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Nº 2915 du vendredi 20 septembre 2013

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ACTUALITIÉS

L’accord «chimique» russo-américain. Les rebelles et leurs alliés mécontents

Après l’accord russo-américain conclu à l’arraché samedi à Genève, la Syrie, mais aussi l’ensemble du Moyen-Orient soufflent. Les bruits de bottes s’éloignent, en tout cas pour l’instant, mais quelques désaccords persistent tout de même entre Occidentaux et Russes.

Les tambours de la guerre se seront finalement tus. Tout au moins, pour le moment. Alors que depuis la fin août, la tension était croissante et les menaces occidentales de plus en plus explicites, sans parler des ripostes possibles de la part du régime de Bachar el-Assad, et leurs conséquences sur la région, le salut sera finalement venu de Genève. Et surtout de la Russie. Une Russie qui a su saisir la balle au bond et proposer une solution de la dernière chance, acceptable par toutes les parties. En proposant que la Syrie se débarrasse de ses armes chimiques, sans pour autant écarter Bachar el-Assad, son allié, du pouvoir, Moscou et son émissaire, Sergueï Lavrov, ont permis l’ébauche d’une solution honorable de sortie de crise pour chacun des acteurs. Ce changement de donne, aussitôt salué par Damas qui a voulu faire montre de bonne volonté, a bouleversé toutes les cartes.
Puis, comme au bon vieux temps, mais pas si lointain finalement, Russes et Américains se sont assis autour de la même table pour négocier durement les contours de l’accord.
Il aura donc fallu trois jours, rien moins, au chef de la diplomatie américaine, John Kerry et à son homologue russe, Sergueï Lavrov, pour parvenir à un accord. Samedi, tous deux ont donc présenté les résultats de leur entente, concernant le démantèlement de l’arsenal chimique syrien. L’accord, qui vaut ce qu’il vaut, donne à Damas une petite semaine pour fournir une liste précise du nombre et du type d’armes chimiques détenues par le régime syrien. Moscou comme Washington seraient d’accord sur «la méthode à appliquer pour l’élimination des armes chimiques», a déclaré John Kerry lors de la conférence de presse, et ont appelé Damas à autoriser les experts de l’Onu à inspecter tous les sites de stockage. Les experts devraient théoriquement achever leur mission à la fin novembre de cette année. Enfin, les armes chimiques syriennes devraient être retirées dans un délai très court, d’ici à la mi-2014. «Nous sommes arrivés à une estimation commune sur les quantités et les types d’armes possédées par le régime d’Assad et nous sommes résolus à un contrôle rapide de ces armes par la communauté internationale», a précisé Kerry. Son homologue russe, Sergueï Lavrov, a indiqué de son côté que cet accord permettrait d’effectuer un «pas important vers la réalisation d’un objectif fixé depuis longtemps: stopper la prolifération des armes de destruction massive au Proche-Orient».
Les bruits de bottes qui commençaient à résonner dans la région s’éloignent donc. Pour l’instant. Car l’accord doit encore être traduit dans les actes. Et c’est bien ce qui inquiète les Occidentaux, notamment le trio Etats-Unis – France -Grande-Bretagne. Après avoir unanimement salué l’accord arraché à Genève − un «progrès» pour Barack Obama, «une avancée importante» pour Paris −, les alliés occidentaux ont temporisé, en continuant à brandir la menace militaire, si Assad ne respectait pas ses engagements.
D’ici au 28 septembre, les négociations concernant la teneur exacte de la résolution sur les armes chimiques du régime, devraient être épineuses. Alors qu’à Genève, Washington et Moscou semblaient plutôt s’accorder, quelques points et pas des moindres, achoppent toujours. Notamment sur l’attitude à avoir en cas de non-respect des engagements syriens. Là où John Kerry faisait état d’un accord américano-russe sur l’application du chapitre VII de la Charte des Nations unies en cas de non-respect des obligations par Damas, Sergueï Lavrov, lui, assenait que l’accord «fruit du consensus et du compromis», ne prévoit en rien un recours direct à la force contre Damas. «Nous enquêterons sur chaque cas, car il y a beaucoup de désinformation et quand nous serons sûrs, nous serons prêts» à prendre toute action «pour punir» toute violation de ce cadre, a ajouté le chef de la diplomatie russe, une première depuis le début du conflit. «Cela ne veut évidemment pas dire qu’on croira à tout cas de violation rapporté devant le Conseil de sécurité de l’Onu sans le vérifier», a souligné Lavrov. «Il y a tant de mensonges et de falsifications dans ce dossier aujourd’hui dans le monde qu’il faut être extrêmement prudent», a-t-il encore prévenu, estimant avoir «des raisons de soupçonner qu’on essaie de retoucher le rapport des inspecteurs» de l’Onu sur l’utilisation présumée d’armes chimiques en Syrie le 21 août.

 

La France veut le chapitre VII
Le contenu même de la résolution qui sera présentée au vote à l’Onu n’est pas finalisé. Les Occidentaux, Français en tête, semblent vouloir s’acharner à mentionner le recours au chapitre VII, comme ils l’ont rappelé lundi depuis Paris, au terme d’une réunion entre John Kerry, François Hollande et le Britannique William Hague.
Répliquant aussitôt, Sergueï Lavrov s’est montré ferme, indiquant être «persuadé que, malgré les déclarations émanant de certaines capitales européennes, les Américains s’en tiendront fermement aux ententes enregistrées». Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, devait d’ailleurs se rendre à Moscou ce mardi, pour tenter d’arracher à son homologue le principe d’une résolution «forte et contraignante» à l’Onu. L’obtiendra-t-il? Rien n’est moins sûr, surtout que la Russie a maintes fois rappelé que la mention d’un éventuel usage de la force était «inacceptable» et fera échouer tout processus de paix. «Si quelqu’un veut menacer, chercher des prétextes pour des frappes, c’est une voie qui suggère à l’opposition au régime qu’on attend d’elle de nouvelles provocations, et c’est même une voie qui peut saper définitivement la perspective de Genève 2», a prévenu lundi Sergueï Lavrov.
Car Russes comme Américains se sont accordés également à Genève sur la relance de la conférence de Genève II, plusieurs fois repoussée depuis le début de l’année.
En somme, chaque partie essaie de garder la main malgré les concessions qu’elle a dû faire. Les Etats-Unis, bien que partie prenante de l’accord, en ressortent finalement affaiblis. Les atermoiements de Barack Obama autour de l’intervention militaire, puis le relais passé au Congrès américain, ont montré une Amérique faible. Une Amérique qui, malgré les multiples conflits qu’elle a initiés ou dans lesquels elle s’est engagée au cours du siècle dernier ou récemment, qu’il s’agisse de la Somalie, des guerres en Irak ou de l’Afghanistan, n’est plus au faîte de sa gloire. Et paradoxalement, c’est l’ennemi d’hier, la Russie, qui aura permis aux Etats-Unis de se sortir de l’imbroglio syrien.
Vladimir Poutine et son chef de la diplomatie Sergueï Lavrov peuvent, sans se vanter, mettre à leur crédit l’accord de Genève. Ebranlant par là même la crédibilité américaine. A l’international, la valse hésitation de Barack Obama aura permis un retour au sommet de Poutine qui cherche à redorer le blason de son pays. De soutien entêté de Bachar el-Assad, décrié par la communauté internationale, Poutine devient aujourd’hui faiseur de paix, évitant une possible Troisième Guerre mondiale. D’aucuns murmurent même qu’il aurait été pressenti pour le prix Nobel de la paix…
L’initiative russe aura donc permis à l’Amérique d’Obama de sauver les meubles et de garder la tête haute. Mais de l’intérieur, la sauce ne prend pas. Les républicains, John McCain et Lindsey Graham en tête, sont déjà montés au créneau, estimant qu’il s’agit là «d’un acte de faiblesse de la part de l’Amérique. Nous ne pouvons imaginer pire signal à envoyer à l’Iran».
Autre «perdant» de l’histoire, la France de François Hollande. Lui qui, dès la fin août, était monté ardemment au créneau, multipliant les déclarations guerrières et prônant la punition du régime Assad, s’est retrouvé tout bonnement écarté des négociations russo-américaines.

 

Les rebelles mécontents
Si Damas a toutes les raisons d’être satisfait de la tournure des événements, malgré le fait que la Syrie d’Assad perd de sa capacité de dissuasion dans la région en acceptant de se défaire de son arsenal chimique, l’opposition ne cache pas son mécontentement. Le général Idriss, chef de l’Armée syrienne libre, a eu tôt fait de dénoncer l’accord, se disant étranger à ce texte. Il a exigé que Bachar el-Assad soit traduit devant la Cour pénale internationale, dénonçant le fait qu’avec l’accord de Genève, «on a saisi l’outil du crime en laissant tranquille le criminel». L’opposition syrienne, qui comptait beaucoup sur des frappes occidentales, a également demandé qu’en plus du démantèlement des armes chimiques, soit imposée au régime une interdiction d’utiliser des missiles balistiques et l’aviation contre les civils. Mécontente, l’opposition devrait toutefois pouvoir compter désormais sur une aide militaire significative de la part des pays occidentaux, Américains en tête.
Dans les rangs des mécontents, l’Arabie saoudite, qui a salué l’accord du bout des lèvres, à l’instar du Conseil de coopération du Golfe, avouant dans le même temps de ne pas y croire. Déçu par son allié américain, le royaume, comme la Turquie, devraient sans doute amplifier leur soutien armé à la rébellion.
Surtout, à l’instar d’Israël, Riyad est inquiet par les revirements américains, s’interrogeant sans doute sur son attitude vis-à-vis de l’ennemi iranien. Dans le même camp, les leaders du 14 mars se sont avoués déçus de l’accord russo-américain. Saad Hariri s’est ainsi interrogé, visiblement dépité, sur la position américaine, si Israël avait été la cible de l’attaque chimique. Quant à Fouad Siniora, il a littéralement appelé Obama à attaquer la Syrie, dans une lettre ouverte publiée dans Foreign Policy.

Jenny Saleh
 

Nouveau Premier ministre pour l’opposition
La Coalition nationale de l’opposition syrienne a désigné un islamiste 
modéré, Ahmad Toameh, au poste de Premier ministre, le week-end 
dernier. Toameh remplace ainsi le démissionnaire Ghassan Hitto, qui avait mis fin à ses fonctions en juillet, après avoir échoué à former un 
gouvernement.
C’est donc maintenant à Ahmad Toameh de relever ce défi délicat de former un gouvernement d’opposition, chargé entre autres d’administrer les zones du pays sous contrôle des rebelles. De sa réussite dépendra aussi le soutien des Occidentaux, notamment aux niveaux militaire et politique. Lors de sa première interview, Toameh a déclaré vouloir lutter contre l’influence des combattants liés à al-Qaïda, dont le Front al-Nosra, tant sur le plan idéologique que purement pratique. «En plus des destructions, des morts et des déplacements forcés infligés par le régime, le peuple souffre maintenant du comportement des militants (liés à al-Qaïda)», a-t-il déploré. Selon lui, ce que désirent les Syriens, c’est «fondamentalement la liberté, pas un despotisme plus grand». Il a assuré vouloir tout mettre en œuvre pour assurer à la 
population une vie digne et un accès à l’alimentation, à la santé et à l’éducation, ainsi qu’à la 
sécurité. Originaire de Deir ezzor, Ahmad Toameh a été emprisonné par le régime Assad de 2007 à 2010 et faisait partie d’un groupe d’opposants historiques qui avait contesté le pouvoir avant le début de la révolution en 2011. Ambitieux, il a affirmé vouloir baser son gouvernement, une fois formé, dans le nord de la Syrie, afin de «partager le risque» avec la population bombardée par le régime.

‭50 000 jihadistes
Une étude de la très sérieuse revue 
britannique IHS Jane’s révèle que près de la moitié des cent mille combattants de la rébellion syrienne sont des jihadistes ou des islamistes purs et durs.
Le magazine de défense, dont l’enquête est publiée par le Daily Telegraph, estime que les opposants à Bachar el-Assad compteraient dans leurs rangs environ 10% de jihadistes, dont de nombreux étrangers, appartenant à des mouvements liés à al-Qaïda.
IHS Jane’s souligne que, outre ces 10%, quelque 30 à 35% des rebelles seraient des islamistes convaincus, proches des 
jihadistes, tout en se concentrant uniquement sur la guerre en Syrie. Le magazine estime également qu’un autre tiers des combattants dépend de groupes qui défendent également des théories islamistes quoique plus 
modérées. Selon IHS Jane’s, les rebelles seraient au nombre de 100 000 hommes, 
disséminés au sein de quelque 1 000 
brigades plus ou moins puissantes. Les groupes les plus extrémistes, à savoir le Front al-Nosra et l’Etat islamique d’Irak et du Levant, disposeraient d’une influence croissante. «L’insurrection est aujourd’hui dominée par des groupes qui ont au moins un point de vue islamiste sur le conflit. L’idée qui veut qu’elle soit conduite par des éléments laïques n’est tout simplement pas confirmée», commente Charles Lister, l’auteur de cette analyse. Il estime également qu’en étant mieux organisés − notamment au niveau financier et 
économique − mais aussi meilleurs 
combattants, les islamistes parviennent à séduire de plus en plus dans les rangs des rebelles qui se rallient à leur cause. «Les islamistes sont si nombreux qu’il est à craindre que si l’Occident ne joue pas ses cartes finement, de plus en plus de gens ne se détournent des laïcs que nous soutenons», analyse Charles Lister.

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