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Nº 2881 du vendredi 25 janvier 2013

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1650 jeunes d’OffreJoie à la tâche. La rue Ibrahim Mounzer réhabilitée

Cela faisait deux mois et demi que les habitants de la rue Ibrahim Mounzer n’étaient pas rentrés chez eux. Vu l’étendue des dégâts, deux mois et demi seulement tiennent du miracle, celui réalisé par un groupe de 1650 jeunes qui ont carburé à la solidarité.

Dans la rue Ibrahim Mounzer, rien n’est plus tout à fait comme avant. Un 19 octobre 2012, tout Achrafié a tremblé. A 14h50 précises, femmes, hommes, petits, grands, musulmans, chrétiens, bouddhistes, pauvres, riches, jeunes ou vieux, tous ont été atteints dans leur chair. Dans les rues, certains sont hébétés, d’autres affolés ou incrédules, certains cherchent à rentrer chez eux au plus vite, d’autres tentent une approche de la rue Ibrahim Mounzer. Les flammes font rage, les blessés sont évacués par des proches ou des passants. Les télévisions locales retransmettent en direct des heures d’images tragiques de désolation, des corps ensanglantés, des façades éventrées.
A quelques kilomètres de là, OffreJoie s’évertue à faire briller les locaux de la prison de Aley, après deux mois de travail de rénovation. A son habitude, l’association insuffle une seconde vie à tout ce qu’elle touche. «Le lendemain, nous devions rendre la prison au ministère de l’Intérieur, se souvient Melhem Khalaf, considéré par tous les bénévoles comme leur père. A 15h, nous finissions de poser une télévision. Première image, celle de l’attentat d’Achrafié». Coup du sort, du destin ou de massue pour ces bénévoles certains que «notre souffle sera plus long que le leur».

Des volontaires par centaines
«Trois jours plus tard, à peine, les jeunes commencent à s’appeler, ils voulaient aider. Il fallait être patient et attendre la fin de l’enquête. Si l’on devait prendre une décision, il me fallait un engagement fort de leur part et des volontaires en nombre, sinon tout le monde retournait à l’université. J’avais un doute, avoue-t-il. Le projet était presque impossible, le chantier était énorme et les jeunes n’étaient plus en vacances. Au fond de moi-même, j’espérais qu’on puisse le faire mais je voulais que les jeunes prennent la décision». On n’arrêtera pas de le répéter, impossible n’est pas dans le lexique d’OffreJoie. En quelques instants, une soixantaine de personnes étaient déjà au garde-à-vous.
Quatre jours après la création d’une page Facebook appelant les bénévoles à se manifester, 400 avaient déjà répondu présents; une semaine plus tard, ils étaient 800. «Nous avons alors décidé de prendre le chantier en main», déclare Marc Torbey, responsable de la mission d’Achrafié. Le jeune banquier de 25 ans a connu OffreJoie à l’âge de 9 ans, à travers des colonies de vacances puis des chantiers de rénovation. Rapidement, il devient chef d’équipe puis de chantier à 18 ans. «Il y a beaucoup à faire au Liban, la misère est partout, souligne-t-il. J’ai vu, à travers les chantiers, beaucoup de choses dont j’ignorais l’existence. Une fois que vous êtes conscient que les gens ont besoin de vous, vous ne pouvez pas ne pas y aller».
Alors, dès que les habitants obtiennent l’autorisation de retourner chez eux, les bénévoles sont présents pour déblayer les accès et les aider à regrouper leurs affaires. Lorsqu’une dame de 80 ans sort de son appartement dévasté, surchargée de sacs et secourue par des bénévoles à l’affût, épuisée, elle lance: «Ils voulaient nous tuer mais ils ne savaient pas que nous avions des anges comme vous».

De toutes les professions
En parallèle, des contacts sont pris avec des ingénieurs volontaires, parmi lesquels le doyen de la faculté d’Ingénierie de l’USJ, Fadi Geara, Georges Arbid, professeur d’architecture de l’AUB, Georges Najem, ingénieur habilité par l’Etat, Walid Daloul ou encore Nassib Nassar de la société d’audit Apave. «Tous ont répondu présents sur-le-champ, précise Melhem Khalaf. Nous avions ainsi une légitimité d’expertise». Le jour même, le 25 octobre, un rendez-vous est pris avec le ministre de l’Intérieur pour assurer notamment la coopération du Mouhafez et de la municipalité de Beyrouth. L’expertise des besoins du chantier en main, les contacts avec les professionnels du secteur de la construction s’accélèrent. «Nous avons tout d’abord choisi de nous concentrer sur les parties communes de quatre immeubles de la rue (cages d’escalier et façades), limités par nos capacités», reprend-il. Les donations en nature affluent alors, des échafaudages offerts par André Hakimé aux vitres de Glassline, en passant par l’aluminium fourni par Catafago ou encore des quarante tonnes de ciment pourvues par Pierre Doumit de la cimenterie nationale, pour ne citer qu’eux. Le 31 octobre, les bénévoles d’OffreJoie sont sur place, tous dotés d’une assurance vie gratuite, obtenue par Jacques Sassi (UCA). L’opération est lancée et les volontaires arrivent des quatre coins du pays, notamment à travers des actions collectives coordonnées par des écoles: de Tyr, du Akkar (l’école de l’imam Sadr, de Jamhour, du Lycée français, des Makassed, du Saint-Cœur, du Collège Protestant, de Louise Wegmann, etc).
«Sur le terrain, nous avons réparti les lycéens en équipes, explique Marc Torbey. Leurs témoignages sont très significatifs. Ils ont pris conscience que ces autres, qu’ils sentaient très loin d’eux, d’après leurs mots, existaient: «Nous ne pensions pas que nous pourrions être amis mais cela n’a pas été compliqué». C’est un des buts essentiels d’OffreJoie, reprend le jeune chef de projet. Ils m’ont émerveillé. Qu’ils viennent une ou plusieurs fois, ces jeunes laissent leurs traces, ils nous ont beaucoup appris».

Deux jeunes Françaises
A quelques milliers de kilomètres de là, en France, Floraine et Margaux, tout juste revenues de mission d’OffreJoie, ont du mal à tenir en place. «On ne pouvait pas rester assises chez nous à regarder les infos», réagit Floraine, 23 ans. «OffreJoie c’est notre deuxième famille, renchérit Margaux, 20 ans. Il y a un lien très particulier entre nous, les gens sont si généreux et accueillants». Elles stoppent net leurs activités et plient bagage, direction Achrafié. «C’est un élan du cœur, je ne voulais pas être ailleurs qu’ici, atteste Floraine. L’énergie d’OffreJoie est communicative et nous sommes là pour en donner. Enfin, nous pouvons agir. Il n’y a pas de limite pour faire du mieux possible. Les traces de l’attentat vont être effacées, c’est une alternative à la violence et c’est ce qui compte. Notre action est de montrer qu’un idéal est possible. Tout le monde devrait faire pareil. Nous avons tous un but qui nous dépasse», affirme-t-elle.
Pas moins de 1650 bénévoles se relayent, selon leur disponibilité, au chevet des immeubles meurtris. L’organisation d’OffreJoie a de quoi faire pâlir plus d’une institution, à commencer par l’Etat, quasiment absent. Des équipes, épaulées par des ouvriers qualifiés, se relaient matin, midi et soir jusqu’à minuit. Une fourmilière de bonnes intentions qui ponce les murs, peint, déblaie les gravats ou encore déplace des parpaings. Une soixantaine de bénévoles dans la semaine et parfois plus de 200 les week-ends et jours fériés. «L’organisation est très importante, il ne faut pas gaspiller l’effort des bénévoles», assure Marc Torbey.

La récolte du Marathon
Le Marathon de Beyrouth, représenté par May el-Khalil, arrive sur le chantier avec une bonne surprise. A travers son téléthon en faveur d’Achrafié, quelque 240000$ ont pu être récoltés, à quoi s’ajoute une multitude de donations, en tout et pour tout 300000$, permettant de payer les ouvriers qualifiés et de rénover l’intérieur des quelque 51 appartements à la charge d’OffreJoie. «Nous avons été témoins de la plus belle des choses qui soit, une solidarité d’un tout autre calibre. Ils ont tous été extraordinaires au point qu’on ne peut l’exprimer, se félicite Melhem Khalaf. Un signe de grande espérance. Un jour, continue-t-il, une vieille femme est venue nous demander combien nous étions. Elle voulait deux jeunes pour l’aider. Elle est allée dans une pâtisserie acheter 160 gâteaux pour l’équipe puis elle a disparu». Plus de 71 sponsors ont participé à l’effort de rénovation chacun à son niveau. Nombre de restaurants ont, ainsi, livré les repas des volontaires. «La reconnaissance des gens, cette satisfaction morale est une irremplaçable récompense, certifie Marc. Lorsque vous savez que vos efforts vont apporter une différence, l’implication devient une question de responsabilité».
Aujourd’hui, tout est prêt et de quelle magnifique manière. L’immeuble le plus près de l’attentat a subi un ravalement intégral de la façade, des fondations aux robinets, tout est neuf. Les habitants ont commencé à se réapproprier les lieux. Thérèse vient juste de réaménager. «Sans OffreJoie, nous serions revenus chez nous dans dix ans», déclare-t-elle. Quelques mètres plus loin, Marc est en pleine discussion avec une autre habitante à propos d’une finition fortuite. «Même si les habitants sont parfois exigeants et qu’ils s’arrêtent sur la forme d’un robinet, remarque-t-il, amusé, c’est qu’ils ont oublié ce qui s’est passé. Si ça les aide, nous faisons notre possible pour les satisfaire. Si ça les rend heureux, notre but ultime est atteint. Nous pouvons prendre nos affaires et rentrer chez nous avant de repartir pour être utiles ailleurs». Et comme l’assure Margaux, «s’il y a encore des destructions, nous reconstruirons indéfiniment. On ne se lassera jamais».
Comme aime à le dire le père de tous ces bénévoles, «seuls les actes comptent». D’un optimisme à toute épreuve, Melhem Khalaf tient à mettre en exergue l’importance de la patrie. «Sans sa force, on ne peut pas comprendre le Liban. Les jeunes sont loin de l’échec de l’Etat. Si on gagne la patrie, on rétablit l’Etat. Il faut avoir confiance. Si on arrive à mobiliser 1600 jeunes, c’est que la patrie est en bonne santé. Et 1600 jeunes, c’est 1600 familles à qui il faut tirer le chapeau bien bas. C’est notre fierté. C’est un beau ciment pour ce pays. C’est un nouveau modèle d’un pays qui doit se bâtir».
Quant à Marc Torbey, il souhaite ajouter que «quand un espace de solidarité est créé, les gens travaillent ensemble, parce qu’il y a un espoir. S’il n’y avait pas eu OffreJoie, ces 1650 personnes n’auraient pas su comment apporter leur soutien. N’oublions pas que l’union fait la force».

Delphine Darmency

 

La réponse…
«Le chantier d’Achrafié c’est avant tout une aventure de jeunes qui donnent l’exemple. La mayonnaise a pris. Ce chantier est une réponse aux criminels. Notre souffle sera plus long que quiconque. C’est une réponse à tous ceux qui critiquent l’implication des jeunes d’aujourd’hui. Quand on a des jeunes de ce calibre, personne n’a le droit de les critiquer. C’est une réponse enfin aux défaitistes qui pensaient que nous allions mettre deux ans pour rénover ces immeubles avec un budget de 1,8 million de dollars. Le travail a été accompli en moins de deux mois avec 300000 $». Melhem Khalaf

Renaître de ses cendres
19 octobre 2012, 14h50, un bruit effrayant retentit dans Achrafié, celui de l’explosion d’une bombe plantée à deux pas de Sassine.
Elle fait peur cette bombe, surtout à deux minutes à pied de chez vous. Avant, je sentais que tout ce chahut politique était loin, simplement à la télévision, que les affrontements ne s’enflammaient que là-bas, pas ici. Aujourd’hui, ma désillusion est forte. Je ne me sens plus vraiment en sécurité dans mon propre pays, mon cocon protecteur.
Les taches de sang, de mains, dessinant une course effrénée, maladroite, vers la sortie, donnent des frissons. Tous ces murs écroulés, ces vitres brisées, ces objets si personnels, si vivants, tués par l’avidité du pouvoir. Cette poupée démembrée dans le coin, par terre, noire de suie, est-ce sa faute? Est-ce ma faute? Alors pourquoi en regardant ces vestiges, je revois encore et encore les mêmes scènes apocalyptiques qui me hantent ? En observant mieux, vous pourriez voir des restes de chapelets, témoins de la bêtise humaine devant laquelle même Dieu ne peut rien faire.
Tout ceci pousse à se poser toutes sortes de questions sur nous, notre pays, l’existence, la chance, le hasard: où va-t-on dans ce pays qui ne fait que tourner en rond? N’ont-ils pas assez de sacrifier des innocents qu’ils sont censés servir? Et si j’étais là-bas ce jour-là? Et si un de mes proches était mort? Plein d’incertitudes face à une simple vérité: il faut changer ça!
Aujourd’hui, en tendant l’oreille, on peut entendre le craquellement du papier de verre, le claquement des échelles, les rires des jeunes volontaires d’OffreJoie, leurs chants, leurs pensées insouciantes et frivoles.
A nous, citoyens de demain, de donner au Liban la chance de renaître de ses cendres tel un phoenix et de lui faire déployer ses ailes pour qu’il atteigne enfin son but ultime d’excellence et de paix.
Lana Abi Rached, 17 ans, novembre 2012.

 

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