Magazine Le Mensuel

Nº 2978 du vendredi 5 décembre 2014

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Saïd Akl disparaît. La poésie en deuil

Encore un grand nom du Liban qui s’éteint. Deux jours après la mort de Sabah, c’est Saïd Akl qui décède. A l’âge de 102 ans, figure emblématique de la libanité et de l’arabité, la poésie arabe perd un de ses plus grands représentants.
 

Le Liban et la Toile, omniprésente en ces circonstances, étaient encore occupés à faire le deuil de Sabah, de Nahawand également, que la troisième nouvelle est tombée: le poète Saïd Akl a tiré sa dernière révérence, le vendredi 28 novembre, à l’âge de 102 ans. Décidément, cette fin d’année semble vouloir tourner la page de notre culture d’hier.
Mais Saïd Akl est loin de faire l’unanimité, comme ce fut le cas dans le mouvement de tristesse et de célébration à la fois, soulevé spontanément à l’annonce du décès de la Chahroura. Cette fois, c’est le passé qui resurgit sur l’image du poète disparu, le passé sanglant du pays, des années de guerre. Une vidéo sur YouTube ne cesse de faire un tour virtuel de l’Histoire, figeant son appel à combattre avec l’armée israélienne qui avait envahi le pays afin de sortir les Palestiniens du Liban… Mais ce pan de l’Histoire, où nul n’est sorti indemne, ne peut pas entacher la mort de ce grand poète, peut-il dissocier l’homme de son œuvre?
Et l’œuvre de Saïd Akl est immense, indispensable, fondatrice de la poésie arabe moderne. Jonglant avec le classicisme, la modernité, le romantisme, la symbolique, l’innovation, l’épure, les langues arabe et française… il a écrit des recueils de poésie dans les deux langues, dont Bint Yaftah (La fille de Japhté), Al Majdalia, Cadmos, Loubnan in haqa, Kitab el-ward (Le livre des roses), Kama al-a’mida (Comme les colonnes), ou le recueil en français L’or est poèmes.
Plus qu’une personnalité, Saïd Akl était un vrai personnage, un personnage conscient de se mettre en scène et de mettre ses propos en situation. Ses cheveux blancs en bataille, sa voix de ténor tonnant chaque mot, chaque syllabe, sa gestuelle déclamatoire, Saïd Akl incarne la poésie.

 

Figure emblématique
Né le 4 juillet 1912, à Zahlé, Saïd Akl voulait devenir architecte. Mais à 15 ans, il est obligé de quitter les bancs de l’école pour contribuer financièrement à la survie de la famille, son père ayant perdu une importante somme d’argent. Plus tard, il a tracé ses premiers pas dans le monde du journalisme et de l’enseignement, d’abord à Zahlé, ensuite à Beyrouth où il a déménagé dans les années 30. «Son parcours dans les grands journaux libanais était parsemé de courage et de sincérité», rapporte l’Agence nationale d’information. Féru de littérature, de théologie, d’histoire de la pensée libanaise, d’histoire de l’islam… autant de matières qu’il a étudiées ou enseignées.
Farouche défenseur de la «spécificité libanaise», il insistait sur l’héritage phénicien du Liban, sur le caractère particulier de son peuple et de sa culture dans un environnement arabe. Dans ce prolongement, il a créé un alphabet libanais en 37 caractères latins, estimant que le dialecte devrait être indépendant de l’arabe, allant même jusqu’à publier un recueil de poésie, Yara, dans ce dialecte. Il a également écrit de célèbres chansons devenues symboles du nationalisme arabe, à l’instar de Zahrat al-Madaen (La Fleur des villes), consacrée à Jérusalem après l’occupation israélienne, ou encore Ghannaytou Macca (J’ai chanté La Mecque). Tout au long de sa vie, il n’a cessé de militer dans le monde de la littérature, en faveur de son Liban, fondant et finançant en 1962 le prix de la poésie pour le meilleur poète capable de glorifier la beauté et d’inculquer l’amour du Liban.
Décédé le vendredi 28 novembre, à l’âge de 102 ans, il repose désormais dans son village natal, à Zahlé. Et il nous reste sa poésie dans la nuit de la mort: «Nuit, ô nuit/O amoureuse du pli d’un châle/Les collines t’ont souri/Et l’instant t’a appelée/Comme le bras appelle la beauté à l’étreinte…».

Nayla Rached
 

Décès de Nahawand
C’est dans l’ombre de deux géants du pays, Sabah et Saïd Akl, qu’un autre grand nom nous a quittés cette semaine; la chanteuse Nahawand, décédée le jeudi 27 novembre, octogénaire, les informations ne précisant pas sa date de naissance, située entre 1926 et 1933. De son vrai nom, Laure Abdallah Keyrouz, c’est à travers la radio nationale qu’a débuté sa carrière musicale qui l’a menée essentiellement à Bagdad durant les années 50 où le succès l’attendait. Avec sa voix passionnelle et triste, elle enchantait Beyrouth, Damas et Amman, avant de s’éclipser de la scène après son mariage et son installation au Brésil, où, semble-t-il, elle aurait mené une vie dure. Ce n’est qu’à la mort de son mari vers le début de ce siècle, que Nahawand a retrouvé son public libanais, notamment à travers les efforts en ce sens de Michel Eléftériadès.

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