Magazine Le Mensuel

Nº 2948 du vendredi 9 mai 2014

Culture

Sur les planches

Borderline
Quand Babel s’effondre
 

La Beirut Dance Company présente au théâtre Monnot, jusqu’au 11 mai, la performance Borderline sur une chorégraphie de Nada Kano, fondatrice de la compagnie. Et le corps érige la condition humaine.

Un tableau. Epuré. Une impression de classicisme où chaque détail semble poli jusqu’au bout. Dès l’entrée des spectateurs dans la salle, la scène est déjà plongée dans une semi-pénombre où les cinq danseurs, tels d’imposantes statues, sont debout, le dos tourné, sur de hauts socles recouverts d’une longue étole qui tient lieu de jupe. Musique. Jeux d’éclairage. Les bras commencent à osciller, les corps se retournent, doucement, lascivement, en un mouvement synchronisé. Expression figée. Cheveux tirés en arrière. Stature imposante. Aucune fantaisie. Hommes. Femmes. Des androgynes presque. Des êtres asexués. Tout semble parfait, pur. Tout est à sa place. Tout semble beau. Progressivement, les corps se libèrent, les passions s’enchaînent. L’Homme se réveille. La condition humaine se dessine dans ses multiples remous, déchaînés, enchaînés.
Le spectateur se laisse aller à invoquer dans son imaginaire images sur images, sensations sur impressions, l’une naissant de l’autre, avant de l’étreindre, l’éteindre, pour en allumer une autre. Autant de perceptions que la chorégraphie, menée par une maîtrise envoûtante, engendre d’un simple mouvement du corps. Chadi Aoun, Kim Baraka, Maya Nasr, Joanna Aoun et Cindy Germany sont un et multiples à la fois, un reflet de tous les spectateurs, de nous tous. Nos désirs, nos envies, nos peurs, nos ambitions, nos péchés, nos démons, nos exploits, nos splendeurs, nos misères. L’Homme encore une fois. D’androgyne il devient individu.
Borderline, aller au-delà des limites. Briser les limites, de la matière, du corps. C’est exactement ce que tente de faire Nada Kano. Ce qu’elle a fait. Son exigence professionnelle est visible dans chaque tension des muscles des danseurs de la Beirut Dance Company. A l’image de ce mouvement qui se répète, cercle vicieux, tout au long de la performance. Les danseurs, en solo ou dans un mouvement d’ensemble, se lancent, s’élancent, la tentation première se fait violence, et ils percutent un mur invisible qui les stoppe dans leur élan et les propulse, que de fois, en arrière, pour tomber à terre, se relever, reprendre le mouvement.
La performance aurait peut-être gagné à se resserrer vers la fin notamment où elle s’étale en longueur, où les gestes deviennent répétitifs. Ce qui aurait peut-être mieux mis en relief certains tableaux surprenants d’inventivité où éclate l’audace créative de la chorégraphe, pour engendrer cet instant poétique né de «la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie». Et la performance s’achève sur un tel instant, un tableau déroutant qui surgit au moment où on s’y attend le moins.

Borderline, c’est ce week-end encore, jusqu’au 11 mai, à 20h30, au théâtre Monnot.

Zoukak Sidewalks
Accueille la compagnie Du Zieu
Dans le cadre du programme Zoukak Sidewalks, la compagnie théâtrale Du Zieu, codirigée par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, a atterri au Liban pour donner des ateliers de travail et présenter deux performances.
Othello, variations pour trois acteurs, sera présenté ce soir encore, le 9 mai, à 20h30, sur la pelouse de l’Institut français (billets à 20 000 L.L.). En partant de la célèbre pièce de Shakespeare, trois comédiens, magnifique prestation, donnent à voir et à réfléchir sur l’Othello des temps modernes, «cet étranger d’ici et de partout». Sur ce parterre qu’est le drapeau de l’Union européenne, c’est la désunion, c’est un ring, un duel, un lieu de combat entre l’Autre, le Pouvoir, l’Amour, la Justice, l’Argent…
La performance L’Avantage du Printemps est prévue le lundi 12 mai, à 20h30, à la salle Montaigne de l’IFL. Une pièce courte ayant pour thème de départ les clichés et les stéréotypes culturels véhiculés entre l’Orient et l’Occident. Dans une Europe où le pouvoir politique, comme le pouvoir de l’art, doute de ses propres capacités, on se tourne volontiers vers le non-européen comme vers ce qui entretiendrait encore un rapport effectif à des situations critiques.
Billets à 15 000 L.L.

Mara Lawahda
Actrice, mime, marionnettiste, Khouloud Nasser se glisse dans la peau d’Une femme seule, titre de la pièce de Dario Fo et Franca Rame, dans une mise en scène de Chadi Haber. Ecrite en 1977 sous forme de monologues pour cinq personnages féminins, la pièce est toujours d’actualité. Elle explore toutes les formes de violence que la femme subit dans une société patriarcale. Une pièce audacieuse qui brise les tabous et renforce le fait que la violence engendre la violence.
Jusqu’au 11 mai, à 19h, au théâtre Monnot.
Billets en vente à la Librairie Antoine: 20 000 L.L.

Tout en musique
Pour que l’amour triomphe

Shwayit souwar, de Tania Saleh
L’album Tania Saleh est sorti en 2002. L’artiste a dû attendre une dizaine d’années avant de sortir son 2e album, Wehdé, période durant laquelle elle a lutté pour récolter les fonds nécessaires avant de se résoudre à l’autofinancement, encore une fois. Depuis deux ans environ, elle planche sur son 3e album studio, son album Live étant entre-temps sorti après la même galère financière. Combien d’années devra-t-elle encore attendre pour sortir son 4e opus, Shwayit souwar?
Parce que tout le temps écoulé entre la composition de l’album et sa sortie dans les bacs modifie nécessairement les choses. «Mais je n’ai jamais pensé arrêter ce voyage musical quelles que soient les difficultés que cela implique, explique-t-elle. Dans l’intérêt de la musique, du pays, de notre culture arabe. Aller toujours de l’avant, c’est un besoin».
Après une longue période de réflexion et de recherche, et parce qu’il n’y a pas d’autres moyens, elle a décidé d’opter pour une campagne de crowdfunding avec Zoomaal, la plate-forme de collecte de fonds pour talents arabes. La campagne est lancée sur www.zoomaal.com/p/taniasaleh
Le compte à rebours a commencé.
Les réactions n’ont pas tardé sur les réseaux de communication sociale. «Tania Saleh Crowdfunding??? ‘‘Haram’’!! Mais en réalité, il s’agit d’un processus de concessions mutuelles, ajoute-t-elle. Les contributeurs me soutiennent par un certain montant, mais ils gagnent en retour différentes récompenses, pouvant aller d’un CD téléchargeable, à des billets de concerts, à un passe en coulisses… comme s’il s’agissait de payer une somme supplémentaire pour une édition spéciale, une expérience particulière. Internet évolue rapidement et nous nous devons le suivre, sinon il nous effacera complètement».
Tania Saleh a déjà enregistré, mixé et masterisé Shwayit souwar avec le soutien de son coproducteur norvégien Erik Hillestad. Mais il y a encore tellement de choses à faire pour pouvoir sortir l’opus dans les bacs. Avantages, inconvénients, si la somme n’est pas rassemblée, Tania n’aura rien, mis à part le soutien de ceux qui auraient contribué à la naissance espérée de l’album. Mais elle est déterminée à poursuivre le chemin, quitte à le faire seule… Parce qu’elle tient à l’idée que contient l’album, un message d’amour dans un monde pétri de haine et de violence.
Shwayit souwar est un voyage romantique décrivant l’histoire intime d’une femme arabe libanaise à travers ce monde fou. «Les hommes arabes peuvent être en guerre, dit Saleh, mais les femmes arabes sont en paix. Une femme dans cette partie du monde travaille dur, est pleine d’espoir et d’énergie. Contre vents et marées, elle a toujours été là pour son père, son frère, son mari et son fils, dispersant son amour sans fin, en leur montrant où réside la beauté, en espérant qu’ils l’écoutent. Nous avons besoin d’un peu de romantisme. Le monde arabe est plongé dans une profonde dépression. Nous avons besoin de croire en nous à nouveau. Nous sommes liés par une seule langue, à la fois verbale et musicale. Ce qui est extrêmement important. Si nous sommes unis, nous pouvons être très forts. De l’énergie positive, c’est vital. Et je crois que la musique, quand elle est combinée à des textes judicieux, a ce pouvoir-là».

Le Festival du Printemps
7 jours 3 concerts

Le Festival du Printemps se poursuit dans sa 3e semaine consécutive au théâtre Tournesol, à Tayouné.
Mahsa Vahdat (Iran): samedi 10 mai, 20h30
Musicienne et chanteuse iranienne, Mahsa Vahdat apprend la musique très jeune avant de se perfectionner dans le chant traditionnel persan. Depuis 1996, elle se produit en concerts et dans des festivals en Asie, en Europe, aux Etats-Unis et en Afrique, partageant la scène avec divers artistes à l’instar de sa sœur Marjan Vahdat, Tord Gustavsen… Depuis 2007, elle est ambassadrice de Freemuse, une association pour la liberté d’expression des musiciens. A son actif, plusieurs albums dont In the mirror of wine, A deeper tone of longing…

Oliver Mtukutzi (Zimbabwe): jeudi 15 mai, 20h30
Surnommé Tuku, il est le chanteur et le musicien le plus populaire au Zimbabwe, connu en Afrique et dans le monde entier pour sa voix rauque et son impressionnante présence sur scène. Depuis ses débuts en 1975, et fort de ses 60 albums et de sa reconnaissance internationale, il a obtenu, à sept reprises, le prix «National Arts Merit Award» (Nama). Ambassadeur de bonne volonté, ses compositions tournent autour du thème de la tolérance et de la paix entre les peuples, rejetant toute forme de haine et de violence.

Nawal (les îles Comores): vendredi 16 mai, 20h30
Chanteuse et multi-instrumentiste, Nawal est née dans une famille de musiciens et a grandi dans un environnement musical à la fois populaire et spirituel. Vivant actuellement en France, elle est reconnue comme la «Voix des Comores». Son travail s’appuie sur les influences musicales traditionnelles des Comores auxquelles elle incorpore sons et instruments issus des cultures africaines et arabes.

Billets en vente au théâtre Tournesol:
20 000 L.L. et 15 000 L.L.
Informations et réservations: (01) 381 290.

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