Magazine Le Mensuel

Nº 2899 du vendredi 31 mai 2013

Expositions

Exercice. Le corps mis à nu

Alors que le 13e Festival européen de la photo de nu vient de se terminer, le 20 mai dernier à Arles et aux Maux de Provence, l’Institut français au Liban présente, jusqu’au 8 juin, l’«Exercice» photographique du collectif Avril de l’Académie libanaise des beaux-arts sur le thème du corps.

Mercredi 22 mai, dans la salle d’exposition de l’Institut français (IF), rue de Damas, Aurélien Lechevallier, conseiller culturel de l’ambassade de France, inaugure Exercice, une «exposition un peu particulière», selon lui. Un peu particulière, car elle aborde le nu à travers la photographie. «Un thème audacieux, pas facilement admis dans la région du Moyen-Orient», remarque Maurice Sehnaoui, directeur général de la BLC, mécène des expositions de l’IF pour les trois prochaines années. Présent dans l’assistance, il souhaite que sa banque soit là où la jeunesse, l’innovation et la création seront. Autant dire que l’exposition Exercice est un exemple du genre.
L’Alba, précurseur, un tant soit peu agitateur de conscience et créateur de réflexion, de quoi réjouir son illustre fondateur Alexis Boutros qui expliquait que «chez les peuples civilisés, l’art tient toujours la première place».
Aux murs blancs de la salle d’exposition, des cimaises accueillent des clichés noir et blanc ou en couleur, évoquant le corps dans tous ses contours, à travers l’objectif de jeunes photographes en formation ou d’ores et déjà diplômés de l’Alba, regroupés au sein du collectif Avril. Un collectif créé dans le but de faire travailler ensemble les différentes générations d’albatros sur un même thème, un même «exercice». «C’est une façon de confronter les connaissances et talents de nos étudiants et d’amener une réflexion plus large pour constituer une sorte de courant d’école, révèle Alain Brenas, directeur de l’Ecole de cinéma et de réalisation audiovisuelle. Alors, lorsque l’Institut nous a proposé de faire une exposition dans ses locaux, la première du collectif, j’ai proposé ce travail d’exercice autour du corps, peu abordé au Liban sans en être tabou. L’objectif n’étant pas de choquer mais d’explorer une thématique qui fait partie de la recherche photographique, souligne-t-il. Ce cadre institutionnel offert par l’IF nous permettant de nous exprimer librement».
Le nu, un thème d’école donc parmi tant d’autres, que les apprentis et confirmés photographes de l’Académie des beaux-arts ont su exprimer à leur façon et avec brio d’après les réactions émanant de l’assemblée. «Leur travail est très intéressant, d’autant plus sur une thématique qui n’était pourtant pas facile à traiter, commente Carole Pratt, attachée culturel auprès de l’IF et initiatrice de l’événement, à la lueur d’une collaboration de tout temps entre les deux institutions. Ils ont proposé des travaux très différents et en même temps, il en ressort une vraie unité. Pour certains, c’est leur première exposition et nous ne pouvons que les encourager à continuer».
Pour Gilbert Hage, professeur de photographie à l’Alba, «le travail réalisé est honorable sur un sujet où il ne fallait pas tomber dans les clichés du nu. Ils avaient tous des sensibilités différentes autour de la thématique et nous pouvons constater qu’il n’y a pas de ressemblance dans leurs œuvres, c’est également l’intérêt du collectif».
Fière de ses élèves, Ghada note que certains ont su présenter de nouvelles propositions par rapport à la scène artistique libanaise et internationale. «Il y a dans certaines photographies une vision contemporaine où les étudiants sont sortis de l’esthétique passéiste classique».

Le corps, cet alibi de travail, exploré avec pudeur, tendresse, violence ou volupté, a effectivement pleinement inspiré et passionné. «J’ai beaucoup aimé cette thématique, introduit Yasmina Boulos, étudiante en troisième année. D’ailleurs, je continue à faire des photos de nu. C’est un sujet très intéressant de par le travail sur la lumière qu’il implique et parce qu’il met en avant le sublime dans le corps et qu’il fait ressentir, pour une femme, sa féminité». Après avoir photographié des modèles aux corps déjà de femmes sans arriver à trouver ce qu’elle cherchait, elle décide de travailler sur des sujets plus jeunes. «J’ai voulu représenter l’innocence d’une jeune fille de 16 ans qui découvre son corps, décrit-elle. Et le fait qu’elle n’ait pas voulu montrer son visage n’en a été que plus intéressant». Dans la demeure abandonnée de sa grand-mère, Sophie Kosremelli a, elle, choisi de photographier ses modèles en jouant avec l’espace, le corps devenant un élément de la maison, mais pas seulement. Avouant avoir souhaité provoquer le public avec l’un de ses clichés, elle explique avoir voulu montrer une femme jouant avec son corps. «Cette exposition au Liban, c’est une avancée dans l’ouverture d’esprit, estime-t-elle. C’est aussi un grand pas pour moi, pour ma première exposition, qui je l’espère, m’amènera peut être vers autre chose».
A côté de ses clichés, s’exposent ceux de Clara Abi Nader, Marie Succar, Wissam Andraos, Miryam Boulos, Sarah-Lee Merheb, Sandy-Belle Kachouh, Maya Nohra, Jad Beshara, Aurélie Saliba, Sandra Fayad, Mélissa Jabbour, Paul Gora ou encore de Tarek Moukadem. Ce dernier, diplômé en 2010, habitué des photographies de nu, apprécie tout particulièrement l’initiative. «C’est frais et ça me fait plaisir, s’enthousiasme-t-il. Même si le sujet n’est pas inattendu de la part de l’Alba, où nous avons toujours travaillé sur le nu, ça fait du bien. Il n’y a pas beaucoup d’expositions sur ce thème, et qu’elle soit à l’Institut français implique une ouverture plus large au grand public». Souhaitant trouver des références sur le nu dans l’histoire pour réaliser son cliché, ses recherches le renvoient à
l’orientalisme du XIXe siècle. «J’ai joué avec les références historiques en choisissant de montrer l’homme au sein de la société actuelle dans une perception différente de ce que les gens ont en tête», au point d’en inverser les rôles préconçus. Il met en scène cinq artistes libanais masculins dévêtus au chevet d’une femme trônant au centre de sa photographie. «Il faut jouer le jeu et l’amener à l’extrême», lance-t-il.
L’exercice d’expression libre devrait se répéter chaque année à travers de nouveaux thèmes pour le plaisir des yeux et la vitalité de l’art libanais. Mais avant de se donner rendez-vous l’année prochaine, il reste encore quelques petits jours pour aller découvrir cette exposition qui mérite le détour.

Delphine Darmency

L’Alba et le nu
L’Alba fut la première école au Liban à lancer l’étude anatomique pour les peintres il y a maintenant plus d’une soixantaine d’années. C’est en 1945 qu’un étudiant polonais, Stanislas Frenkiel, lassé de dessiner des Apollons en plâtre et rarement un modèle vivant toujours habillé, obtient la permission de l’administration de trouver un modèle de nu. Une demande audacieuse pour l’époque. Après maintes recherches, il trouve l’emblématique Mariam, qui restera à l’Alba une trentaine d’années, inspirant plus qu’une génération de peintres.

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