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Nº 2926 du vendredi 6 décembre 2013

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Wassyla Tamzali. «L’islam est arrivé à un carrefour»

Cette militante algérienne et musulmane du droit des femmes rappelle que la gent féminine, grande oubliée des soulèvements de la région, occupe pourtant une place centrale dans les évolutions à venir au Moyen-Orient. Interview de Wassyla Tamzali, rencontrée dans le cadre du Salon du livre francophone de Beyrouth.
 

Comment décririez-vous l’évolution des soulèvements dans la région?
On parle beaucoup de printemps ou d’hiver. Pour rester dans la métaphore météorologique, je préfère parler de dégel. On est en train de vivre le dégel de cinquante ans de dictature. Il faut comprendre que tout au long de ces années, les régimes autoritaires ont agi au nom de la tradition. Ceux qui ont profité de ces dictatures, car ils les ont savamment utilisées, ce sont les courants religieux, créés pour contrebalancer le désir de démocratie de la jeunesse. Dans ces pays-là, aujourd’hui, c’est tout un système qui est en train de craquer.   

Le terme de «révolution» vous convient-il?
Comme l’expliquait le philosophe Michel Foucault, au moment de la révolution iranienne contre le Chah, on ne fait jamais la révolution contre quelque chose, on la fait parce qu’on arrive à saturation. Ceux qui ont fait la Révolution française ne l’ont pas fait pour la démocratie. En Egypte et en Tunisie, le peuple a exprimé un ras-le-bol. Ces révolutions ont apporté quelque chose d’inédit, elles ont mis en avant le sentiment que nous n’aurions jamais exprimé, ni même pensé, c’est la liberté. Non pas la liberté individuelle, qui se situe sur un autre plan, mais la libération collective.

Quels changements, selon vous, ces mouvements ont-ils apporté?
L’Histoire nous a appris que les révolutions mettaient en avant un sentiment nouveau. Dans nos pays, je ne suis pas sûre que nos intellectuels aient défendu la liberté. Dans nos pays, nous sommes encore mus par le sentiment nationaliste que la décolonisation a exacerbé, mais les discours nationalistes et religieux sont aujourd’hui décrédibilisés. C’est sans doute l’apport le plus original des mouvements arabes. C’est ce qui restera à la suite des contre-révolutions qui ont lieu aujourd’hui, et qui vont prendre du temps.

Quelle place donnez-vous à l’Occident dans ce contexte?
Lorsque l’Occident nous regarde, il pense encore que nous sommes incapables d’atteindre la liberté. Ils ont considéré l’arrivée au pouvoir des islamistes comme le résultat de la révolution. Or, il s’agit là d’une contre-révolution. La grande erreur des politiques européens est d’avoir cru que le fait qu’un parti islamiste qui entre dans un processus démocratique se démocratise. En réalité, c’est l’inverse qui se produit.     

Vous ne croyez pas au pouvoir modérateur de l’exercice du pouvoir?
Je me méfie de la modernité qu’ils affichent. Ils mêlent Dieu à la société de consommation, au marché. Quand un parti islamique prend le pouvoir, il confond tout de suite la majorité et l’hégémonie. Pour lui, la démocratie n’est pas une majorité qui gouverne dans le respect des minorités. Il veut imposer son point de vue hégémonique sur des questions de fond de la société. Cela s’appelle un coup d’Etat.

Est-ce l’islam qui est en cause?
Je crois que, dans le monde musulman, l’islam est arrivé à un carrefour. Il doit se réformer de l’intérieur. Le mouvement de la pensée islamique réformatrice n’a enregistré aucun succès sur le terrain du dogme et de l’orthodoxie. Ses parangons ne sont même pas reconnus, ils sont souvent humiliés par ceux qui font des fatwas dans tous les sens. C’est la grande énigme de cette religion qui marginalise ses esprits les plus brillants et qui sanctifie les paroles les plus débiles que l’on peut entendre. Les peuples arabes commencent à faire la différence entre la religion et son utilisation politique, à distinguer l’islam et l’islamisme. Aujourd’hui, il y a des femmes voilées qui manifestent contre le parti Ennahda en Tunisie, et contre les Frères musulmans en Egypte.

Quel regard portez-vous sur le Liban, dans cette atmosphère de révolutions arabes?
Il y a une chose qui semble constante au Liban, c’est l’apparence d’une vraie modernité de comportement, d’attitude, surtout visible chez les femmes. Il s’agit là d’un mouvement à contre-courant dans les pays de la région qui vont vers plus de plus en plus de restrictions, vers un clash qui semble inévitable.

Dans votre dernier ouvrage collectif, Histoires minuscules des révolutions arabes, les anecdotes que vous avez recueillies tournaient principalement autour de la question de la sexualité.
Dans nos pays, le corps des femmes est au cœur de leur oppression. Plus elles sont opprimées, plus on s’intéresse à leurs corps. Donc, on les cache. La séparation des espaces publics, masculins, et privés, féminins, est un phénomène antérieur aux religions. Certes, les femmes évoluent aujourd’hui dans l’espace public mais avec les règles séculaires. Un juriste tunisien explique que le contrôle exercé sur les femmes est l’expression d’un refoulé qui sort.

Dans ce livre est publié le texte d’un psychanalyste égyptien…
Il s’agit d’un texte sur la violence contre la jeune fille au soutien-gorge bleu de la place Tahrir [traînée sur la chaussée par son abbaya au cours d’affrontements au Caire et qui se retrouve le ventre à l’air, malgré elle, sous les coups des militaires]. Un texte puissant qui donne l’impression que son auteur est fasciné par cette violence. Il me répond que tous les hommes arabes sont fascinés par la violence faite aux femmes et c’est notre inconscient qui parle.

La féministe en vous a dû bondir!
Je suis arrivée à la conclusion que quand on évoque l’islam pour justifier certaines pratiques contre les femmes, on est plus sur la morale sexuelle qu’à la religion. La sexualité est toujours présente dans la religion mais, contrairement aux chrétiens qui ont été désexualisés en faisant de la sexualité le péché le plus terrible, la religion musulmane va faire de la pratique sexuelle pour l’homme pratiquement l’un de ses devoirs. Le plaisir physique est l’un des chemins qui mènent à Dieu, et le résultat est effrayant.

Propos recueillis par Julien Abi Ramia
 

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