Magazine Le Mensuel

Nº 2901 du vendredi 14 juin 2013

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Le 7e continent. Le monstre du Pacifique Nord

Invisible bien que 334 fois plus grand que la superficie du Liban, le 7e continent, encore peu connu, ne cesse de s’agrandir. Boulimique, il se goinfre de millions de tonnes de détritus plastiques charriés par les courants océaniques, pour former une véritable île de déchets.

Dans son journal de bord, l’équipage du 7e continent, en expédition dans le Pacifique Nord entre la Californie et Hawaï, à la découverte des masses de plastique flottant dans les océans, fait part des résultats de ses prélèvements du jour, le 29 mai dernier. «Du plastique!», s’exclame l’équipe. «Nous ressemblons à des chercheurs d’or qui viennent de trouver leurs premières pépites. Mais aussitôt la réalité reprend le dessus: le septième continent existe bel et bien! On ne peut certes pas marcher dessus, mais la pollution est bien là, insidieuse et très étendue: six fois la superficie de la France, dit-on. Quelle catastrophe écologique! Et nous qui avions encore des doutes hier, lorsque notre filet n’avait révélé que du plancton, peut-on lire. Quant aux macro-déchets, nous en observons de plus en plus fréquemment: cet après-midi, en trois heures, nous avons croisé cinq bouées, deux bouteilles et deux morceaux de polystyrène. Plus nous pénétrons le gyre, plus il vomit de déchets sous nos yeux! Nous pourrions tourner en rond pendant des heures et ramasser un nombre hallucinant de déchets flottants éparpillés ici et là».
Les gyres sont des phénomènes engendrés par les courants marins s’enroulant dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord et dans le sens inverse dans l’hémisphère sud, selon le principe de la force de Coriolis. Il en existerait cinq principaux dans l’océan Indien, l’océan Pacifique et l’océan Atlantique. Peu fréquenté des marins et des pêcheurs à cause de vents faibles rendant difficile la navigation et à cause d’une eau assez peu riche en nutriments, ne permettant pas une capture de pêche abondante, ces zones sont peu connues. Alors, en toute discrétion, des millions de débris de plastique s’y donnent rendez-vous, à plus d’un millier de kilomètres des côtes. Ce n’est que dans les années 80 que la NOAA, l’autorité fédérale américaine chargée de l’étude des océans et de l’atmosphère, prend conscience de l’existence d’une concentration importante de débris plastiques dans le gyre du Pacifique Nord. Dans une étude plus récente, la NOAA note que ce gyre serait en fait divisé en deux zones de convergence de déchets, la première proche de la partie japonaise et la seconde entre la Californie et l’archipel d’Hawaï. C’est dans cette dernière que l’équipe du 7e continent s’est rendue fin mai. Déjà en 1997, le navigateur et marin américain Charles Moore, fondateur de l’Algalita Marine Research Foundation, avait alerté l’opinion sur ce qu’il présentait alors comme un nouveau continent marin rempli d’ordures en plastique. Vingt-quatre ans plus tard, son appel semble s’être perdu dans l’immensité de l’océan.
Alors qu’uniquement deux expéditions américaines se sont rendues sur place en 2006 et  2009, l’association Ocean Scientific Logistic (OSL) décide de lancer sa propre expédition, le 7e continent, pour participer à la prise de conscience collective de ce phénomène invisible, engendré par les courants océaniques, créant une spirale interminable, un puissant vortex faisant tourbillonner des millions de tonnes de déchets en plastique. Dans le documentaire Des îles de déchets, de l’émission Les dessous des Cartes sur Arte, le géographe et géopoliticien Jean-Christophe Victor explique que ce continent de nature très floue «occupe une surface estimée entre 1,5 et 3,5 millions de kilomètres carrés. On estime la densité de ces zones à environ 5 kg de plastique par km² sur une profondeur moyenne de 10 mètres avec des débris jusqu’à trente mètres», précise-t-il.

Pollution inégalée
Alors d’où proviennent tous ces déchets plastiques? Pour le présentateur d’Arte, sur les 260 millions de tonnes de plastique produites chaque année dans le monde entier, 10% finiraient leur course effrénée dans les océans. Et stupeur, environ 80% des débris marins seraient d’origine terrestre, provenant du tourisme côtier et du rejet des eaux usées, entraînant sur leur passage lors de fortes pluies des ordures abandonnées dans les rues. Les 20% restants seraient dus aux débris liés à la pêche et aux déchets des navires et bateaux.
Ces déchets solides qui polluent les mers seraient donc à 89% du plastique. Et si ce dernier présente «une grande résistance au vieillissement dans l’environnement, sous l’action du rayonnement solaire, par oxydation et par abrasion dans l’eau de mer, il se dégrade et est réduit en petits morceaux inférieurs à 5 mm, comme l’explique le site de la mission du 7e continent. Ces grains de plastique agissent comme des éponges, fixant de nombreuses toxines dans des proportions plusieurs millions de fois supérieures à la normale. Ces polluants véhiculés par les plastiques sont ingérés par la faune
marine. Certains ont la propriété de s’accumuler dans les organismes qui les consomment et peuvent avoir des conséquences sur la santé de ces animaux et celle de leurs prédateurs, dont l’homme fait partie (retour à l’envoyeur!)». Des conséquences pouvant aller jusqu’au décès de nombreuses espèces marines (tortues, albatros, phoques, baleines ou poissons), par noyade, étouffement, strangulation ou des suites de blessures.
Un phénomène de pollution inégalée qui risque de s’intensifier d’année en année avec l’augmentation de la production de plastique dans le monde. D’autant que cette île de déchets, invisible dans le Pacifique Nord, aurait peut-être des consœurs dans les autres gyres de l’Atlantique, du Pacifique et de l’océan Indien. La communauté internationale, elle, ne semble pas encore porter grande attention à ce problème d’environnement. Ces cortex de déchets se trouvant en grande partie dans les eaux internationales où nul n’est contraint de s’engager autant d’un point de vue moral que financier. Pourtant, dans vingt ans, le 7e continent pourrait devenir aussi grand que l’Europe. Affaire à suivre…

Delphine Darmency

Le rêve de la Recycle Island
En 2009, un cabinet d’architectes néerlandais, le WHIM, propose d’une façon assez provocatrice, de transformer ces faux continents de plastique en véritable territoire, la Recycle Island. Objectif:
nettoyer les océans des débris de plastique pour les transformer en matériaux de construction, créer de nouveaux espaces destinés à accueillir les exilés du climat chassés par la hausse du niveau des mers (que l’Onu estime à 250 000 millions d’ici 2050), et construire de nouvelles formes d’habitats durables, autosuffisants au niveau énergétique. Cette île flottante de 10 000 km2 a été imaginée pour accueillir près d’un demi-million de réfugiés climatiques.

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