Magazine Le Mensuel

Nº 2910 du vendredi 16 août 2013

general

Jaafar et Amhaz vs Houjeiri. Vendetta dans la Békaa

La trêve tacite des célébrations de la fête du Fitr pour la fin du Ramadan aura été de courte durée. Dimanche, la discorde confessionnelle est revenue sur le devant de la scène, dans la Békaa cette fois, avec l’embuscade menée par les clans Jaafar et Amhaz contre leurs rivaux de Ersal, les Houjeiri. Le tout sur fond de crise syrienne.
 

Alors que les Libanais pensaient pouvoir profiter à peu près sereinement de leur long week-end de la fête du Fitr, la tension est remontée d’un cran dimanche, dans la Békaa. Une fois encore, des clans rivaux se sont opposés, relançant les risques de plus en plus profonds de discorde confessionnelle entre sunnites et chiites sur fond de crise en Syrie.
Il est 15 heures, ce dimanche après-midi, sur la route de Baalbeck-Hermel. Un groupe d’individus armés tire sur un convoi qui se rend à Ersal. Bilan: un tué et trois blessés. Deux ressortissants syriens, Mohammad Abbas et Nabil Rachak, qui accompagnent le convoi visé, sont également enlevés, selon le communiqué de l’Armée libanaise. Un autre parvient à s’échapper.
Le convoi pris pour cible appartient au clan des Houjeiri. Les passagers revenaient d’une opération d’échange d’otages réussie avec le clan Moqdad, entre les villages de Ersal et de Makné, au niveau de Ras Baalbeck.
Selon l’armée, la voiture à bord de laquelle se trouvait, entre autres, le fils du chef de la municipalité de Ersal, est tombée dans une embuscade. Le convoi des Houjeiri est intercepté au niveau de la localité de Laboué, par quatre voitures occupées par des hommes armés. Ceux-ci tirent sur le convoi rival, brisant ce qui devait être un dimanche paisible dans la Békaa. Mohammad Hassan Houjeiri, connu également sous le nom de Mohammad Doukhan, est tué dans l’embuscade. Son corps sera ensuite emmené par un convoi de l’armée à l’hôpital Dar al-Amal, à Douris, puis rendu à la famille dans la soirée de dimanche. A bord du convoi se trouvait également le président de la municipalité de Ersal, Ali Houjeiri. Légèrement blessé à la tête pendant l’embuscade, il reçoit les premiers secours dans la localité, avant de rentrer à son domicile. Ali Fliti, connu aussi sous le nom de Ali Zahoui, est blessé légèrement à la main, tandis que son compagnon Khaled Houjeiri, alias Ahmad Katcha, est grièvement blessé. Ce dernier sera transporté à l’hôpital de Zahlé pour y être soigné. Selon le site d’informations elnashra, un commandant du Front al-Nosra, Abou Khaled Tabashi, qui opère en Syrie, aurait également été tué.
Dès son retour à son domicile, le chef de la municipalité de Ersal, Ali Houjeiri, accuse. Selon lui, l’embuscade est le fait des clans Jaafar et Amhaz. Devant la presse, il a appelé «l’armée à intervenir et à arrêter les malfaiteurs». Il a confié avoir reçu des appels téléphoniques de Najib Mikati, Premier ministre démissionnaire, mais aussi de Saad Hariri, qui l’ont tous deux enjoint d’œuvrer à calmer la situation − devenue explosive − dans la région.
L’Armée libanaise confirme, elle aussi, l’implication du clan Jaafar, aidé par le clan Amhaz, dans l’affaire. L’embuscade a en effet été revendiquée par le «Groupe des quatre martyrs», en référence aux quatre jeunes assassinés le 16 juin dernier à proximité de la localité de Ersal par des habitants et des rebelles syriens, alors qu’ils se livraient à de la contrebande du mazout. Deux des tués appartenaient au clan Jaafar et deux autres au clan Amhaz.

 

La tension monte
Dans la région, on s’en doute, dès l’incident connu, la tension qui était quelque peu retombée ces derniers jours, s’est ravivée. A Ersal, des habitants ont tiré des coups de feu en l’air pour marquer leur mécontentement. Soutenus en cela par les habitants de Saadnayel qui ont bloqué la route. A Mreijate, près de Chtaura, dans le village de l’officier Pierre Machaalani qui avait été tué à Ersal cet hiver, la réaction est radicalement différente. Les habitants chrétiens ont en effet lancé des feux d’artifice et offert des gâteaux aux passants dès qu’ils ont eu connaissance de la nouvelle…
Immédiatement après l’embuscade, l’Armée libanaise s’est massivement déployée dans la région, envoyant des patrouilles sur la route de Laboué et à l’entrée du village de Ersal. La Grande muette, qui est décidément sur tous les fronts en ce moment, affirme dans un communiqué: «Des mesures exceptionnelles ont été prises par les unités de l’armée présentes dans la Békaa, afin d’éviter que la situation ne se détériore. La troupe a ainsi dressé plusieurs barrages (…). Elle a également entamé ses recherches pour retrouver les responsables». L’armée s’est aussi rendue dimanche soir aux domiciles de membres de la famille Amhaz, à Laboué, dont celui du père de Sharif Amhaz, tué le 16 juin. Des raids qui ont suscité les protestations du maire de la localité, Ramez Amhaz, qui a jugé que l’armée pratiquait du «deux poids deux mesures», en permettant à un fugitif − en référence à Ali Houjeiri − de circuler librement. «Le clan Amhaz ne tue pas des innocents», a-t-il ajouté, notant que «les assassins de nos fils sont bien connus de tous».
Lundi, les deux Syriens enlevés durant l’attaque ont été libérés.
L’embuscade de Ersal a donc fait remonter la tension d’un cran, exacerbant une fois encore les risques − bien réels − de discorde confessionnelle entre sunnites et chiites, via des clans rivaux. Un phénomène de clans qui semble grimper en puissance avec le conflit voisin, en Syrie. Comme dans les précédents incidents depuis le début de la guerre en Syrie, chacun des clans impliqués dans l’attaque de dimanche est fait et cause pour l’une ou l’autre partie du conflit. Il est ainsi de notoriété publique que le clan Houjeiri, implanté à Ersal, est favorable aux rebelles syriens, tandis que les clans, associés à cette occasion, des Jaafar et des Amhaz, affichent ouvertement leur soutien au régime de Bachar el-Assad. Opposés religieusement, politiquement et sans doute aussi de par leurs affaires respectives, ces clans constituent une menace explosive pour la stabilité libanaise.

 

Les clans menacent
D’autant que ces rivalités ne sont pas près de s’arrêter. Lundi, alors que la majeure partie de la classe politique libanaise appelait au retour du calme dans la région, le clan des Amhaz s’est affiché plus que jamais obstiné. «Après le massacre de Wadi Rafek, dans les jurds de Ersal, et tous les massacres qui ont eu lieu contre l’Armée libanaise, nous avons clairement demandé aux autorités concernées de poursuivre les criminels, appelant les habitants de Ersal à coopérer», explique le clan Amhaz dans un communiqué. «Mais le président du conseil municipal de Ersal a poursuivi ses provocations et ses menaces, menant à cette discorde». Le clan Amhaz affirme toutefois s’être engagé à laisser les forces de sécurité et la justice jouer leur rôle, tout comme à respecter les mises en garde du Hezbollah contre le piège de la discorde. Dans le même temps, un porte-parole du groupe des Quatre martyrs a déclaré sur la chaîne al-Jadeed que son objectif est de «tuer Ali Houjeiri». «Nous avons attendu 59 jours et l’Etat n’a rien fait pour arrêter le coupable (de l’attaque contre le clan Jaafar le 16 juin dernier, ndlr). Nous sommes un clan et les jours de Houjeiri sont comptés». Plus que jamais, la loi du talion semble être la règle dans la Békaa.

Jenny Saleh

Pluie de réactions politiques
L’embuscade de Laboué a suscité une vague de réactions de la part de la classe 
politique. Le président Michel Sleiman a estimé: «Le fait d’avoir recours à ce genre de méthodes, alors que l’on venait de libérer des otages, ne fait que compliquer la situation et créer de nouveaux problèmes».
Le Premier ministre démissionnaire, Najib Mikati, a insisté sur «la coopération de tous pour contrer les tentatives de semer la 
discorde entre les Libanais», soulignant que «les services de sécurité œuvrent pour arrêter les coupables et les traduire en justice».
Le Premier ministre désigné, Tammam Salam, a jugé que «cette embuscade met en évidence la fragilité de la situation dans la Békaa», appelant à «la vigilance, afin d’être plus forts que la discorde et le chaos».
Saad Hariri a déclaré pour sa part: «Cet incident constitue une tentative supplémentaire visant à plonger le Liban dans la discorde», a-t-il estimé. Le député Assem Araji, du Bloc du Futur, a 
estimé que «personne ne pourra arrêter la 
discorde dans la Békaa, si elle venait à éclater».
Le député du Bloc du Changement et de la Réforme, Ziad Assouad, a souligné que celui «qui vit par l’épée périra par l’épée».
Enfin, l’uléma chiite Ali Fadlallah a appelé dans un communiqué à la nécessité de «régler les incidents récents avec un esprit d’ouverture et d’unité, pour étouffer toute discorde».

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