Magazine Le Mensuel

Nº 2988 du vendredi 13 février 2015

Cinéma en Salles

Big Eyes de Tim Burton. Un biopic agréable

L’énigmatique Tim Burton revient avec un nouveau film, Big Eyes, inspiré d’une histoire vraie, et mettant à l’affiche Amy Adams et Christoph Waltz. Entre art, manipulation, supercherie et marketing de masse…
 

On est loin de son univers sombre, gothique, ou banlieusard américain, pourtant c’est bien Tim Burton qui signe ce long métrage. Adapté d’une histoire vraie, comme le mentionne le film en préambule, Big Eyes suit les péripéties artistiques et familiales du couple Walter et Margaret Keane, dans les années 50 et 60, dans une Amérique pré pop’art, où «être une femme n’était pas aussi facile que ça». Un énoncé clair à travers la voix-off sur laquelle débute le film, avant que ne retentissent ces mots qu’Andy Warhol avait affirmés: «I think what Keane has done is terrific! If it were bad, so many people wouldn’t like it».
Keane. Walter ou sa femme Margaret? C’est dans ce patronyme que réside tout le film, à travers ce patronyme se trouvent l’intrigue du film et la supercherie de la réalité. Big Eyes, en effet, raconte la scandaleuse histoire vraie de l’une des plus grandes impostures de l’histoire de l’art. A la fin des années 50 et au début des années 60, le peintre Walter Keane a connu un succès phénoménal et révolutionné le commerce de l’art grâce à ses énigmatiques tableaux représentant des enfants tristes aux yeux immenses. Mais la signature Keane au bas de chaque toile n’est pas la sienne, mais bien celle de sa femme Margaret. Une supercherie qui a duré des années durant et a réussi à duper le monde entier, jusqu’à l’éclatement final de la vérité.
Le film de Burton débute sur l’image d’une femme, affairée, apeurée, qui se hâte, sous le regard d’une fillette, de plier ses bagages, de s’engouffrer dans sa voiture pour fuir un mari qu’on ne verra pas. Dans ces premières minutes, l’univers familier de Tim Burton éclate dans ses couleurs et ses pâtés de maisons très typiques, réminiscences magiques d’Edward Scissorhands. Mais la magie «burtonienne» s’arrête là. Big Eyes déroule son histoire comme n’importe quel autre film qui ne porte pas la patte typique de Tim Burton. Grande différence tout d’abord par rapport au casting: pas de Johnny Depp, d’Helena Bonham Carter ou de Winona Ryder. L’affiche du film porte les noms d’Amy Adams et de Christoph Waltz. Une magnifique et pétillante Amy Adams, toute en crainte et en douceur. Un rôle qui lui a d’ailleurs valu le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie mais qui, pourtant, ne lui a pas permis d’être nommée aux Oscars 2015. Christoph Waltz, en revanche, plonge dans un jeu qui lorgne souvent du côté de l’exagération et du maniérisme colérique.
Mais au-delà du jeu de l’acteur, le personnage de Walter Keane reste l’un des éléments les plus intéressants dans Big Eyes. Une sorte d’antihéros, au charme déroutant. Tout comme dans le film il arrive à séduire sa future femme jusqu’à l’autosacrifice et l’horreur, il génère la même réaction du côté du spectateur: une répulsion emmêlée à un certain attachement, parce que chez lui, en lui, la faiblesse côtoie la débrouillardise, l’ambition démesurée et la vilenie. «Nous apprécions les parleurs qui ont un agenda, qui essaient perpétuellement de vendre quelque chose», affirment les scénaristes Larry Karaszewski et Scott Alexander, qui avaient écrit Ed Wood,
le premier biopic de Tim Burton, ainsi que Man on the Moon retraçant le parcours d’Andy Kaufman ou Larry Flynt. «Dans nos films, cette personne-là est le héros, ajoutent-ils. Il peut être quelqu’un de très peu sympathique, comme Larry Flynt, Andy Kaufman ou Ed Wood. C’est la première fois où ce personnage est le vilain. Walter a inventé le marketing de masse en art. Il a été celui qui, parce qu’il n’était pas accepté dans les milieux artistiques, a effectué cette sorte de fuite en avant, avant Peter Max et avant Warhol». Parmi les problématiques que le film soulève, en effet, réside la question de l’art et de la critique, du positionnement de l’œuvre artistique dans son contexte et de ce qui définit une œuvre d’art. Eternelle question toujours sans réponse bien déterminée et, peut-être, de plus en plus d’actualité.
Walter Keane, serait-il également un double de Tim Burton lui-même? En manque d’inspiration, en manque d’originalité? Tenterait-il de marchander un art, son cinéma, autrefois tellement adulé et atypique, et qui depuis quelques années, se fond dans la production hollywoodienne, salué par les indépendants et les critiques, seulement pour quelques scènes caractéristiques de son univers? Des scènes qu’on cherche toujours à déceler dans ses films, parce qu’après tout il s’agit de Tim Burton, et qu’on voudrait tellement retrouver ce qui fait, ou qui faisait, le charme irrésistible de son cinéma.
Big Eyes reste toutefois un film agréable à voir, mais oubliable.

Nayla Rached

Sortie en salles prévue pour la semaine prochaine, dès le 19 février.

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