Magazine Le Mensuel

Nº 2943 du vendredi 4 avril 2014

general

Elie Assaf. Le serviteur de la République

Un homme d’une grande discrétion, il s’est éloigné depuis plusieurs années du paysage audiovisuel, sans pour autant cesser d’être actif. Il parle peu, mais ses nombreuses réalisations le font pour lui. Economiste, éditorialiste, fondateur de l’Ena-Liban, il est directeur général à la présidence de la République. Parcours exceptionnel d’Elie Assaf qui se veut avant tout le serviteur de la République.

C’est dans son bureau au palais présidentiel qu’Elie Assaf nous reçoit. D’une grande courtoisie, quelque peu réservé, il revient sur le passé pour nous parler de son parcours, de son expérience, de sa vision et de ses projets. C’est une formation pluridisciplinaire qu’Elie Assaf a reçue mais, en concertation avec le R.P. Jean Ducruet, il opte pour l’économie. Il obtient une licence et une maîtrise en économie de l’Université Saint-Joseph. Faute d’études de troisième cycle dans les années 75-76, c’est à Paris I Panthéon-Sorbonne qu’il poursuit ses études supérieures de  1976 à 1981, couronnées par un doctorat de troisième cycle en économie de l’entreprise et par un doctorat d’Etat en sciences économiques.
De retour au Liban, en 1981, il entame sa carrière dans l’enseignement supérieur à l’Université Saint-Joseph, puis à l’Université libanaise et, enfin, à l’Université américaine de Beyrouth. «J’ai commencé, alors, à intervenir dans les médias. Editorialiste au Commerce du Levant pendant des années, je me suis fait connaître à travers mes écrits. A cette époque, j’étais très sollicité par les médias et j’étais souvent présent dans la presse écrite et l’audiovisuel libanais», raconte Elie Assaf. Il dirige la faculté de science et de gestion de l’UL. Sous sa houlette, le département des sciences économiques, qui n’existait presque pas, est renforcé et devient très compétitif. Doyen de la faculté d’information et de documentation de l’UL, il crée le DES de journalisme en collaboration avec l’IFP (Institut français de presse qui relève d’Assas) et le CFPJ (Centre de perfectionnement des journalistes à Paris). «Un centre de qualité et d’excellence. Sur une dizaine d’années, plus de trois cents professionnels des médias y ont été formés».

 

De la présidence aux douanes
Il est appelé, un jour, par le président de la République, Elias Hraoui, qui lui expose les problèmes financiers et administratifs que connaît Jean-Claude Boulos à Télé-Liban. A l’issue d’une réunion avec ce dernier, il prépare un rapport détaillé sur la situation et le soumet au chef de l’Etat. «Il était très attentif à mes propos et à l’issue de la rencontre, il me propose le poste de directeur général à la présidence si je ne voulais plus être reconduit en tant que doyen d’université. Je me souviens encore de ses paroles: take your time». Après réflexion, Elie Assaf accepte le poste. Mais quelque temps plus tard, le président Hraoui fait de nouveau appel à lui et en présence de Rafic Hariri, alors chef du gouvernement, il lui dit: je vous veux directeur général des douanes. «Je lui explique que ce n’était pas mon domaine et que je n’avais jamais travaillé dans ce secteur auparavant. Hariri intervient alors: «Vous êtes un grand économiste. Les douanes ne devraient vous poser aucun problème». De fait, il réforme le système des douanes et y introduit l’informatique en collaboration avec des experts français.

 

Création de l’Ena-Liban
Au début du mandat du président Emile Lahoud, il réintègre son poste de directeur général à la présidence de la République et prend en charge le dossier académique et celui de la francophonie. Les réalisations d’Elie Assaf ne s’arrêtent pas là. «J’avais en tête une idée réformatrice pour l’administration publique du Liban, celle de créer une école capable de former les futurs gestionnaires et administrateurs de l’Etat». Il en parle à l’ambassadeur de France de l’époque, Daniel Jouanneau, qui lui ouvre les portes de la fameuse Ecole nationale d’administration (Ena) en France. «J’ai été voir le directeur de l’Ena, Raymond-François Le Bris, et c’est avec lui que j’ai fondé l’Ena-Liban qui fut inaugurée en présence du président Jacques Chirac pendant le sommet de la Francophonie au cours d’une grande cérémonie au Liban». Jusqu’en 2008, il occupe le poste de directeur général de l’Ena-Liban, date à laquelle il retrouve ses fonctions au palais présidentiel.

 

Entre le privé et le public
Depuis son jeune âge, Elie Assaf opte pour le service public et nourrit une ambition pour la réforme de l’Etat et sa modernisation. Son souci majeur est de savoir comment le Liban peut s’adapter à la mondialisation, accompagner l’évolution et suivre la marche du siècle. «Il est évident que le Liban possède des ressources énormes à tous les niveaux, surtout humaines, mais ce qui manque c’est un nouveau management au niveau de l’Etat, une vision claire de celui-ci». Ce qui attriste Elie Assaf c’est de constater que la majorité de ses étudiants en troisième cycle souhaitent quitter le pays. «Là, je trouve que la substance vitale de notre Liban est touchée par une maladie chronique: celle de l’émigration. La diaspora est certes une richesse, mais si elle dépasse une certaine limite, elle devient nocive. C’est là que l’Etat devrait remplir son rôle et sa fonction». Lorsqu’on lui pose la question de savoir s’il était pour ou contre la privatisation alors qu’il était président de l’Ena, il répond que la question qu’on devrait se poser dans tous les pays du monde serait plutôt celle de savoir si on voulait plus d’Etat ou moins d’Etat. «Moi, je veux un ‘‘mieux’’ d'Etat. Ce serait un mixage entre le nouveau management public et le dynamisme du secteur privé. Le Liban est capable de créer cette nouvelle formule qui donnera, à mon avis, d’excellents résultats».
Elie Assaf fait partie de ceux qui croient profondément, malgré tout, en ce pays. «Je n’ai jamais voulu quitter le Liban. J’ai toujours servi la République. Je suis un de ses serviteurs par conviction et cela est un défi intellectuel pour moi. Ne sommes-nous pas capables d’avoir un pays, un Etat, une société et une économie comparables à toutes les sociétés du monde?». Selon l’économiste, l’expérience politique et l’allégeance de certaines factions à des Etats étrangers ont entravé la réalisation de ce Liban auquel nous aspirons. «Nous avons une élite exceptionnelle dans le secteur privé. Ma conviction, après toutes ces années d’expérience, c’est qu’il faudrait qu’une partie d’entre elle intègre le service public». Le problème au Liban actuellement est l’éloignement de la jeunesse intellectuelle de la fonction publique. «Il faut que l’Etat appelle ces jeunes. Le service privé ne peut à lui seul tout construire, il a besoin du public. Le privé ne peut pas vivre sans le public et l’inverse est vrai».
Lorsqu’on l’interroge sur ses projets d’avenir, Elie Assaf répond avec beaucoup de simplicité et de modestie: «Je suis là depuis trois mandats. Je suis le serviteur de la République. J’irai là où la République a besoin de moi». Pour obtenir cet entretien, il nous a fallu vraiment insister. «Je ne veux plus passer dans la presse. Quand j’étais à l’Ena, j’ai accepté de recevoir les médias, mais j’ai voulu m’en éloigner un peu. Il faut que la jeunesse contribue à la modernisation du régime politique libanais. Je serai tout le temps là, présent dans les universités, dans les colloques et les rassemblements pour développer mes propres idées mais loin des médias». Serait-il dégoûté du système et de son fonctionnement pour s’en être éloigné? «Peut-être, dit-il, car nous vivons ‘‘l’inaptocratie’’ selon Jean d’Ormesson qui se définit comme un système de gouvernement où les moins capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire et où les autres membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes ou à réussir, sont récompensés par des biens et des services qui ont été payés par la confiscation de la richesse et du travail d’un nombre de producteurs en réduction continue. Pourtant, il ne faut pas baisser les bras. Il faut rester combatif et espérer dans l’avenir. Et comme on dit: tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir». 


Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR

Un réformateur
Malgré toutes ses réalisations, Elie Assaf a envie de faire encore autre chose. Il se voit en réformateur qui veut réorganiser l’Etat. Il a assisté à plusieurs sommets de chefs d’Etat, à des congrès internationaux, à des 
séminaires. Il a, également à son actif, plusieurs publications dans le domaine de l’économie et des finances. Il a aussi 
participé à la relance de l’économie libanaise en 1993 et a fait partie de la commission des huit experts qui ont établi un document de haute importance pour le redressement et la relance du Liban. La France lui a remis la Légion d’honneur, grade commandeur. Une décoration qui le remplit «de fierté et de reconnaissance» à l’égard de la France. 

 

Témoin de trois mandats
Elie Assaf a accompagné trois mandats 
présidentiels. «Celui du président Elias Hraoui avec Rafic Hariri a représenté le démarrage et la reconstruction du Liban, des institutions et de l’économie. Sous le mandat du président Emile Lahoud, j’étais plus actif à l’Ena qu’à la présidence. Quant au mandat du président Michel Sleiman, il représente la stabilité et la croissance au Liban. J’ai 
contribué auprès de lui à préserver la stabilité et à promouvoir la croissance. Mais les événements ont perturbé la stabilité et baissé la croissance tombée à -2%».

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