Magazine Le Mensuel

Nº 2869 du vendredi 2 novembre 2012

Editorial

Remake impossible

Pour des raisons aussi nombreuses que variées, l’échec du 14 mars à rééditer, en 2012, le scénario de 2005, n’a rien de surprenant.
A tous les égards, les circonstances sont, aujourd’hui, complètement différentes de celles qui prévalaient il y a sept ans.
Premièrement, Michel Sleiman n’est pas Emile Lahoud: le président de la République jouit d’un fort soutien de la part de la communauté internationale, alors que son prédécesseur était isolé et boycotté. Le chef de l’Etat a une plus grande marge de manœuvre, ses avis sont écoutés, ses positions au sujet des questions intéressant l’Occident sont nuancées, même s’il a su préserver un équilibre savamment dosé qui lui évite de rompre les ponts avec qui que ce soit.
Deuxièmement, Najib Mikati n’est pas Omar Karamé: l’actuel Premier ministre est un centriste, alors que son prédécesseur est un pro-syrien déclaré. En finançant le TSL et en assurant un filet protecteur au dispositif juridico-sécuritaire proche du Courant du futur, que le 8 mars souhaitait démanteler, le chef du gouvernement a su prouver à l’Occident qu’il n’est pas une marionnette entre les mains du Hezbollah. Mais, dans le même temps, il a su conserver une relation de confiance minimale avec le Parti de Dieu. S’il ne jouit pas d’un soutien absolu et inconditionnel de la part des acteurs régionaux et internationaux, il ne subit pas, non plus, leurs foudres. Cette équation lui a permis de garder toutes les portes entrouvertes et de naviguer entre les écueils.
Troisièmement, Barack Obama n’est pas George W. Bush: il n’est plus besoin de disserter sur les échecs retentissants et ô combien coûteux pour l’Amérique de l’ancien locataire de la Maison-Blanche. Barack Obama est venu pour clore le chapitre des guerres et non pas pour en faire de nouvelles. Jeffrey Feltman, qui connaît sur le bout des doigts le dossier libanais, et qui était le principal soutien du 14 mars, n’est plus au département d’Etat.
Si, en 2005, Washington et l’Europe voulaient en découdre avec Bachar el-Assad au Liban, aujourd’hui, ils jouent à quelques kilomètres de son palais présidentiel. Et ils ont tout intérêt à préserver la stabilité du Liban car l’installation du chaos dans ce pays détournerait l’attention du dossier syrien et permettrait au régime syrien d’évacuer son problème vers l’extérieur.
Quatrièmement: Wissam el-Hassan n’est pas Rafic Hariri: l’ancien Premier ministre était un homme d’une envergure internationale, c’était un chef politique de premier plan qui possédait un charisme incontestable. Son assassinat a constitué un véritable choc qui a eu un effet mobilisateur et rassembleur, d’autant qu’il intervenait dans un contexte historique et politique marqué par un bras de fer avec la Syrie autour de la prorogation du mandat du président Lahoud.
En dépit des qualités qu’on peut reconnaître au général Wissam el-Hassan, son assassinat ne pouvait en aucun cas jouer le même rôle mobilisateur.
Cinquièmement, le 14 mars n’est plus ce qu’il était: en 2005, Walid Joumblatt était considéré comme l’âme du 14 mars, son catalyseur, son fer de lance. Aujourd’hui, le leader druze s’est résolument positionné au centre pour une multitude de considérations qu’il serait trop long d’énumérer ici.
Najib Mikati et Mohammad Safadi faisaient bloc, bon gré mal gré, derrière le Courant du futur. Aujourd’hui, ils s’en sont éloignés et revendiquent une identité politique qui leur est propre.
Bkerké était un soutien infaillible du 14 mars. Actuellement, l’Eglise maronite se distingue nettement de cette coalition sur presque tous les dossiers. Elle soutient le dialogue initié par le chef de l’Etat, elle donne la priorité à la stabilité et redoute plus que tout le vide politique et constitutionnel, elle prône prudence et retenue dans le dossier syrien.
En 2005, les divergences entre les différentes composantes du 14 mars, même si elles existaient, n’étaient pas perceptibles car tous étaient unis pour atteindre un seul objectif: le retrait des troupes syriennes. Aujourd’hui, les «différences d’opinion» entre, par exemple, le parti Kataëb et le secrétariat du 14 mars, ou entre les Kataëb et les Forces libanaises, sont remontées à la surface.
Sixièmement: en 2005, le Courant patriotique libre était un des piliers du 14 mars et 90% des chrétiens s’identifiaient à ce mouvement. Après la signature du document d’entente entre le Hezbollah et le CPL, on ne peut plus en dire autant.
Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres encore, le remake de l’intifada de 2005 était voué à un échec certain. Et il est malheureux que les ténors du 14 mars, pourtant rodés à la politique, n’aient pas su mesurer à quel point les deux tableaux sont incomparables. Ils sont tombés dans le piège des apparences, qui n’ont jamais été aussi trompeuses.

Paul Khalifeh

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