Magazine Le Mensuel

Nº 2927 du vendredi 13 décembre 2013

Spectacle

Alexandre Paulikevitch. L’artiste qui révèle l’âme de la danse baladi

Alexandre Paulikevitch revient sur scène avec Elgha’. Ce spectacle explose de virtuosité et de passion. L’artiste s’impose sur scène et dénonce avec les vibrations de son corps délié «l’obscurantisme et l’oppression». Rencontre avec un danseur extraordinaire qui cherche toujours à dépasser ses limites et nous incite à dépasser les nôtres.
 

Le revoilà donc avec son corps gracile et étiré, son regard volontaire et provocateur qui défie le monde. Il entre en scène. Sa longue silhouette filiforme se délie. Son énergie retenue occupe toute la scène et déborde sur les spectateurs. Quand Alexandre Paulikevitch danse, le monde retient sa respiration. La danse baladi se taille une place de choix dans son nouveau spectacle Elgha’. Une révélation éblouissante. «La danse? C’est ma raison d’être. Mon souffle de vie. Mon inspiration profonde», murmure Alexandre. Cet artiste est unique. Unique non seulement par la virtuosité et l’exigence à laquelle il soumet son corps. Pas seulement par la finesse avec laquelle il aborde la danse. Unique aussi par son besoin brûlant de relever les défis, d’envoyer des messages intenses et courageux. Dire que ce danseur est atypique est un euphémisme. Il est toujours en révolte. Quand il danse, Alexandre a quelque chose à dire et il place, encore une fois, la barre haut: «Le message essentiel de mon spectacle, confie-t-il à Magazine, est la libération des corps. Je considère la danse un acte de résistance à l’obscurantisme et à l’oppression. Nous vivons à une époque où il y a de plus en plus de violence vis-à-vis des corps et principalement envers ceux des femmes que l’on veut voiler et des homosexuels que l’on veut réprimer. On ne discute plus. On ne communique plus. On oppresse. On réprime». «L’une de mes sources d’inspiration pour ce spectacle, poursuit l’artiste, ce sont les workshops que j’ai faits au Caire. Pendant mes deux séjours qui ont eu lieu lors de la première révolution et puis en plein référendum sur la Constitution, je me suis rendu à plusieurs reprises à la place Tahrir, sachant qu’il y a eu des viols collectifs à cet endroit. J’ai constaté de mes propres yeux qu’à chaque fois qu’il y a de grands bouleversements politiques, il y a des maillons faibles qui en payent le prix et il s’agit principalement des femmes et des homosexuels et cette rage devant tant d’injustice, je la traduis avec mon corps, ce corps que l’on veut oppresser. J’ai toujours été très actif pour défendre les droits de la femme. Mon activisme est ancré dans mon évolution. Les images d’horreur sont envahissantes. J’essaie de les traduire dans ma danse pour les transcender. J’essaie de dire aux obscurantistes, aux extrémistes religieux de tous bords: vous ne nous aurez pas». En Egypte, berceau de la danse baladi comme l’artiste préfère qualifier ce que l’on appelle communément la danse orientale, la danse souffre depuis la montée de l’extrémisme. Cet art est-il en danger? «Oui, répond-il doucement. Les danseurs sont inquiets sur le sort de la danse, très mal vue actuellement du fait des pressions sociales, culturelles et religieuses. En Egypte, on ne danse plus».
On sort transformés de ce spectacle. On sort avec une envie de résister aux mauvaises influences, de refuser de suivre comme un mouton. On sort avec la conviction profonde que lorsqu’on a des passions, il faut s’y accrocher. Alexandre Paulikevitch nous éblouit par sa virtuosité de danseur, mais aussi réussit-il à nous réveiller, à nous secouer, à nous rendre différents.

Danièle Gerges

Le spectacle se déroule, au théâtre Tournesol, à Tayouné, du 12 au 15 décembre.

L’artiste en bref
Né en 1982, Alexandre Paulikevitch est un artiste libanais vivant à Beyrouth, au Liban. Après avoir été diplômé de l’Université de Paris VIII avec un diplôme en théâtre et danse, il a travaillé avec la société de Leila Haddad à partir de 2002 jusqu’à 2004, à l’Ecole de danse du Marrais à Paris et a participé à de nombreux ateliers dont ceux de Gilles Jobin, Atsushi 
Takenushi, Peter Goss… Depuis son retour à Beyrouth en 2006, il a été créé des espaces de réflexion sur la danse du Moyen-Orient à travers son travail de chorégraphe, et donne des cours de danse baladi…

Related

Alice de Sawsan Bou Khaled. Vers le ciel ou vers l’abîme

L’illusion conjugale. Rires et bons mots

Fatmeh. Quand la mélancolie se fait plaisir du corps

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.