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Nº 2932 du vendredi 17 janvier 2014

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Antonio Seguí à la galerie Janine Rubeiz. Reflet d’un monde grinçant

La galerie Janine Rubeiz accueille, jusqu’au 8 février, la troisième exposition à Beyrouth du peintre argentin Antonio Seguí, une quinzaine de toiles et quelques sculptures, images grimaçantes de l’homme moderne.
 

Des hommes, des femmes, des chiens, en laisse ou sans laisse, des bustes, des têtes, des chapeaux, entre les arbres, entre les immeubles, entre les ruelles, les fumées des cigarettes, les fumées des cheminées, une vue de toits fumants, un bout de ciel qui change de couleur, un tapis de verdure, des voitures… des mots qui se répètent en espagnol… Les personnages d’Antonio Seguí sont autant d’individus empruntés à la vie quotidienne, à la vie urbaine. Autant d’individus qui se croisent sans jamais se croiser, qu’on pourrait tous, croiser dans les rues sans jamais vraiment les croiser. Pressés, préoccupés, le regard presque vide et pourtant animé d’une pensée, d’une idée fixe, de rien, qu’ils restent figés, qu’ils semblent marcher, courir, se précipiter, de face de profil, chaque personnage d’Antonio Seguí est animé d’une vie qui lui est propre, d’une multitude de vies, tellement imperceptibles qu’elles crèvent la toile, en ressortent jusqu’à troubler la perception première du visiteur.
La galerie Janine Rubeiz présente la troisième exposition d’Antonio Seguí à Beyrouth. Une quinzaine de toiles représentatives d’une nouvelle évolution de l’artiste et, pour la première fois à Beyrouth, ses sculptures en acier corten, cinq sculptures. Des sculptures, plutôt des objets atypiques, qui sortent réellement de l’ordinaire, de la conception généralisée de la sculpture. Des pieds qui semblent en mouvement, des pieds portant un chapeau, un buste d’homme la cravate rouge à l’air, un buste d’homme une chaussure sur la tête… et toujours un brin de couleur, un brin de fantaisie. Tous ces éléments ne sont pas étrangers à l’univers d’Antonio Seguí; ce sont souvent des détails de ses toiles, qu’il présente isolés du reste et agrandis. Le regard du visiteur ne peut s’empêcher de s’y poser, aussi longtemps que nécessaire, voire plus, pour s’imprégner à fond de l’originalité que chaque sculpture présente, son absurdité, sa modernité, sa mise en scène. Son inquiétante étrangeté, familière pourtant, et c’est en cela que réside son attraction. On y revient encore et encore, et on ne cessera de revoir ces sculptures même quand on s’en éloigne, de les imaginer, de construire tout autour autant de mises en scène, de possibles, autant d’histoires, une multitude d’histoires.

 

Cette inquiétante étrangeté
«Les moyens, dit Antonio Seguí, ne sont autre chose que ce qu’ils sont: une force dirigée vers une finalité donnée. Seule la fin me paraît importante dans la mesure où elle transmet une sensibilité». Aussi, écrit le critique d’art et journaliste Edward Shaw, «à travers ses peintures et ses sculptures en acier corten, nous nous immergeons dans le monde d’Antonio Seguí, un monde en mouvement, où les gens solitaires dans la foule, courent, marchent, se croisent sans se voir. Rien, ni avion, ni immeuble se dressant devant eux, rien ne les arrête, rien ne les abat, rien ne les étonne; ils continuent leur chemin. Dans cette comédie humaine du XXIe siècle dont les personnages sous des dehors argentins, sont universels, Seguí, qui nous a souvent dit: ‘‘A vous de faire l’histoire’’, nous laisse le choix de trouver les raisons de désespérer mais surtout d’espérer».
Et les raisons universelles de désespérer éclatent dans l’œuvre d’Antonio Seguí, en toute subtilité: l’urbanisation outrancière, la corruption, l’argent, l’industrialisation des villes, la solitude, l’anonymat, le manque de temps, le changement statique… Même si ses personnages semblent emprunter leurs traits aux arts de la bande dessinée, même si souvent les couleurs utilisées sont éclatantes, tellement éclatantes, même si l’agencement, la position, le déplacement, la proportion de tous les éléments des toiles semblent relever d’un imaginaire aux contours débordants des limites du rêve, même si chacun des détails relève tout autant de l’onirique que du fantastique, les toiles d’Antonio Seguí nous ramènent, contradictoirement à la fois tout près du réel que de l’impossible, tout près du pragmatisme de la terre que de l’infini du ciel.

Leila Rihani

L’exposition se poursuit jusqu’au 8 février, à la galerie Janine Rubeiz, à Raouché, du mardi au vendredi de 10h à 19h, et samedi de 10h à 14h.
www.galeriejaninerubeiz.com

Antonio Seguí, en quelques dates
Né à Córdoba, Argentine, en 1934, Antonio Seguí quitte définitivement son pays natal une trentaine d’années plus tard pour 
s’installer en France, à Paris d’abord, puis à Arcueil où il occupe le même atelier depuis son arrivée. Seguí compte à son actif plus d’une centaine d’expositions personnelles, il a remporté prix et récompenses sur les cinq continents et enseigné à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts. Son œuvre est entrée dans les plus grandes collections des musées du monde.
Expositions précédentes d’Antonio Seguí à Beyrouth, à la galerie Janine Rubeiz:
n 1995: Le voyage d’Antonio Seguí.
n 2005: Le retour d’Antonio Seguí, 
Les voyageurs sans bagages d’Antonio Seguí.

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