Magazine Le Mensuel

Nº 2901 du vendredi 14 juin 2013

LES GENS

Rabab Sadr. Une grande humaniste

Elle ne recherche ni les bravos ni les applaudissements et travaille, depuis 1963, dans le domaine du social en toute discrétion. Son action est une prière silencieuse, une symphonie dont elle égrène les notes devant l’Eternel. Imprégnée par les enseignements de son frère l’imam Moussa Sadr, elle préside la fondation qui porte son nom. Portrait de Rabab Sadr.  

A la regarder, il est difficile de croire que cette femme si calme et sereine, aux propos mesurés, fut une enfant étourdie, que tout le monde écoutait et dont les moindres désirs étaient exécutés. En Iran, où elle est née, elle a vécu jusqu’à l’âge de 15 ans. Benjamine d’une famille de dix frères et sœurs, elle est toute jeune lorsqu’elle perd son père. «Je fus élevée par ma mère, ma sœur Batoul et l’imam Moussa Sadr», raconte Rabab Sadr. Son père Sadr el-Dine Sadr était un homme religieux qui alliait le côté social au côté spirituel. «J’ai grandi dans une famille profondément croyante et pratiquante, dans une maison aux portes ouvertes, qui entretenait des liens avec tout le monde». En revenant au passé, Rabab Sadr se souvient d’un mode de vie particulier, fondé sur les principes, les valeurs humaines et une grande moralité.
Rabab Sadr appartient à une lignée de chefs spirituels où le leadership religieux se transmet de génération en génération. Son arrière-grand-père a vécu en Irak, puis son père l’a quitté  pour l’Iran, où il a épousé la fille du grand législateur sayyed Hussein al-Qommi. Sa famille a vécu en Iran, jusqu’au jour où l’imam sayyed Abed Hussein Charafeddine fait appel à l’imam Moussa Sadr et lui demande de venir au Liban s’occuper des affaires de la communauté chiite. «Trois ans plus tard, nous avons rejoint l’imam Sadr au Liban», confie Rabab Sadr. C’est là qu’elle épouse Hussein Charafeddine, petit-fils de l’imam sayyed Abed Hussein Charafeddine.
Dans le social depuis 1963
C’est à Rabab Sadr, la sœur qu’il chérissait, que l’imam Moussa Sadr demande en 1963 de s’occuper des affaires sociales et de concentrer son activité sur l’amélioration de la situation de la femme. «Nous avons commencé à très petite échelle. Il y avait dix jeunes filles auxquelles j’apprenais la couture. Je faisais office d’instructrice, directrice, secrétaire, chauffeur, femme de ménage», dit Rabab Sadr. Aujourd’hui, les institutions de l’imam Moussa Sadr regroupent plusieurs centres répartis entre Beyrouth et le Sud et comptent quelque 1500 élèves et plusieurs divisions, 450 employés, huit dispensaires au Sud. Des disciplines variées sont enseignées aux femmes telles que le secrétariat, la coiffure, l’art floral, l’hôtellerie, l’assistance sociale, les sciences infirmières et bien d’autres.
C’est dans la plus grande discrétion que Rabab Sadr travaille. Elle n’attend rien de personne, ni la reconnaissance ni les remerciements. Son but est le développement de la société et l’amélioration de la situation de la femme. «En 1963, la situation au Sud était difficile. Il n’y avait ni écoles ni institutions et la condition de la femme était très mauvaise. A côté des prestations sociales offertes aux hommes, l’imam Moussa Sadr a accordé une attention particulière à la femme», dit Rabab Sadr. «Petit à petit on s’est agrandi. C’étaient de beaux jours. Il y avait la sérénité, la confiance et l’amour de l’autre. Les pères m’amenaient leurs filles pour apprendre un métier et me tenaient responsable de leur attitude. Je visitais les maisons pour encourager les familles à nous envoyer leurs filles». Sa grande fierté n’est pas d’avoir appris un métier aux femmes mais de leur avoir inculqué des principes, un sens humain et une grande moralité. Depuis lors, le Sud a beaucoup évolué, en particulier au niveau de la situation sociale des femmes. «La Finul a engagé un grand nombre de nos étudiantes. Elles connaissent les langues, l’informatique et habitent sur place».

L’imam Sadr… plus qu’un frère
«C’est lui qui m’a élevée», confie Rabab Sadr, la voix pleine d’émotion. Après toutes ces années, elle a le regard qui brille à l’évocation de l’imam Moussa Sadr, dont la mystérieuse disparition n’a pas cessé de faire couler beaucoup d’encre. «J’étais la plus jeune et j’étais différente des autres. Le sayyed s’occupait beaucoup de moi. Il me donnait ses conseils, ses directives. Nous étions très proches». Sa disparition fut un grand choc pour elle. «Ce jour-là, le temps s’est arrêté pour moi. Je ne pouvais pas imaginer qu’on puisse faire du mal à un homme comme lui. Je ne pouvais pas concevoir sa disparition. Pendant trois mois j’étais prostrée, j’ai arrêté de travailler». Et puis un jour, quelques mots prononcés au cours d’une réunion la ramènent à la réalité. «Est-ce que celui qui vit une tragédie arrête de prier? Lorsque l’on traverse des instants difficiles renonce-t-on à la prière? Mon travail est une prière que j’offre à son intention». En reprenant son activité le lendemain, elle regarde le ciel et adresse une supplique silencieuse. «Je n’avais aucune ressource, c’était le sayyed qui assurait le financement de l’association. Je me suis dit que Dieu m’aidera et effectivement Dieu ne m’a jamais abandonnée malgré toutes les difficultés que nous avons traversées, les guerres, les invasions. Dieu a toujours mis sur notre chemin des gens de bonne volonté qui nous ont aidés».

Pas d’ambition politique
Rabab Sadr n’est pas intéressée par la politique. «Le comportement de certains politiciens ne m’encourage pas du tout. Ils n’ont pas l’attitude de ceux qui veulent servir les autres. Aujourd’hui, les politiciens donnent aux gens en contrepartie de quelque chose, alors que nous donnons sans rien attendre en échange». Dans les régions mixtes, l’association ouvre des centres pour favoriser le dialogue et encourager la coexistence. «Tout le monde parle de coexistence sans agir, alors que nous agissons dans ce but».
Rabab Sadr a reçu huit fois la proposition d’entrer au gouvernement. «Le président Elias Hraoui m’avait confié qu’il désirait que, durant son mandat, la femme joue un rôle en politique. Je l’ai remercié et lui ai dit que la politique, c’est être au service des autres et moi je sers déjà, là où je suis». Elle ne regarde jamais à quelle communauté appartient son interlocuteur, qu’il soit sunnite, chiite ou chrétien. «Etre au service d’autrui ne se fait pas seulement par le biais de la politique», dit-elle. Pour elle, l’action sociale ressemble à une symphonie qui ne s’arrêtera pas. «Celles qui viendront après moi ont bien appris les notes et continueront à les jouer». Ses propos reflètent une grande spiritualité et une sérénité, probablement acquises à travers tous ses combats. «Je ne me sens pas vieillir. J’ai l’impression d’acquérir de l’expérience. Je découvre les secrets du monde, la grandeur de Dieu». Pour cette femme d’une grande simplicité, aucun goût pour les apparences ou le luxe. «J’aime la simplicité, la modération en toute chose», confie Rabab Sadr. Elle ne garde pratiquement rien pour elle et donne tous
les cadeaux qu’elle reçoit. Mère de quatre garçons: Raëd, Louaïi, Koussaï et Nijad, son grand bonheur ce sont ses dix petits-enfants, cinq filles et cinq garçons, qu’elle réunit chez elle au moins une fois par semaine à un dîner. «Je suis très proche de mes petits-enfants. Je me libère pour eux et je m’occupe de leur éducation».
Si l’imam Moussa Sadr est absent, ses enseignements sont plus que jamais vivants.  «Il a disparu mais sa pensée est toujours dans le cœur et dans l’esprit de ses disciples. Il fut le premier à parler de dialogue islamo-chrétien depuis 1975 le jour où il a fait un prêche dans l’église des Capucins. Aujourd’hui, on continue à porter son message». Si Rabab Sadr a pour ligne de conduite le pardon, elle reconnaît ne pas pouvoir pardonner à ceux qui sont responsables de la disparition de l’imam. «Je ne leur pardonne pas mais je ne leur ferais pas de mal. Dieu, qui est pardon, ne peut pas pardonner un acte pareil!». 


Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR

Relations avec Amal et le Hezbollah
«Nous avons de bonnes relations avec tout le monde et si certains voient une concurrence entre nous, celle-ci n’a pour seul but que le service de l’autre. Que les autres fassent également ce que nous faisons!». D’ailleurs il existe une coordination entre les diverses associations. Pour Rabab Sadr, les gens ne sont pas catalogués et ne portent pas 
d’étiquette. «J’ai un profond respect pour chaque être humain».  

Ce qu’elle en pense
Ses loisirs: «Le dessin et la peinture, une spécialisation que j’ai étudiée en Italie mais que je ne pratique pas faute de temps. L’absence du sayyed a changé ma vie. J’aime également la musique et la nature. Je lis aussi beaucoup d’ouvrages de philosophie et m’occupe de l’action sociale».
Sa devise: «L’amour et le don de soi».
Son message: «Il n’est jamais trop tard pour tirer les leçons de nos expériences. La violence ne mène nulle part. Nous avons un pays magnifique, à tel point que le monde entier le désire. Il faut protéger notre pays et notre société et cela peut se faire à travers le message lancé par l’imam Moussa Sadr».

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