Magazine Le Mensuel

Nº 2906 du vendredi 19 juillet 2013

Presse étrangère

L’épée de Damoclès

Après l’attentat de Bir el-Abed, la presse internationale fourmille de conjectures géopolitiques pour prédire l’avenir sombre qui attend le pays dans la période à venir. La mobilisation maximale de toutes les puissances de la région inquiète.

Le Monde
Après l’attentat de Bir el-Abed, Le Monde a interrogé des spécialistes de la région. Tous sont unanimes. «On est dans une situation proche des années 1973 à 1975, celle d’une parenthèse qui a précédé la conflagration. Les phases de non-crise sont certes l’exception au Liban, mais la tension dépasse le niveau acceptable et avec l’instabilité régionale, les ingrédients sont réunis pour une conflagration dans les semaines ou les mois à venir», analyse le politologue Joseph Bahout. Une guerre civile qui se jouerait sur un axe chiite-sunnite et avec des formes de conflictualité «à l’irakienne»: sans ligne de démarcation, mais avec des affrontements et des attentats localisés, des assassinats politiques. «Une violence diffuse, localisée et individuelle», prédit également le politologue Vincent Geisser.
«La vision naïve de la politique de distanciation libanaise», comme la qualifie Joseph Bahout, a fait long feu, aidée en cela par la déstructuration de l’Etat libanais, privé depuis des mois de gouvernement et de Parlement.
«La crise syrienne est perçue par les deux camps comme une crise existentielle: de la perte ou de la survie du régime syrien dépendra la survie de l’un ou l’autre camp», analyse ainsi Bahout. Entre ces deux pôles sunnite et chiite, les chrétiens sont divisés politiquement et au bord de l’implosion. Dans cet équilibre précaire, chaque soubresaut est scruté avec attention. Le Liban va-t-il sombrer dans la guerre? «On est devant une ligne rouge, mais le conflit est évitable. Cela dépendra de la volonté et de l’intérêt des puissances régionales et internationales à ce que le Liban n’explose pas», estime Joseph Bahout.

Le Devoir
Cinglant éditorial du journal québécois Le Devoir: Le Liban et ses dérives − La scène tragique.
De tous les maux syriens qui se sont déversés sur l’espace libanais, celui dit des réfugiés est à la fois le plus délicat et le plus explosif. On estime que le nombre de ces derniers avoisine le million, soit le tiers de la population du pays. C’est évidemment énorme. Si énorme, en fait, que ces colonnes de sunnites fuyant les exactions du régime de Bachar el-Assad ont provoqué une quasi-implosion des réseaux de la santé et de l’éducation. Et ce, pour une raison bien simple: le pays n’a pas la capacité d’accueil que commande un tel afflux de déshérités.
D’ores et déjà, ici et là, dans les 1 200 villes et villages du Liban où se sont éparpillés ces exilés, on a observé que les plus jeunes d’entre eux ont été recrutés par les milices sunnites formées pour épauler leurs concitoyens syriens. En fait, il ne se passe pas une journée sans que des va-et-vient entre les deux territoires se poursuivent.
A ce puzzle, il faut maintenant ajouter la variable, c’est le cas de le dire, économique. D’abord et avant tout, il faut souligner deux fois plutôt qu’une que les pétromonarchies ont suspendu leurs investissements. Cette mise en bière a eu des répercussions très pernicieuses sur l’activité économique en général, et sur l’immobilier en particulier. Il faut souligner ensuite que la fréquentation touristique a chuté d’au moins 30%, voire davantage. Si l’histoire est tragique, le Liban en est la scène.

BBC
Cette semaine, la chaîne de télévision britannique BBC a diffusé un très long reportage de Nahed Abou Zeid sur la situation au Liban «belligérant dans la guerre des autres». Son mérite, avoir rencontré des combattants dans les deux camps qui s’affrontent.
J’ai voyagé à travers le Liban et rencontré de nombreux réfugiés syriens furieux contre le Hezbollah et son intervention en Syrie. Mais j’ai aussi parlé à une famille dont le fils, Alaa, est mort en Syrie lors de combats avec le Hezbollah. Malgré le chagrin et le choc, j’ai senti qu’ils se consolaient à l’idée que Alaa avait payé le prix ultime pour le reste de sa communauté. Les combattants du Hezbollah sont très discrets et ne parlent jamais aux médias. Mais après de longues négociations avec nos contacts, j’ai rencontré un homme qui a combattu à Qoussair. «Les gens que nous avons combattus étaient très agressifs. Ils ont fait la guerre en Afghanistan, en Tchétchénie, en Bosnie-Herzégovine, en Libye, en Irak. La bataille a été très dure parce que vous combattez un ennemi radicalisé. Ils se disent musulmans, mais ils ne croient qu’en eux-mêmes. Ils tuaient tout le monde, ils les brûlaient, les torturaient. Ils étaient impitoyables et n’ont pas de vraie religion».
Quand j’ai parlé au cheikh Ahmad el-Assir, avant qu’il ne disparaisse dans la nature, je lui ai demandé s’il pensait que ce qui se passait en Syrie pouvait entraîner le Liban dans le conflit. «Le Liban est déjà entré dans le conflit, surtout après que Nasrallah eut indiqué que son parti était entré dans un nouveau chapitre. Les politiciens n’ont pas mesuré la portée de ses propos, nous si».

Al-Hayat
Le quotidien panarabe al-Hayat analyse l’implication éventuelle d’Israël dans l’attentat de Bir el-Abed dans un article parsemé d’interrogations intitulé Est-ce que le Hezbollah saura gérer?
La vitesse avec laquelle l’Etat hébreu a lié l’attentat de la banlieue sud de Beyrouth au conflit sunno-chiite a relancé les soupçons à son encontre. Israël veut-il alimenter les tensions communautaires dans le pays et désire-t-il «irakiser» le pays? Plus encore, les déclarations israéliennes sur une possible chute du régime jordanien soulèvent la question des scénarios mis en œuvre dans la région. Israël a-t-il quelque chose à voir avec l’attentat de Bir el-Abed? Le Sinaï et le Golan l’inquiètent, mais ce qui se passe à sa frontière nord et avec les leaders issus du Printemps arabe le rassure.
L’Etat hébreu serait-il embêté par l’enlisement du Hezbollah dans le conflit syrien et si le bras de fer entre le régime de Damas et les groupes takfiristes, accusés de suivre l’idéologie d’al-Qaïda, se poursuivrait? Serait-il embêté si l’implication du parti en Syrie alimentait les tensions au Liban et contre lui? L’explosion de la banlieue sud de Beyrouth a peut-être mis en lumière la répartition des rôles entre Israël et l’Occident et le tremblement de terre de grande ampleur qui secoue la région.
Depuis que le Liban, devenu le terrain privilégié des actions des groupuscules islamistes, a été identifié comme le maillon faible du conflit syrien, le pays est plongé dans l’inconnu, d’autant que les lignes de fracture communautaires en Syrie posent la question de l’intégrité du territoire libanais. Le leader druze Walid Joumblatt n’a-t-il pas déclaré que «la Résistance a changé son fusil d’épaule» après avoir critiqué les provocations du 14 mars? n

Julien Abi Ramia

Slate
 Laboratoire de webséries
Slate traite du phénomène des webséries. Des épisodes de 5 à 10 minutes, des sujets contemporains, des forums de débat… L’engouement du Pays du Cèdre pour les séries en ligne croît depuis 2009, sans toutefois ébranler la toute-puissante télévision. Censure politique, amour, tabous: quelques dizaines de jeunes Libanais se sont lancés dans l’aventure. La télé libanaise diffuse essentiellement des séries 
mélodramatiques familiales ou historiques 
syriennes, égyptiennes, vénézuéliennes, turques et maintenant coréennes. Personne n’investit dans des séries d’approche plus contem-poraine. En 2009, la BBC cherchait à financer un programme audiovisuel jeune sur le Web. Katia Saleh, productrice de documentaires formée en Grande-Bretagne, leur a proposé un format de comédie court qui adopterait le langage de la jeunesse, en arabe libanais. Shankaboot, la 1ère vraie websérie du Moyen-Orient, raconte l’histoire d’un livreur qui sillonne Beyrouth et croise énormément de gens de quartiers et de milieux différents. Même raisonnement pour les créateurs de Mamnou3 qui raconte le quotidien du bureau de censure libanais. C’est l’humour qui fut la porte d’entrée pour des sujets sensibles.

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