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Paul Khalifeh

Triste Liban

Le Liban est une terre d’accueil, nous a-t-on toujours dit. Un refuge pour les persécutés, les faibles, les opprimés et les démunis. Un abri pour les groupes assujettis et les minorités dépouillées et martyrisées. Ses montagnes et ses plaines ont de tout temps reçu les communautés tourmentées, fuyant la tyrannie, le despotisme et l’obscurantisme. Ses grottes ont offert un toit et des murs protecteurs aux déracinés. Ici, ils ont retrouvé la sécurité et la quiétude, ils ont échappé à l’extermination et à la destruction. Non seulement ils ont survécu à l’anéantissement, mais ils ont commencé une nouvelle vie, sans être contraints d’abandonner leurs croyances pour embrasser celles des conquérants et des envahisseurs. Ils ont renoué avec l’aisance et connu la prospérité. C’était vrai il y a des siècles et ça l’est toujours aujourd’hui. Le Liban n’a-t-il pas ouvert ses portes aux Palestiniens chassés de leurs terres par les sionistes, au milieu du XXe siècle? N’a-t-il pas fait une place, sur son petit territoire, à des centaines de milliers de déplacés syriens, au XXIe siècle? Le Premier ministre, Najib Mikati, l’a une nouvelle fois martelé, mardi: le pays ne fermera jamais ses frontières devant les réfugiés, bien que le point de saturation ait déjà été atteint il y a des mois, comme l’a souligné le président de la République, Michel Sleiman.
Lorsque l’on grandit avec de telles idées, profondément ancrées, on ne peut qu’être stupéfaits, abasourdis par les images de la tragédie des émigrés clandestins avalés par la mer au large de l’Indonésie. Est-ce concevable que des hommes, des femmes et des enfants, qui ont eu l’immense privilège de naître et de vivre sur LA terre d’accueil, puissent envisager de l’abandonner pour d’autres cieux, au risque d’y laisser leur vie? Les images sont certainement truquées, le drame s’est sûrement produit sur une autre planète ou à une autre époque.
Les corps affreusement gonflés, dévorés par les poissons, rejetés par les vagues, sont, malheureusement, bien de chez nous. Ils nous ont ramenés à l’effrayante réalité. Le pays-message, la patrie-vocation, celle qui a donné au monde des Gebran Khalil Gebran, Amine Rihani, Carlos Slim, Amin Maalouf et autres Helen Thomas, peut aussi exporter des boat people. Fallait-il attendre cette tragédie pour découvrir l’autre facette du Liban, celle que nous aurions souhaité ignorer, que nous faisions semblant de ne pas voir? Le Liban des privations, de l’insuffisance, de l’indigence, des pénuries, des carences, des déficiences. Une terre avare, incapable de nourrir ses hommes, inhospitalière.
Mais si le Liban est tellement insupportable et invivable, pourquoi a-t-il attiré, au fil des siècles, tant de gens? Pourquoi continue-t-il, aujourd’hui, à en appeler des millions?
Le Liban sera ce que les Libanais voudront bien en faire. S’ils le maltraitent, l’humilient, l’offensent, il le leur rendra au centuple. Si, au contraire, ils le respectent, le chérissent et l’aiment, il en fera de même.
Ce n’est pas un homme, ni même mille, qui décideront, au nom de considérations humanitaires étonnamment exacerbées, de le transformer en immense camp de réfugiés.
A ceux qui sont censés veiller aux destinées du pays, et qui, par excès de zèle – ou par irresponsabilité -, jurent qu’ils ne fermeront jamais les frontières devant un réfugié, nous leur demandons tout simplement de ne pas être plus royalistes que le roi. Il leur suffit de copier ceux pour qui ils se sont métamorphosés en grands humanistes: les réfugiés s’appelleront désormais les «gens du voyage». Ils ne seront pas expulsés mais seulement «reconduits» aux frontières.
A ceux qui vont chercher emploi et sécurité au-delà des océans, nous disons que le Liban, reste, malgré toutes les vicissitudes, une terre plus clémente que beaucoup d’autres. Il suffit de l’aimer.

Paul Khalifeh
 

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