Magazine Le Mensuel

Nº 2886 du vendredi 1er mars 2013

à la Une

La guerre continue. Jusqu’au dernier Syrien

Tout au long des trois derniers mois, les groupes extrémistes salafistes ont supplanté les milices de l’Armée syrienne libre (ASL). Mais leurs récentes percées militaires dans quelques poches isolées, au nord-est de la Syrie, contrastent drastiquement avec leur recul dans le reste du pays, où l’armée consolide son contrôle sur presque la totalité des grands centres urbains.

A Damas, la vie poursuit son rythme normal malgré la crise qui frappe le pays depuis bientôt deux ans. A part les barrages militaires, qui contrôlent l’accès aux principales artères de la ville, la capitale syrienne offre la scène d’une métropole relativement calme. Par moments, des tirs de l’artillerie lourde et la détonation d’une bombe résonnent au-dessus de la ville, mais celle-ci est loin d’être assiégée. Depuis décembre, une importante contre-offensive gouvernementale a repoussé partout les brigades islamistes autour de la capitale, notamment dans la zone de la Ghouta par laquelle passe la route de l’aéroport. Mais celle-ci reste dangereuse en raison de la présence de snipers isolés.
Fin novembre, les milices islamistes Ahfad al-Rassoul, Dareh al-islam, Souqour al-Sham, Ahrar al-Sham et Liwaa al-Fourqan, lançaient une vaste offensive dans les faubourgs de l’est de la capitale, en coordination avec les jihadistes de la puissante milice Jabhat al-Nosra au Sud, dans l’espoir d’encercler et d’investir Damas. Des sources concordantes parlent de 30 000 à 40 000 rebelles mobilisés pour cette bataille, qualifiée de «décisive» par les milieux de l’opposition. Les banlieues de Douma, Harasta, Aqraba, Chebaa, Saqba et Zamalka à l’est, ainsi que les quartiers de Sit Zeinab, Tadamon, Hajar al-Aswad, Daraya et Moaddamiyeh au sud et à l’ouest, tombaient aux mains des combattants salafistes, prélude à la chute imminente de la ville. Dépêchée sur les lieux pour empêcher l’encerclement de la capitale, l’armée syrienne, soutenue par la puissante Garde républicaine, lance une vaste contre-attaque et inflige un sérieux revers aux rebelles, qui ne se remettront plus de leurs pertes. Plusieurs centaines −voire milliers − de combattants syriens et étrangers sont tués dans cette offensive, qui marque un véritable tournant dans la guerre. La métropole damascène est pacifiée, à l’exception des banlieues de Daraya, Douma et Jobar, où sont retranchés quelques centaines d’irréductibles jihadistes qui agissent en bandes évanescentes et mènent une guerre de guérilla contre l’armée, n’hésitant pas à avoir recours aux attentats suicide.
 

L’armée contrôle les zones urbaines
Le retour de l’armée dans les banlieues sud, est et ouest de Damas s’est accompagné d’une reprise des derniers bastions rebelles dans la ville centrale de Homs, où les destructions provoquées par la violence des combats de l’hiver dernier n’ont pas empêché le retour partiel des habitants et la réouverture des institutions publiques, notamment les écoles et les universités. En contrôlant Homs, ainsi que l’autoroute stratégique qui la relie à la capitale, les troupes syriennes garantissent une continuité territoriale cruciale entre le Nord et le Sud, ainsi que l’ouverture des lignes de ravitaillement entre les villes portuaires de Lattaquié et Tartous vers le sud du pays. De la province de Lattaquié et celle de Hama au Nord, jusqu’à Soueida au Sud, en passant par Tartous, Homs et Damas, la moitié de la Syrie connaît un retour à la normale.

 

Difficultés au Nord
Seules quelques poches contrôlées par des milices turkmènes dans les localités de Haffeh et Salma résistent aux troupes gouvernementales au nord de Lattaquié. Il en est de même pour la brigade al-Farouk, implantée dans les zones rurales de Hama et Homs (dont Rastan et Qussair). A ces groupes, s’ajoutent les cellules du réseau salafiste Jabhat al-Nosra, proche d’al-Qaïda, ainsi que des jihadistes internationaux (dont beaucoup transitent par le Liban) et implantés dans les villages syriens frontaliers.
Plus au sud, une grande partie de la province de Deraa échappe toujours au contrôle de l’armée. A l’exception de la ville de Deraa, chef-lieu de la province qui porte le même nom, l’armée reste absente des zones rurales où Jabhat al-Nosra a réussi à supplanter les factions de l’ASL.
 Contrairement à l’axe Lattaquié-Soueida, les zones du Nord qui longent la frontière turque s’imposent comme un véritable défi aux troupes gouvernementales. Depuis l’offensive des milices islamistes du Liwaa al-Tawhid contre Alep, en juillet dernier, près de la moitié des habitants de la métropole ont fuit la ville pour se réfugier dans les zones contrôlées par l’armée. Le régime a perdu le contrôle des zones rurales du nord d’Idlib et Alep (notamment la ville d’Azaz), ainsi que quatre postes-frontières tenus désormais par des milices salafistes, souvent en désaccord entre elles. La proximité de ces zones avec le territoire turc, véritable base arrière aux jihadistes syriens et étrangers, complique la tâche de l’armée, désormais refoulée au sud de ces deux provinces.
Plus à l’est, dans la région de l’Euphrate, les deux principales villes, Hassaké et Deir Ezzor, restent sous le contrôle du régime, alors qu’une partie des zones rurales est contrôlée par les combattants de Jabhat al-Nosra.
Face à cette situation, l’aviation syrienne a opté pour la stratégie de la terre brûlée, en bombardant systématiquement les zones qui échappent au contrôle du gouvernement, aussi bien au nord qu’à l’est du pays. Cette option, particulièrement violente, permet à l’armée de maintenir la pression sur les groupes rebelles, tout en les coupant les uns des autres, afin d’empêcher la création d’une zone tampon qui pourrait servir de base aux combattants de l’opposition. Le régime s’accorde ainsi un répit en attendant l’émergence d’un consensus russo-américain qui mettrait un terme au soutien militaire et financier offert aux rebelles, notamment par les pays du Golfe.

Les Kurdes consolident leurs gains
La campagne de bombardements, initiée par le régime, a suscité en revanche la réaction immédiate des rebelles qui ont annoncé, il y a trois mois, le début de la «guerre des aéroports», qui consiste à occuper, ou du moins à neutraliser, les aéroports civils et militaires et à priver l’armée de sa force aérienne. Cette stratégie a été à l’origine de l’occupation par les rebelles des aéroports militaires de Jarrah et celui de Taftanaz au nord du pays.
Au défi posé par les salafistes, à Alep et à Idlib, s’ajoute le casse-tête kurde, que le régime a su tourner à son avantage en exploitant la méfiance kurdo-arabe qui règne depuis les affrontements de 2004. En retirant volontairement ses troupes des zones majoritairement kurdes du Nord, le 23 juillet dernier, le pouvoir a accordé à l’Union démocratique du Kurdistan (PYD, la branche syrienne du PKK turc) et au Parti démocratique kurde (PDK) la gestion de ces régions, tout en y maintenant une base militaire. L’une des conditions du retrait de l’armée reposait sur l’interdiction à l’ASL et autres milices islamistes d’entrer dans ces zones. L’accord fut mis à l’épreuve à plusieurs reprises à Afrin, dans les quartiers kurdes du nord de la ville d’Alep, dans les régions du nord-est et surtout, dans la ville kurdo-arabe de Ras al-Aïn, lorsque près de 3 000 jihadistes investirent la ville. Les combats qui se sont soldés par la victoire des troupes kurdes modifièrent les enjeux et les rapports kurdo-arabes en forçant les Kurdes à se démarquer des rebelles et à prendre la défense de leurs territoires. La stratégie du pouvoir, favorisée par les erreurs de calcul turques, s’avéra payante. Désormais, plus de la moitié des frontières nord sont protégées par une zone tampon kurde qui sépare la Turquie des zones arabes. Entre-temps, l’autonomie administrative kurde s’impose comme une réalité à laquelle le pouvoir devra faire face dorénavant.
Misant sur un accord international susceptible de mettre fin au conflit, le régime syrien jongle avec les impératifs contradictoires en vue de gagner du temps sans faire de concessions majeures. S’il a partiellement perdu les zones rurales à faible densité dans six provinces sur quatorze, il maintient sous contrôle la totalité des centres urbains, à l’exception du nord et de l’est de la ville d’Alep, qu’il s’efforce de récupérer afin de renforcer sa position sur l’échiquier international.

Après avoir récupéré la plupart des banlieues de Damas, ainsi que la quasi-totalité de Homs, l’armée se prépare à reprendre Alep dans les deux prochains mois. A cet effet, le régime a mis sur pied l’Armée de défense nationale, une force paramilitaire composée de 60 000 combattants, qui sera chargée de prendre le relais de l’armée régulière aux barrages militaires déployés à travers le pays. Cette force permettra aux troupes régulières de mobiliser leurs unités en vue de l’offensive prévue pour le printemps et destinée à reprendre les zones du Nord qui échappent à l’heure actuelle à l’autorité du pouvoir central.
Mais d’ici là, beaucoup de choses peuvent changer, surtout que les Etats-Unis, conscients de la faiblesse militaire des rebelles, ont décidé, selon le Washington Post, de livrer aux insurgés des équipements, dont des véhicules armés, pour qu’ils puissent résister à l’armée régulière.

Talal el-Atrache 

Al-Nosra, la force de frappe
Partie des mosquées en mars 2011, la révolte populaire s’est militarisée dès le mois de mai pour donner naissance en août à l’Armée syrienne libre (ASL). Formée à l’origine par des officiers dissidents, cette nébuleuse composée de milices hétéroclites fut graduellement investie par une majorité de civils armés, avant d’être supplantée par les groupes islamiques financés par les pays du Golfe et soutenus par les pays membres de l’Otan. Le colonel Riad el-Assad, les généraux Mohammad el-Hajj Ali et Mustafa el-Cheikh, qui avaient constitué l’ASL à ses débuts, ont été récemment mis à l’écart par la Turquie. Vers la fin de 2012, le paysage militaire offrait deux tendances radicales au sein de la rébellion syrienne: la première, celle du groupe salafiste Jabhat al-Nosra, qui aspire à la restauration du califat islamique à Damas, ainsi que les milices affiliées aux Frères musulmans, dont Liwaa al Fourqane et Liwaa al Tawhid, qui prônent l’émergence d’un Etat islamique démocratique.

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