Magazine Le Mensuel

Nº 2924 du vendredi 22 novembre 2013

Événement

Fête de l’Indépendance. Une commémoration qui ne fait plus l’unanimité

Insécurité à Tripoli et dans la Békaa, sur les lignes frontalières avec la Syrie, crise économique aiguë, démission des institutions, corruption, sectarisme, communautarisme, confessionnalisme, deux millions de réfugiés syriens disséminés dans toutes les régions… le panorama libanais n’est guère encourageant. A la lumière de ces données pessimistes, comment le citoyen perçoit-il la fête de l’Indépendance? Jeunes et moins jeunes répondent à notre sondage.
 

Le 22 novembre 2013, le Liban célèbre la fête de l’Indépendance acquise en 1943 avec la fin du mandat français. Comme chaque année, le 22 novembre, date de l’Indépendance, toutes les instances impliquées par cette commémoration s’affairent. Les invitations aux officiels sont lancées. Une énorme estrade occupe le centre-ville où personnalités politiques et diplomatiques s’installeront pour assister aux acrobaties de l’aviation libanaise et aux défilés militaires des chars et des soldats, mais aussi écouter le discours du président de la République Michel Sleiman. Dans un rituel immuable, le palais de Baabda ouvrira ses portes aux citoyens qui désirent féliciter le chef de l’Etat, symbole de l’indépendance de la République. Et c’est là que le bât blesse. De plus en plus nombreux, les Libanais toutes confessions, toutes communautés et toutes allégeances politiques confondues considèrent que la date du 22 novembre ne représente plus rien. Leurs rasions s’articulent autour de deux grandes questions principales: la quasi-absence des institutions et l’insécurité sur plusieurs fronts.
«Je me demande comment les responsables libanais ont le culot de célébrer l’indépendance du pays, alors que toute une région libanaise se trouve à feu et à sang et à la merci d’une bande de voyous alliés à la Syrie, se révolte Ahmad, un jeune universitaire de Tripoli. Il est inconcevable de faire comme si de rien n’était. Que l’armée, dernier bastion des institutions, ne puisse pas agir pour mettre fin, une fois pour toutes, à cette insécurité qui fait que Tripoli ne fait plus partie des priorités des Libanais, est honteux. C’est comme si les responsables savaient en quelque sorte que le nord du Liban ne lui appartient plus et le laissent sous la dépendance d’agents irano-syriens».
Telle est également l’impression de Hassan, alaouite habitant Jabal Mohsen, qui reprend en termes presque exacts ceux d’Ahmad, mais en inversant les accusations. «Où est donc l’Etat? Comment peut-il permettre à une poignée de criminels de décider de nos vies et de nous encercler? Ces agents à la solde de l’Arabie et du Qatar doivent être immédiatement arrêtés pour qu’une vie normale reprenne dans notre région. Au lieu que les responsables perdent leur temps à célébrer une commémoration qui n’existe que dans leur tête, qu’ils agissent».
«Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Liban, placé sous protectorat français, est soumis à l’autorité des forces françaises, explique Walid, un jeune militant. En 1943, les Libanais célèbrent en grande pompe ce qu’ils ont estimé être une reconnaissance de leur droit de s’autogouverner. Actuellement, je pense que le peuple regrette cet instant où le Liban est passé des mains des Français à celles des responsables libanais. Un retour en arrière nous montre que le déroulement des événements est sombre: d’une guerre à l’autre, d’une ingérence à l’autre. Nous étions sous mandat français, maintenant nous sommes sous mandat de tant et tant de pays. Une haine viscérale ronge les habitants d’un même pays au titre de confessionnalisme et même de communautarisme. Dilapidation des biens de l’Etat, corruption, horizon bouché… et au lieu de s’améliorer, la situation ne fait qu’empirer. J’ai honte de célébrer le 22 novembre. J’ai honte que nos responsables parlent d’indépendance à l’heure où le pays n’a jamais été aussi dépendant des bras de fer régionaux et internationaux».
Il nous a fallu chercher longtemps pour trouver des témoignages enthousiastes de cette journée. Hana, femme au foyer, considère que, certes les choses vont mal, mais il serait «inconcevable de ne pas commémorer cette date». Khodor, garagiste, confirme que la situation est intenable, mais se dit satisfait quand même que les autorités officielles se réunissent et que les forces militaires paradent. «Il faut préserver au moins l’image», dit-il avec un sourire en coin. Mahmoud, lui, défend cette date avec beaucoup de véhémence. «Tant de morts sont tombés pour que le Liban devienne souverain et indépendant. Certes, la situation est difficile, les institutions sont paralysées, une totale insécurité prévaut, mais nous devons poursuivre la lutte au nom de tous nos martyrs et ne surtout pas baisser les bras».

Danièle Gergès

VPFL descend dans la rue pour réclamer une réelle indépendance
Fort de ses 15 000 membres − un nombre qui ne cesse d’augmenter − proche aussi bien du 14 et du 8 mars, carrément indépendant, le groupe Very Proud Free Lebanese (VPFL) a lancé une campagne sur les réseaux sociaux dénonçant avec virulence les exactions commises par les dirigeants libanais qui, par leurs prises de position, leur vision étroite de ce que doit être le Liban, ont entraîné le pays dans une spirale destructrice sans fin. Des jeunes, des moins jeunes, des hommes, des femmes de toutes les régions, de toutes les confessions, de toutes les communautés, de diverses opinions publiques se sont retrouvés dans ce groupe. Ils sont tous passionnément engagés pour tenter de changer les choses, pour faire du Liban un Etat de droit qui respecte le citoyen en tant que tel. Les membres du groupe considèrent − entre autres − que le Liban n’a pas le droit de commémorer la fête de l’Indépendance au moment où les choses vont si mal sur tous les plans et que toutes les institutions sont paralysées. «Devant tant de sectarisme, de confessionnalisme, de communautarisme, comment peut-on parler d’indépendance quand le Liban va si mal?» «La vraie indépendance ne sera atteinte que lorsque les Libanais réaliseront que leur allégeance doit être au Liban et non aux ‘tribus’» «Nous prétendons être un Etat 
indépendant. Mais de quelle indépendance 
parlons-nous? Le Liban est plus que jamais sous mandat. Sous le mandat d’Israël, de l’Arabie 
saoudite, du Qatar, de la Syrie, de l’Iran, de la France, des Etats-Unis». Fort de l’écho positif qu’il a reçu sur les réseaux de communication, le groupe a décidé de manifester dans la rue le 
vendredi 22 novembre de 11 à 12h à Aïn 
el-Mreissé pour réclamer une «réelle» 
indépendance du pays. Les membres du groupe demandent à tous les Libanais, toutes tendances confondues, de les rejoindre en brandissant  le seul drapeau libanais. Le groupe estime que les partis politiques, en voulant chacun s’approprier le pays, ont entraîné sa perte. De participer aussi pour réclamer que les instances régionales et internationales respectent le Liban et son indépendance, non pas à force de déclarations tonitruantes vides de tout sens, mais en cessant réellement leurs ingérences au Pays du Cèdre.

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