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Nº 2987 du vendredi 6 février 2015

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POLITIQUE

Hezbollah-Courant du futur. La voix de la raison reste la plus forte

Depuis l’ouverture du dialogue entre le Courant du futur et le Hezbollah, les réunions semblaient suivre leur propre rythme et n’avaient plus besoin d’un parrain direct. Mais, depuis la riposte du Hezbollah à l’attaque israélienne de Qoneitra et le dernier discours de sayyed Hassan Nasrallah, la situation s’est compliquée et les positions se sont durcies. Il n’est toutefois pas question d’arrêter de se parler…
 

De l’avis de tous les protagonistes, le dialogue entamé avec réalisme et sens des responsabilités entre le Courant du futur et le Hezbollah, sous la houlette du président Nabih Berry, a largement contribué à apaiser la scène interne. Les faucons du Courant du futur s’étaient même tus pendant un moment, laissant la scène médiatique aux voix plus modérées. Mais la riposte du Hezbollah à l’attaque israélienne de Qoneitra et le dernier discours du secrétaire général du parti ont réveillé tous les démons. Brusquement, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora a retrouvé son ton le plus acerbe pour critiquer le Hezbollah, et le ministre de la Justice, Achraf Rifi, a demandé au parquet près la Cour de cassation de prendre des mesures contre les auteurs des tirs de joie qui ont accompagné le discours de Nasrallah. Même le député du Akkar, Khaled Daher, disparu des plateaux télévisés, est revenu sur le devant de la scène pour critiquer le Hezbollah. Pourtant, après l’attaque israélienne du 18 janvier, qui avait fait six morts dans les rangs du Hezbollah et tué un général iranien, il y avait eu comme un élan général de solidarité au Liban. Fouad Siniora, lui-même, avait contacté le Hezbollah pour lui exprimer sa tristesse et presque tout le Liban politique avait défilé pour présenter ses condoléances au parti. Le principe de la riposte du Hezbollah semblait même acquis et les remarques du 14 mars se limitaient à réclamer que cette riposte ne se fasse pas à partir du Liban, pour ne pas prendre le risque de déclencher une nouvelle guerre avec Israël en une période aussi complexe et sensible.
 

Critiques virulentes
Cette atmosphère positive a toutefois changé dès la riposte du Hezbollah. Les critiques violentes ont été essentiellement formulées par les faucons du Courant du futur et par les Forces libanaises. Ces deux formations ont retrouvé, soudain, les termes utilisés pendant la guerre de juillet 2006, lorsque la capture par le Hezbollah de soldats israéliens pour les échanger contre les détenus libanais en Israël avait été qualifiée par des responsables saoudiens «d’aventure mal calculée». Elles ont accusé le Hezbollah d’avoir violé les dispositions de la résolution 1701, qui avait instauré «les nouvelles règles de la trêve» entre le Liban et Israël. Les critiques sont devenues encore plus violentes à la suite du discours de sayyed Hassan Nasrallah, le 30 janvier, lorsqu’il est apparu comme un vainqueur, annonçant que le Hezbollah ne se taira plus et ripostera là où cela sera possible, sans tenir désormais compte des anciennes règles de la confrontation.
Avec le retour de l’escalade verbale, la tension est remontée d’un cran dans la rue entre les partisans des deux formations, même si le Hezbollah s’est bien gardé de répondre directement aux critiques qui lui étaient adressées. En même temps, les voix modérées du Courant du futur ont préféré garder un silence prudent, laissant la scène médiatique aux faucons. Ce qui montre bien, qu’en dépit du tapage médiatique, la raison continue à l’emporter, les deux parties restant convaincues que le dialogue est bénéfique pour elles, ainsi que pour l’ensemble du pays. De plus, l’alternative à ce dialogue, même boiteux, c’est la tension maximale et, surtout, la hausse de la popularité des groupes extrémistes dans la rue sunnite au détriment du Courant du futur, considéré comme une force modérée.

 

Sentiment de frustration
C’est donc le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, qui a le mieux résumé la situation, en déclarant lundi que le dialogue avec le Hezbollah se poursuivra, quoique compliqué et difficile. Même son de cloche chez le député et ancien ministre Samir Jisr, représentant avec Nader Hariri le Courant du futur dans le cadre des réunions de ce dialogue.
Selon une source proche du Courant du futur, lorsque Saad Hariri a décidé de se lancer dans un tel dialogue, il était déterminé à le poursuivre et ne le considérait pas comme une initiative provisoire dictée par un contexte précis. C’est pourquoi, depuis le début, il avait donné ses instructions aux représentants du Courant du futur pour exclure les sujets conflictuels, en particulier les armes de la Résistance, la participation du Hezbollah aux combats en Syrie et le Tribunal spécial pour le Liban (TSL). En prenant cette option, Hariri avait été à l’encontre de la position affichée par l’ancien Premier ministre Fouad Siniora et par le ministre de la Justice Achraf Rifi, hostiles à ce dialogue. Il est donc normal, selon les sources proches du Courant du futur, que l’aile dure de ce mouvement continue à contester le dialogue et à tenter d’y mettre des bâtons dans les roues. Mais au final, c’est Saad Hariri qui prend les décisions importantes, et il a fait son choix, celui du dialogue dans l’intérêt du pays et des sunnites eux-mêmes.
Toutefois, les mêmes sources précisent qu’il y a un sentiment de frustration chez une partie de la rue sunnite, qui considère que dans le cadre de ce dialogue, toutes les concessions sont faites par le Courant du futur, qu’il s’agisse du plan de sécurité de Tripoli, de la pacification de la prison de Roumieh ou d’autres initiatives du même gabarit. Spontané ou provoqué par certaines parties, ce sentiment est bien réel et c’est pourquoi, le commandement du Courant du futur doit le laisser s’exprimer s’il ne veut pas provoquer un vent de protestation chez sa base. Pour cette raison, il n’est pas question de demander à ceux qui critiquent le Hezbollah de se taire et, en même temps, il n’est pas envisagé de suspendre le dialogue avec ce dernier.
Du côté du Hezbollah, on affirme aussi qu’il n’est pas question d’arrêter le dialogue, car il reste bénéfique pour le pays. Tout en estimant que les critiques qui lui ont été adressées sont injustifiées, car la riposte à l’agression israélienne a respecté les règles en vigueur et ne constitue nullement une violation de la résolution 1701. De plus, elle montre un grand savoir-faire dont les Libanais devraient être fiers, d’autant qu’elle est étudiée pour empêcher les Israéliens de réagir et que le climat général est à l’apaisement et à la retenue. Les craintes formulées par le 14 mars n’ont donc aucune raison d’être. La meilleure preuve c’est que la riposte a eu lieu depuis une semaine et les Israéliens sont plongés dans un débat interne sur les lacunes qui ont permis cette riposte sans songer à lancer une opération de représailles. Les milieux du Hezbollah ne veulent pas s’attarder sur tout ce qui a été dit contre le parti. Ce qui compte pour eux, c’est que le dialogue se poursuive et permette un maintien minimal de stabilité dans le pays en laissant les services de l’ordre continuer à lutter contre le terrorisme. Ce qui s’est donc passé ces derniers jours n’était qu’une tempête dans un verre d’eau qui a poussé certaines voix au sein du 14 mars à exprimer leur frustration face à la force et à la sagesse du Hezbollah, mais cela ne change rien à la réalité de la nouvelle équation régionale, ni à la nécessité du dialogue interne…

Joëlle Seif  

Réunion sous haute tension
Les médias du Courant du futur avaient fait le nécessaire pour qualifier la réunion de son bloc parlementaire de très importante juste avant la reprise du dialogue avec le Hezbollah. Mais au fond, tous les participants savaient qu’en dépit des critiques et des protestations, ce dialogue ne serait pas remis en question. En acceptant toutefois ce débat au sein du bloc, d’une part, le Courant du futur donne encore plus de prix à sa participation au dialogue avec le Hezbollah, et d’autre part, il apparaît sous un visage réellement démocratique. Et puis, en période de changement en Arabie saoudite où le nouveau roi et ses hommes forts procèdent à une sorte de coup d’Etat discret, il est bon de rappeler que les poids au sein du Courant du futur sont aussi partagés.

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