Magazine Le Mensuel

Nº 2910 du vendredi 16 août 2013

ACTUALITIÉS

Russie-Etats-Unis. Coup de froid dans les relations

L’annulation ou le report (selon les sources) du sommet entre Vladimir Poutine et Barack Obama, programmé dans les premiers jours de septembre à Moscou, juste avant le sommet du G20, qui doit se tenir à Saint-Pétersbourg les 6 et 7 septembre, témoigne de la sérieuse détérioration des relations bilatérales. Une dégradation que l’on note depuis le retour de Poutine à la présidence de la Fédération de Russie, le 4 mars 2012.

Mercredi 7 août, la Maison-Blanche annonçait que le président Obama avait renoncé à se rendre en Russie, expliquant que «la décision des autorités russes d’octroyer l’asile politique à Edward Snowden avait été un facteur décisif dans l’évaluation des relations bilatérales entre les deux pays». Interrogé par les journalistes au cours d’une conférence de presse à la veille de son départ en vacances, Barack Obama a quelque peu rectifié le tir, laissant entendre que l’affaire Snowden n’était en fait que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. «Les relations bilatérales avec la Russie n’ont pas fait assez de progrès dans les domaines cruciaux: défense antimissile, non-prolifération, droits de l’homme et commerce, pour justifier la tenue d’un sommet», a-t-il répondu à un journaliste qui l’interrogeait sur l’annulation de son voyage à Moscou. Il a ajouté qu’il avait été «déçu» par la décision des autorités russes d’accorder l’asile à Snowden.
Pour Lorraine Millot, correspondante de Libération aux Etats-Unis, le président américain a subi de fortes pressions de la part du Congrès et de la presse, qui n’aurait pas compris qu’après la gifle de l’affaire Snowden, il tende l’autre joue à Vladimir Poutine…
La décision du président américain n’a pas surpris les Russes qui l’attendaient. Certes, la rencontre 2+2 qui s’est déroulée aux Etats-Unis, juste après l’annonce officielle de la Maison-Blanche, a eu lieu, semble-t-il, dans une atmosphère cordiale. Les deux parties ont tenté  de dédramatiser la situation. «Les relations entre la Russie et les Etats-Unis revêtent une importance particulière. Elles sont marquées par des intérêts communs et parfois des conflits d’intérêts», a estimé John Kerry, secrétaire d’Etat américain. Quant à Sergueï Lavrov, qui ne croit pas à une nouvelle guerre froide, il pense que malgré les différences, «les deux pays ont une responsabilité partagée sur les grands dossiers: éviter la prolifération des armes de destruction massive (allusion au nucléaire iranien et nord-coréen), bouclier antimissile, Syrie…».
Reste que Vladimir Poutine est très mécontent et les experts prévoient une réponse cinglante comme celle de Moscou à la loi Magnitski. Alexeï Pouchkov, président de la Commission des Affaires étrangères de la Douma, pense que le «reset est bel et bien mort et enterré». Pour Fiodor Loukoïanov, politologue proche de l’establishment, «les Américains fuient les pourparlers sérieux et leur décision aura des conséquences politiques importantes». Quant à Marie Lippmann, chercheuse au centre Carnegie, elle souligne «le caractère stratégique et durable de la brouille».  
S’il ne fait aucun doute que l’octroi du statut de réfugié politique à Snowden, considéré par les Etats-Unis comme un traître, a servi de détonateur, les relations entre les deux pays s’étaient fortement dégradées au cours des derniers mois.
Après l’embellie de la présidence Medvedev, qui avait correspondu au «reset» entre les deux pays, les relations entre les Russes et les Américains s’étaient à nouveau tendues avec le retour de Poutine au Kremlin, et cela pour plusieurs raisons. Poutine n’a jamais caché qu’il se méfiait des Américains qu’il soupçonne d’avoir une vision hégémonique sur le reste du monde. Il apparaissait clairement, par ailleurs, qu’il n’avait pas beaucoup de sympathie pour Barack Obama. La rencontre des deux hommes en marge du sommet de Belfast à l’automne dernier, avait été glaciale. «S’efforçant de briser la glace, Barack Obama avait ironisé sur les effets de l’âge en matière de performances sportives». Pas dupe, le maître du Kremlin avait répondu dans un grincement: «Vous essayez de me faire sourire pour détendre l’atmosphère».
Pendant l’hiver 2012, le vent froid qui soufflait depuis l’année précédente à cause des critiques de Poutine contre la Maison-Blanche qu’il soupçonnait d’aider les opposants russes, se renforçait avec l’affaire Magnitski. Serge Magnitski, avocat fiscaliste qui travaillait pour un cabinet américain, avait porté plainte pour dénoncer une vaste opération de fraude. Arrêté et emprisonné, il meurt en détention, en 2009, à l’âge de trente-sept ans, par manque de soins et mauvais traitements, puis il est condamné une seconde fois par contumace quatre ans après sa mort. Les Etats-Unis avaient alors établi une liste noire de dix-huit personnes, en majorité des fonctionnaires présumés avoir eu un rôle dans la mort du juriste; ces personnes étaient désormais interdites d’accès sur le territoire américain et leurs avoirs bloqués. Les représailles ne se firent pas attendre longtemps. Quelques jours plus tard, les Russes publiaient à leur tour une liste de dix-huit noms, des responsables du centre de détention de Guantanamo. Par ailleurs, la Douma votait la loi dima yakovlev (du nom d’un petit Russe laissé dans une voiture par ses parents adoptifs américains et retrouvé mort). Le texte qui a choqué de nombreuses personnes, y compris en Russie, interdit aux citoyens américains d’adopter des enfants russes.
Enfin, les Etats-Unis ont fustigé certaines lois (lois contre les ONG, contre les homosexuels), critiques ressenties par les Russes comme une immixtion dans leurs affaires intérieures.
Reste que de nombreux experts estiment que la véritable raison de l’annulation du sommet s’explique par un changement d’approche. Selon eux, les deux parties ne seraient plus intéressées par le «reset», soulignant que, pendant la guerre froide, les dirigeants de l’URSS et des Etats-Unis se rencontraient pour tenter de surmonter leurs différends.
Angela Stent, chercheuse à l’université de George Town, citée par le quotidien Libération, affirme que toutes les raisons que l’on peut évoquer ne sont en réalité que des prétextes et que la vérité c’est que les deux parties concernées ne voyaient aucun intérêt dans la tenue de ce sommet… et pour cause.

 

Dialogue Moscou-Riyad
Les experts américains estiment que Poutine a obtenu ce qu’il voulait d’Obama: un droit de veto de facto sur la politique américaine, de la Syrie à la défense antimissile et la passivité face à l’attitude agressive des Russes… et qu’il ne peut plus rien en attendre.
Quant au locataire de la Maison-Blanche, il a perdu ses illusions. «Barack ne comprenait rien à la Russie et a tendu la main. Maintenant, il commence à comprendre qu’il ne parviendra à rien de cette façon et qu’il faut cesser de renforcer Vladimir Poutine en le traitant en interlocuteur privilégié», écrit l’éditorialiste du Washington Post.
Côté russe, Alexeï Pouchkov va plus loin. «La Russie n’est plus une colonie des Etats-Unis comme pendant la période de Boris Eltsine», commente-t-il, tout en affirmant «qu’il est erroné de parler de guerre froide».
C’est dans ce contexte de repli des Etats-Unis qu’il faut placer la reprise du dialogue entre Moscou et Riyad, interrompu depuis de nombreuses années, qui s’est concrétisée par la visite secrète, le 31 juillet, de Bandar Ben Sultan, patron des Renseignement saoudiens, à Moscou. Selon des sources au Proche-Orient et des diplomates occidentaux en poste en Russie, l’émissaire du roi d’Arabie saoudite, chargé des relations avec l’opposition syrienne, aurait proposé aux Russes un contrat d’armement majeur d’un montant de 15 milliards de dollars, assorti de la promesse de ne pas nuire à la position de la Russie comme principal fournisseur de gaz naturel en Europe, le tout contre la modération du soutien russe à Bachar el-Assad, et au Conseil de sécurité, où le veto russe a bloqué à trois reprises une résolution contre le maître de Damas.
Après la rencontre, les officiels russes ont été pour le moins avares de commentaires. Dimitri Peskov a démenti toute proposition de la part de l’envoyé spécial du roi d’Arabie saoudite. Même son de cloche de la part de Iouri Ouchakov, conseiller diplomatique de Vladimir Poutine. «Le président Poutine et son hôte ont évoqué l’évolution des dossiers: les avancées de l’armée régulière en Syrie, l’enlisement de la conférence Genève 2, le changement dynastique au Qatar, la défaite des Frères musulmans en Egypte, la reprise du dialogue israélo-palestinien, l’arrivée au pouvoir d’un modéré en Iran».
Dans ce contexte, les informations sont venues de sources occidentales ou de diplomates du Golfe. Un diplomate libanais en poste à Moscou a confié à l’agence Reuters que «la réunion avait duré quatre heures et que les Saoudiens en étaient sortis très euphoriques». Selon une autre source diplomatique, la première réaction de Poutine aurait été pour le moins négative. «Il est peu probable que le patron du Kremlin soit disposé à marchander sa position stratégique dans la région contre un contrat d’armement même mirifique, et cela d’autant plus que les Russes ne sont pas convaincus que l’Arabie saoudite dispose d’un plan solide pour assurer la stabilité en Syrie en cas de départ de Bachar el-Assad», estime-t-il. Il a remarqué que, dans la foulée de la réunion de Moscou, la Russie a fait pression sur le président syrien pour qu’il accepte une commission des Nations unies pour enquêter sur la présumée utilisation d’armes chimiques.
Selon un responsable de l’opposition syrienne cité par Reuters, le prince Bandar a proposé d’intensifier la coopération économique militaire et énergétique avec la Russie et s’est efforcé, dans le même temps, de calmer les principales inquiétudes de Moscou: la prise du pouvoir par les islamistes radicaux après le départ d’Assad et la transformation de la Syrie en une plateforme pour les exportations de gaz qatari au détriment de la Russie.

Nathalie Ouvaroff, Moscou

L’affaire Snowden
Après un mois dans la zone de transit de l’aéroport international de Cheremetièvo, Edward Snowden a finalement pu quitter l’aéroport muni de documents officiels octroyés par le Kremlin.
Après nombre de tentatives infructueuses auprès de pays européens et d’Amérique du Sud, il s’était résigné et avait accepté la 
proposition de Poutine, relayée par les milieux anti-américains de l’establishment russe.
Le lanceur d’alertes, qui apprend intensément le russe, semble vouloir s’installer dans le pays, où il a eu déjà plusieurs propositions d’emplois fort alléchantes.
Dans une interview à la chaîne de télévision NBC, le père du lanceur d’alertes a annoncé que les Russes lui avaient délivré un visa et qu’il projetait de rendre bientôt visite à son fils.
Par ailleurs, le quotidien russe Vedomosti, citant un membre des services russes, faisait savoir que le système d’écoute Xkeyscore, dont Snowden avait révélé l’existence, se trouvait à l’ambassade des Etats-Unis en Russie. «Nous n’avons pas encore été en mesure de vérifier, mais nous en sommes convaincus», confiait-il au journal.

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