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Nº 2918 du vendredi 11 octobre 2013

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Le mirage clandestin. Les rescapés racontent leur cauchemar

Dans l’espoir d’un avenir meilleur, ils ont tout quitté. Au large des côtes indonésiennes, ils ont tout perdu. De retour au pays, les seize survivants du naufrage racontent la même histoire; la désespérance sociale, la promesse cher payée de l’Eldorado, la détermination de celui qui est prêt à tout.
 

Assaad Assaad est aujourd’hui un homme brisé. Il avait vendu sa maison, sa voiture, sa terre et sa vache pour fuir la misère avec sa femme et ses trois enfants. Mais sa famille a péri lors du naufrage. «On était prêts à tout pour partir, on avait l’espoir d’une vie meilleure, car ici il n’y a rien à faire», dit lentement Assaad, amaigri, le regard vide. Son village, Kabiit, dans la région du Akkar, une des plus pauvres du Liban, a tout d’un bourg bucolique, mais en contrebas des montagnes verdoyantes, très peu d’échoppes bordent la route crevassée où des enfants en haillons remplissent des bidons de l’eau d’un robinet posé au milieu de la rue. On y tente de survivre, comme Assaad, avec une dizaine de dollars par jour. «Je ne voulais pas être très riche, je voulais juste vivre décemment», dit-il pour expliquer sa décision de se rendre en Australie, où de nombreux villageois sont déjà partis. «Ils vivent une bonne vie maintenant, nous n’avons pas eu la même chance», conclut-il, laconique. La sagesse du désespoir.
Une semaine après l’arrivée à Jakarta d’une délégation des autorités libanaises, on en sait un peu plus sur les circonstances du drame. Sur les 68 Libanais, majoritairement originaires du Nord, qui étaient à bord de l’embarcation de fortune, 18 ont survécu, 28 corps ont été repêchés et 22 sont toujours portés disparus. Le bateau transportait 80 personnes, dont d’autres ressortissants arabes. Quelques Libanais clandestins, arrêtés par la police indonésienne, ont été libérés et sont attendus à Beyrouth. On en sait également un peu plus sur les rouages du réseau qui avait acheminé 200 Libanais avant le drame.
Actif depuis plus d’un an, le réseau de passeurs en question est dirigé par Abou Saleh, un Irakien emprisonné en Indonésie pour le meurtre d’un ressortissant saoudien. Grâce à une simple connexion Internet et un téléphone portable, il gérait toute la chaîne, du Liban en Australie, en passant par l’Indonésie et la Malaisie. La filière libanaise du réseau Abou Saleh est composée d’une dizaine de personnes. Hussein Khodr, «le rabatteur» qui, quelques semaines auparavant, avait clandestinement envoyé ses enfants en Australie; Abdel Razak Tiba, «le coordinateur», qui multipliait les allers-retours entre Beyrouth et Jakarta; Ahmad Taleb et Elie Akl, gérant d’une agence de voyages, «les percepteurs» qui facturaient leur service au tarif de 10 000 dollars par migrant.
Les aspirants à l’émigration clandestine évoquent tous les mêmes raisons. «Je fais le trajet chaque semaine de Kabiit à Beyrouth (trois heures de route), où je travaille dans une usine de métallurgie pour près de 800 dollars par mois. Je n’arrive pas à finir le mois», indique Fahed Kassem, 36 ans. «Aujourd’hui, mon patron me dit qu’il peut avoir quatre ouvriers syriens à ma place», lâche-t-il. Alors, «si l’occasion se présente, j’immigrerai aussi». La répulsion des réfugiés syriens revient souvent; celle de l’insécurité et de la pauvreté qui gangrènent le Nord également.

Julien Abi Ramia

La tragédie de Lampedusa
Si le Liban découvre la tragédie des boat people, l’Europe vit avec depuis plusieurs années. Le 3 octobre dernier, un bateau transportant environ 500 migrants partis d’Erythrée et de Somalie a fait naufrage près de Lampedusa, cette île proche de la Sicile devenue une porte d’entrée privilégiée pour l’immigration illégale en Europe. Le bilan provisoire s’élève à plus de 200 morts, mais les garde-côtes qui poursuivent leurs 
travaux de récupération des corps estiment que ce sont près de 400 personnes qui ont été pris au piège.
Seuls 155 des passagers, entassés sur un bateau de pêche parti clandestinement de Misrata, en Libye, ont pu être sauvés. Les survivants sont tous érythréens sauf le pilote du navire, Kaled Bensalam. Expulsé une 
première fois en avril dernier d’Italie, ce Tunisien âgé de 35 ans est accusé 
d’homicides multiples, de naufrage et d’aide à l’immigration illégale. Les survivants ont expliqué qu’ils ont déboursé aux passeurs entre 1 000 et 3 000 dollars chacun.

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