et les autorités syriennes ont ouvert une enquête après l’avoir accusé d’espionnage et de préparation d’un acte répressible contre le pays. Elles ont annoncé qu’il sera jugé en Syrie.
Aussitôt, une réunion d’urgence se tient entre le président de la République, Fouad Chéhab, et les services de sécurité, pour décider de la meilleure attitude à adopter. Il a été convenu d’accuser le commissaire Khairallah d’avoir outrepassé les consignes et de s’être introduit dans un pays voisin sans permission. Le procureur Georges Mallat est chargé de suivre l’affaire. Il avise les autorités syriennes de l’accusation adressée à Khairallah, mais la Syrie refuse malgré cela de le livrer aux autorités libanaises.
Le commissaire Farhat est alors dépêché à Damas, mais les responsables syriens expliquent que Khairallah se trouvait en sa qualité de civil en Syrie, sans mandat officiel, et sans avoir prévenu les autorités syriennes. Damas promet de le relâcher quelques jours plus tard, mais la consternation augmente à Beyrouth avec l’annonce que Khairallah sera jugé cette fois pour espionnage en faveur d’Israël.
Des manifestations éclatent alors dans certaines régions libanaises, notamment à Bhamdoun, ville natale du commissaire Khairallah. Les habitants essayent de couper les routes, mais les forces de sécurité interviennent. La situation s’aggrave et tout le monde attend les résultats des contacts établis avec la  capitale syrienne. L’affaire suscite une tension générale et certains dirigeants réclament l’ouverture d’un consulat libanais à Damas.

Fouad Chéhab intervient
Finalement, le président Fouad Chéhab décide d’intervenir en personne. Il contacte les responsables syriens et leur demande de remettre le commissaire Khairallah aux autorités libanaises afin de le poursuivre et de le juger selon la loi libanaise. Damas répond positivement à cette requête et livre le commissaire Khairallah, le 30 juillet. Une unité syrienne le remet à la frontière à des agents des services de renseignements de l’Armée libanaise.
Le commissaire est déféré devant un conseil de discipline pour avoir agi sans mission, et devant le Tribunal militaire pour répondre des accusations d’espionnage portées contre lui par Damas. Quand on lui demande les raisons qui l’ont poussé à se rendre en Syrie, il répond qu’il l’a fait pour des raisons personnelles. Il est entendu par le Tribunal militaire dans le plus grand secret. Aucune information ne filtre afin d’éviter les possibles répercussions sur la situation interne, le Liban se relevant à grand-peine des événements sanglants de 1958. Il a été convenu de clore l’enquête avant de communiquer au sujet de l’affaire.
Quelques jours plus tard, le dossier est transféré au juge d’instruction. Le magistrat estime que le commissaire a outrepassé les ordres. L’affaire est purement administrative, et il n’y a donc aucune raison de le maintenir en état d’arrestation. Cependant, étant donné l’ampleur de la polémique et la position de la Syrie, l’officier de police reste en état d’arrestation pour préserver les bonnes relations entre les deux pays.
Le ministre de la Justice de l’époque, Fouad Boutros, estime que les actes commis par le commissaire Khairallah ne méritent pas de le laisser en état d’arrestation, qu’il valait mieux le relâcher et le mettre à la disposition de ses supérieurs directs à la Sûreté générale. Toutefois, le commissaire devait rester en prison quelques jours supplémentaires afin de calmer les esprits, avant d’être libéré. Il a écopé de sanctions disciplinaires.
Une affaire bien simple, mais qui a failli dégénérer et prendre une grande dimension de crise entre le Liban et la Syrie.

A.K.

N.B: Les sources du texte sont retirées du Mémorial du Liban-mandat du président Fouad Chéhab de Joseph Chami et du livre Les mémoires d’un magistrat de Georges Chibli Mallat.

 

 

 

Mallat se souvient
Le procureur Georges Mallat raconte qu’il a reçu un coup de fil du président Fouad Chéhab lui demandant de maintenir Emile Khairallah en état d’arrestation pour quelques jours, le temps que la tempête se calme. Il lui dit: «Peu m’importe si Khairallah dort quelques jours en prison, pourvu que le citoyen libanais dorme».

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