Magazine Le Mensuel

Nº 2922 du vendredi 8 novembre 2013

Film

Ciné-Jam avec Muriel Aboulrouss. D’authenticité et d’audace

Bouillonnante de vie, d’activité, de positivisme et d’espoir, la chef opérateur, Muriel Aboulrouss, est une passionnée du cinéma et de la lumière. Des passions qui la portent dans son projet de rêve, l’atelier de travail Ciné-Jam, qu’elle a créé en 2012. Et qui ne cesse depuis d’enthousiasmer de jeunes cinéastes.
 

Il n’y a pas d’industrie du cinéma au Liban. Du moins pas encore. Que faire alors? Se lamenter, espérer que quelqu’un vienne sonner à la porte avec un projet de rêve, attendre Godot? Non, Muriel Aboulrouss, lauréate du Bayard d’or de la meilleure photographie pour son travail dans le film Balle perdue de Georges Hachem, n’a jamais été du genre à baisser les bras. Toujours battante, toujours active, portée par sa passion, ses passions, le cinéma et l’enseignement. Vivre son rêve jusqu’au bout, et cumuler les deux au cœur d’un atelier de travail qui sort des chemins académiques balisés et formatés. Ciné-Jam est né: ciné pour cinéma et jam pour un jam, un bœuf musical quoi. «Ciné-Jam est une expérience et un voyage de découverte de soi, partagés entre des passionnés du 7e art, tous assoiffés d’une re-création de soi et de foi en leur talent et leur originalité».
L’originalité, Muriel Aboulrouss insiste là-dessus. Que le travail final soit d’une très grande qualité ou non, que ses «jammers» soient tous extrêmement doués ou non, ce n’est pas important. Seule l’originalité compte. Et l’originalité c’est ce qui sort des tripes, de soi, du plus profond de soi, ce qui naît des émotions, de l’authenticité des émotions. Un premier groupe de «jammers» et un deuxième en 2012, et un troisième cette année. Dix-neuf jeunes Libanais ont pris part à cette expérience qui a changé leur vie, leur approche du cinéma, qui les a révélés à eux-mêmes. Leurs mots sonnent bien clairs, enthousiastes, reconnaissants envers Muriel Aboulrouss. Des amitiés sont nées et se sont scellées autour de l’instigatrice de ce projet. Et cela est bien visible dans la manière dont ils l’entourent.
Les dix-neuf courts métrages nés dans le cadre des trois groupes de Ciné-Jam ont été projetés lors d’une réunion réduite à Dawawine, le mois dernier, au moment où Muriel Aboulrouss s’apprêtait à aller à Prague pour travailler avec un quatrième groupe de «jammers». Personnels, très personnels; les courts métrages projetés sonnent comme autant de pages ouvertes sur l’espace individuel, sur l’expérience intérieure, sur l’intime de ces cinéastes en devenir, de ces individus qui visent vers le collectif à travers ce qu’ils ont de plus intime. Qu’il s’agisse de leur premier, leur deuxième ou leur troisième film, chacun d’eux, à sa manière, est entré au plus profond de soi pour raconter une histoire, son histoire.
Oscillant entre introspection, humour, exploration de soi ou de l’autre, de la ville, silence et temps qui prend son temps, regard porté sur la solitude, la douleur, l’angoisse, l’amour, la sexualité, comme autant de reflets d’une sensibilité qui se dévoile, qui se défriche, qui
se découvre, qui se donne à voir, qui se partage. Dix-neuf films différents, qui vous interpellent, vous intriguent, vous emmènent dans leur monde, l’espace de quelques minutes. Des films différents. Mais ce qui les rassemble, ce qui ressort de commun entre tous, entre ces tranches de vie saisies au vif, sur caméra, fantasmées, rêvées, imaginées ou vécues, c’est l’audace, l’envie d’aller au-delà des sentiers battus, du «politiquement correct», du confortable, du conforme à ce qu’on attend.
 

Quand l’émotion se fait créativité
Ces jeunes cinéastes osent tout simplement. Parce qu’il n’y a pas de restrictions, il ne devrait pas y en avoir. Parce que les règles ont été établies pour être brisées, pour être transgressées. Parce qu’il n’y a pas de recette miracle pour un cinéma universel, pour anticiper la réaction des spectateurs, savoir ce qui va plaire et ce qui ne va pas plaire. La note d’intention de Muriel Aboulrouss l’exprime bien: «Je ne dis pas que nous sommes tous des génies. Je dis simplement qu’il n’y a qu’une seule manière de le savoir. Le chemin est difficile. Il nécessite beaucoup de persistance, de sacrifice, de persévérance. Beaucoup de bonheur et de joie aussi. C’est le chemin vers la lumière. Et ce n’est pas donné à tout le monde parce que cela implique le fait de sortir de notre zone de confort».
Et Muriel Aboulrouss a poussé cette expérience et ce voyage encore plus loin, en créant un deuxième atelier de travail «Jamming with the light», qui a abouti à la création du film Impulse, inspiré des Dialogues de Jacques Salomé. Muriel Aboulrouss a rassemblé cinq groupes parmi ses jammers, composés d’un réalisateur et d’un chef opérateur, qui ont chacun adapté une partie du texte de Salomé. Une adaptation libre, très libre, une inspiration plutôt, un point de départ, chacun ayant pris le texte dans un chemin qui lui ressemblait. Si on devait mettre en quelques mots l’essence de ce texte, de ce dialogue entre un homme et une femme, ce dialogue aux mille et une nuances, échos et répercussions intérieures, ce serait aussi simplement ces quelques mots échangés; Lui: Tu veux me quitter? Elle: je veux me retrouver. Et c’est presque tout.
Et le résultat cinématographique est impressionnant. D’autant plus qu’il a été réalisé en dix jours seulement. Parce que Muriel Aboulrouss voulait garder l’aspect impulsif justement, comme d’ailleurs le révèle le titre du film Impulse. Une nouvelle fois, ses «jammers» frappent fort, encore plus fort peut-être. Rakan Mayasi et Pauline Maroun, Alicia Fahed et Rachelle Noja, Elie Fahed et Karim Ghorayeb, Rémi Maksoud et Samir Syriani, Inaam Attar et Elsy Hajjar; Prologue, Night Walk, Habibi, Applause, Nest; les cinq séquences se suivent sans se suivre, se prolongent l’une l’autre, se répondent en écho. On passe des couleurs au noir et blanc, de l’image claire à l’image embuée, d’une émotion à une autre. Avec toujours cette même audace, cette volonté d’aller au-delà de l’attendu, du conforme. Ils osent triturer leurs émotions les plus intimes, leur vécu le plus profond, pour nous plonger dans une nouvelle vision cinématographique, humaine, expérimentale où leur imaginaire s’emmêle au nôtre.

Nayla Rached

Prochaines projections
Le film Impulse, ainsi que certains courts métrages réalisés dans le cadre de Ciné-Jam seront projetés durant la 7e édition du NDU International Student Film Festival qui se tiendra du 10 au 17 novembre, à l’Université Notre-Dame, à Louaizé.
www.ndu.edu.lb/studentfilmfestival

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