Magazine Le Mensuel

Nº 2918 du vendredi 11 octobre 2013

Editorial

La palme des échecs

«Cela a toujours été ainsi». Une petite phrase qui se veut anodine mais que les politiciens répètent sans arrêt en pensant ainsi se dédouaner de leurs  erreurs, de leurs arnaques, de leurs  incompétences. Cherchent-ils ainsi à prouver que leurs prédécesseurs n’avaient pas mieux agi? Pendant combien de temps encore, des générations de Libanais continueront-elles à se laisser berner par cette autodéfense ou ces déclarations à décharge sans réagir? L’odieux drame des victimes des cargos de la mort a déchaîné, certes, une saine colère contre le gouvernement. Un peu tardive, hélas.
Cette misère, que certains semblent découvrir soudain, ne date pas d’hier. Elle a cependant révélé au grand jour l’ampleur du désespoir dans le futur du pays. Se laisser entraîner pas des réseaux criminels, vendre le peu de biens amassés au fil des années, s’engager aveuglément avec femmes et enfants dans un voyage périlleux, prouve clairement la perte totale de confiance dans les gouvernants.
Les Libanais, ceux surtout qui ont vécu les affres de la guerre de 1975 et qui, round après round, se disaient incapables de résister au suivant, l’ont quand même fait. L’espoir était encore là. Mais cela remonte à un peu moins de quarante ans. Plus rien n’est comme avant. Le Pays du Cèdre, qui a vu naître sur sa terre tant de grands hommes, disparus ou émigrés, qui en ont fait sa gloire à travers le monde, méritait une meilleure image que celle que nous lui donnons.
Si l’Etat ne peut être directement impliqué dans l’odieux drame du cargo de la mort qu’il ne conduisait pas, on ne peut occulter sa responsabilité dans la misère sociale et économique que vivent les citoyens pendant que les «dirigeants» qui ne dirigent rien, forts de leur impunité, se disputent les derniers lambeaux du Liban. Ils sont, dit-on, appelés à dialoguer pour «sauver le pays». De quel dialogue s’agit-il? Celui dont le ton est déjà donné  par les discours au ras des pâquerettes qui nous heurtent les oreilles ou pour des «négociations» dictées par des conditions rédhibitoires si désolantes. Après les turbulences que le Liban a connues, ceux qui prétendent en être responsables ne semblent pas encore avoir atteint une maturité intellectuelle les rendant capables de prendre des décisions nationales sans faire appel à «l’étranger», aussi «fraternel» soit-il. Pour combler les vides institutionnels, allons-nous recourir à Doha, Riyad ou à toute autre capitale, dite amie? Report après report, prorogation des mandats l’un après l’autre… on en arrive à parler à mots à peine couverts d’une possible prolongation de celui du président de la République, seul à jurer ne pas en vouloir. Former un gouvernement qui ne serait pas à la merci d’une «haute autorité» prête à bloquer toute décision qui lui serait indésirable est une gageure dans un pays où, pourtant, la Constitution consacre les libertés d’opinion et les droits des individus. Les crises s’accumulent et, dans la foulée des problèmes, tous aussi cruciaux, celui du pétrole qui nous appartient mais qui attend on ne sait quel accord sur le partage des bénéfices, alors qu’Israël lorgne de son côté d’un œil torve. Sommes-nous condamnés désormais à tout accepter pour survivre cahin-caha dans un pays où règnent l’insécurité et le mal de vivre? Allons-nous continuer à nous vanter des exploits de nos compatriotes qui accumulent, à l’étranger, les succès, alors que nous végétons dans moins que 10 452 km2 que défendait si férocement Bachir Gemayel et que nous ne sommes plus seuls à occuper?

Mouna Béchara

 

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