Magazine Le Mensuel

Nº 2863 du vendredi 21 septembre 2012

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350000 fidèles au rendez-vous. Piété, dévotion et ferveur

Le 16 septembre, Beyrouth est en ébullition pour accueillir, sur le front de mer au centre-ville, la messe dominicale du Saint-Père Benoît XVI. L’instant est historique, quinze ans après le voyage du pape Jean-Paul II au Liban. Dans un contexte d’instabilité régionale, le souverain pontife délivre un message de paix et rassure les fidèles.

Dans les rues d’Achrafié, habituellement si calmes le dimanche, une atmosphère de piété et de dévotion se dégage dans l’air. En cette matinée, adieu les habits du dimanche, il s’agit aujourd’hui de se préparer pour le prochain Marathon de Beyrouth. Enfin presque. Chaussures de sport et pantalons décontractés sont de rigueur pour affronter les 3 kilomètres de marche qui séparent la place Sassine du Front de Mer. Pour célébrer la messe avec le Saint-Père, les chrétiens du Liban se sont mobilisés en masse. Pas besoin d’indication, il suffit de suivre le mouvement. Des centaines de personnes convergent vers le même objectif. Plus le but se rapproche, plus la marée humaine prend vie, comme les différentes ramifications d’un même fleuve qui se dirigent vers la mer.
Au niveau de la place de l’Etoile, un jeune homme avance d’un pas décidé. «Je vais à la messe du pape pour montrer qu’il y a encore des chrétiens au Liban», clame-t-il. Sur la ligne droite finale, la densité de la foule est particulièrement compacte. La pente de la rue du général el-Hajj permet d’entrevoir l’étendue des fidèles, des dizaines de milliers de taches blanches, même couleur que la casquette officielle vissée sur la tête. L’entrée du site est signalée par la présence d’une grande banderole à l’effigie de Benoît XVI, où les deux mots «Pax Vobis» (la paix est avec vous) sont inscrits. Les corps se rapprochent, côte à côte pour amorcer une dernière poussée. Mais le mouvement se fige, la foule s’arrête pour acclamer le passage de la papamobile. «Le Saint-Père est le représentant de tous les chrétiens, explique Bernard, la soixantaine. En tant que catholique, je me devais de venir l’accueillir avec tous les honneurs qu’il mérite. Je ne sais pas si son discours sera d’ordre religieux ou politique, mais il ne peut être que bénéfique», souligne-t-il.

Huit portiques de sécurité
Une fois passé l’un des huit portiques de sécurité en direction du parterre, le doux chaos fait place à l’organisation. Les fidèles sont réparties en différentes zones, plus ou moins accessibles, nécessitant parfois la présentation d’un sésame. Un prêtre, habillé de sa traditionnelle soutane noire se dirige vers l’estrade papale en forme de cèdre. D’une voix apaisée, il assure que la présence du Saint-Père «est une bénédiction pour toutes les Eglises d’Orient. Quel que soit son message aujourd’hui, il me parviendra de toute façon».
Des chants religieux remplissent l’attente et le flux de pèlerins prend place sur des chaises en plastique. Le début de la messe ne souffrira d’aucun retard et commencera à 10h, lorsqu’un brouhaha se fait sentir et que le Saint-Père arrive finalement.
Le premier à prendre la parole est le patriarche maronite Béchara Raï. Il remercie le souverain pontife pour son voyage «porteur d’indications d’ordre spirituel, ecclésial et humain», dans un contexte moyen-oriental de  transformation radicale menaçant la stabilité de la région. «Le Synode des évêques pour le Moyen-Orient nous a introduits au cœur d’un printemps spirituel chrétien, que nous considérons voulu par la Providence divine comme anticipatoire et préparatoire du printemps arabe désiré, déclare-t-il. Avec votre Sainteté, nous prions pour que les événements sanglants, les manifestations en cours et les sacrifices se transforment en un enfantement qui donnerait naissance à ce printemps». Rappelant que la paix «juste et globale» au Moyen-Orient est intrinsèquement liée à la résolution du conflit israélo-palestinien et israélo-arabe, le patriarche conclut en s’adressant une nouvelle fois au Saint-Père. «Votre voyage est une soupape de sécurité en ce temps d’instabilité pour un peuple chrétien qui, fidèle aux promesses de son baptême, lutte pour confirmer son enracinement en sa terre, tout en étant conscient de l’énormité des multiples défis», affirme-t-il.
Une voix s’élève alors pour demander aux 350000 fidèles de respecter la bienséance de la messe, excluant toute manifestation de joie, un tant soit peu, trop bruyante.
«Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit», résonne la voix du Saint-Père. Les quelques écrans géants dispersés sur le front de mer, relayant les images de la messe, permettent de constater que même le président Michel Sleiman n’a pas échappé au port de la casquette blanche. On peut tout de même regretter que les paroles du Pape n’aient pas été traduites en arabe tout au long de la messe.
«Béni ce jour, où j’ai la chance d’être au Liban, reprend Benoît XVI. Je vous salue tous avec grande affection, chers frères et sœurs du Liban et aussi des pays de toute cette région bien-aimée du Moyen-Orient». Lors de son homélie, Benoît XVI souhaite revenir sur l’évangile de Saint-Marc, interrogeant sur la véritable identité de Jésus, «un Messie souffrant, un Messie serviteur et non un libérateur politique tout-puissant». «Servir la justice et la paix, dans un monde où la violence ne cesse d’étendre son cortège de mort et de destruction, est une urgence afin de s’engager pour une société fraternelle, prévient-il. Je prie particulièrement le Seigneur de donner à cette région du Moyen-Orient des serviteurs de la paix et de la réconciliation pour que tous puissent vivre paisiblement et dans la dignité, poursuit-il. Je vous appelle tous à œuvrer pour la paix. Votre souffrance n’est pas vaine. Le Christ Serviteur se fait proche de tous ceux qui souffrent. Soyez remplis d’espoir à cause du Christ. Que Dieu bénisse le Liban, qu’il bénisse tous les peuples de cette région bien-aimée du Moyen-Orient et leur fasse le don de sa paix».

Evénement spirituel
Un silence s’impose pour la méditation personnelle. Ziad s’est assis au calme, au fond de l’assemblée. «Il y a plusieurs raisons à ma venue, explique-t-il. C’est tout d’abord un évènement spirituel. Et puis, nous devons montrer que les chrétiens sont là, toujours présents dans la région», ajoute-t-il, le discours papal de la veille toujours en tête avec son emblématique: «n’ayez pas peur». Pour le jeune homme, il n’y a pas de doute, les chrétiens du Liban ont montré aujourd’hui qu’ils étaient au rendez-vous. «Il y a beaucoup de personnes, sûrement plus que ne l’espéraient les organisateurs», se réjouit-il.
Le soleil tape de plus en plus fort mais les fidèles sont toujours là, attentifs, bravant les diktats de l’astre. Certains ne résistent d’ailleurs pas à la chaleur malgré la distribution gratuite de bouteilles d’eau. Trop débordée pour entendre le message du pape aujourd’hui, Cynthia, membre des Scouts du Liban, a tout de même un commentaire à faire partager. «Pour nous, sa visite est très importante, il représente Jésus», s’exclame-t-elle.
Bientôt, une farandole de parasols blancs se frayent un chemin dans la foule. Des dizaines de prêtres s’enfoncent dans la marée humaine pour partager, avec les oisillons de l’Eglise, le Corps du Christ.
La messe est presque finie. Avant de bénir la foule une nouvelle fois, le Saint-Père revient sur la situation en Syrie et au Moyen-Orient. «Vous connaissez bien la tragédie des conflits et de la violence qui génèrent tant de souffrances. Malheureusement, le bruit des armes continue de se faire entendre, ainsi que le cri des veuves et des orphelins. Pourquoi tant d’horreurs ? Pourquoi tant de morts, s’insurge-t-il. J’en appelle à la communauté internationale. J’en appelle aux pays arabes afin qu’en frères, ils proposent des solutions viables qui respectent la dignité de chaque personne humaine, ses droits et sa religion. Qui veut construire la paix doit cesser de voir dans l’autre un mal à éliminer», assure-t-il sans détours en terminant par ces quelques mots remplis d’espoir: «puisse Dieu concéder à votre pays, à la Syrie et au Moyen-Orient le don de la paix des cœurs, le silence des armes et l’arrêt de toute violence. Puissent les hommes comprendre qu’ils sont tous frères».
Dans le quartier VIP, tout près de la tribune papale, les fidèles s’agitent. Ils le savent, la papamobile va bientôt apparaître pour ramener le Saint-Père. Les drapeaux jaunes et blancs du Vatican s’entremêlent dans le vent avec celui du Cèdre. Plus personne n’est assis, les chaises ont été prises d’assaut pour prendre de la hauteur, autant par les jeunes que les moins jeunes. Benoît XVI salue ses pèlerins et s’en va vers d’autres horizons. Dans l’assemblée, une jeune femme crie de toutes ses forces: «Viva el-Baba». L’émotion est palpable. A côté d’elle, Nadine reste tout de même pragmatique. «Aujourd’hui est un jour de fête, lance-t-elle, mais il faudra que l’Eglise continue de suivre le message de Paix délivré par le Pape».

Delphine Darmency
 


Le Synode des évêques
Le Synode des Evêques pour le Moyen-Orient est une assemblée, qui s’est tenue à Rome du 10 au 24 octobre 2010, portant sur la présence des chrétiens et de leur mission dans cette région.
«Ce Synode nous a placés, nous les chrétiens de cette région, en face de nous-mêmes, de l’Eglise et de Dieu. Il nous a appelés à un réexamen de vie et à un examen de conscience, au sujet de notre vocation et notre mission dans notre monde arabe et oriental», précise le patriarche Raï pendant la messe papale.

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