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Nº 2992 du vendredi 13 mars 2015

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Dangers et bienfaits des médicaments génériques. A qui profite la prescription unifiée?

«L’ordonnance unifiée sera bientôt appliquée», affirment encore et toujours les responsables libanais. Ce projet, qui remonte à 2010, n’a pas jusqu’à présent vu le jour. Supposée entrer en vigueur en mars, l’ordonnance médicale unifiée n’attend plus, en principe, que la décision du ministre de la Santé, Waël Abou Faour, pour que l’impression commence et que la prescription soit distribuée. A qui profite ce projet?

Alors que le député Atef Majdalani, que les ministres de la Santé, Waël Abou Faour, et du Travail, Sejaan Azzi, affirment que les obstacles à la réalisation de la prescription unifiée sont surmontés, les doutes sur l’effective entrée en vigueur de cette ordonnance médicale se multiplient. Personne, du président de l’Ordre des pharmaciens, le Dr Rabih Hassounah, du président de l’Ordre des médecins, le professeur Antoine Boustany, et du président du syndicat des importateurs des médicaments, le Dr Armand Pharès, n’a répondu par «oui» ou par «non» à la question de savoir si ce projet entrera en vigueur en mars, comme convenu. «J’imagine qu’il y aura un certain délai du fait de la finalisation de l’impression des carnets et de quelques détails relatifs à la mise en vigueur au niveau pratique», affirme à Magazine le Dr Hassounah. De son côté, le Dr Pharès déclare que «la loi exige des efforts énormes de la part de toutes les parties. Lorsqu’il y a volonté, il y a chemin». «L’ordonnance médicale unifiée est un moyen et non une fin en soi», assure-t-il. Quant au Dr Boustany, il enchaîne sa réponse après un «oui» hésitant, précisant qu’«en principe, le projet entrera en vigueur». Prescription unique pour tous les médecins du Liban, l’ordonnance unifiée a été adoptée par le ministère de la Santé publique, l’Ordre des médecins et l’Ordre des pharmaciens, pour remplacer les formes de prescriptions actuellement utilisées. D’après les docteurs Boustany et Hassounah, cette prescription se présentera sous la forme de carnets de 50 prescriptions, distribués par l’Ordre des médecins et délivrés en trois copies: la première sera gardée par le médecin traitant, la deuxième par le pharmacien et c’est le patient qui disposera de la troisième.
Juridiquement parlant, la prescription unifiée fait partie, comme l’explique le Dr Pharès, des dispositions des articles 46 et 47 de la loi 367 du 1 août 1994 (la profession de pharmacien) tels que modifiés par la loi 91 du 6 mars 2010, qui prévoit la création d’une ordonnance médicale unifiée et les conditions dans lesquelles le pharmacien peut être amené à substituer à un médicament prescrit par le médecin un autre «similaire». Ce n’est que le 7 décembre 2011 que le ministre de la Santé a publié, dans sa décision 1295/1, le spécimen de l’ordonnance médicale unifiée adoptée par le ministère. L’article 47 soumet la substitution par le pharmacien d’un médicament prescrit par le médecin aux conditions suivantes:

Que le médicament de substitution soit mentionné dans la liste des génériques «équivalents à un médicament princeps donné», que le ministère de la Santé est requis, par la même loi, de publier.
Que le prix du médicament de substitution soit inférieur au prix du médicament prescrit.
Que le médecin ait marqué par écrit son accord à la substitution.
Que le patient soit d’accord avec la substitution.

Prolifération des génériques
La loi 91 a fait l’objet de 7 ans (2003-2010) de discussion entre les parties concernées. «C’est dire combien cette question de ‘‘substitution’’ est plus facile à dire qu’à mettre en pratique», souligne le Dr Pharès. Tout nouveau médicament (appelé médicament de référence ou princeps) est l’aboutissement d’une recherche et d’un développement entrepris par le laboratoire qui le conçoit. Ce laboratoire bénéficie d’une période «d’exclusivité» (droits de brevet) accordée par les législations internationales lui permettant de «récupérer» au cours de la période de commercialisation du médicament les montants investis dans la recherche et le développement. Une fois que le ‘‘médicament princeps’’ perd ses droits de brevet, tout laboratoire pharmaceutique a le droit de le copier en en faisant ce qu’on appelle un ‘‘générique’’. Devant la prolifération des ‘‘génériques’’, il est normal que les ministères de la Santé du monde mettent en place des mécanismes d’enregistrements stricts (conditions de fabrication – GMP, bioéquivalence,…), qui leur permettent de certifier la qualité et l’efficacité des ‘‘génériques’’ et de lister de façon précise les ‘‘génériques’’ qui sont strictement ‘‘équivalents’’ à leurs  ‘‘princeps’’. Une fois cette mission accomplie, le ministère de la Santé publique a le souci de réduire la facture des médicaments en encourageant les médecins à s’orienter vers la prescription des médicaments génériques équivalents à un princeps donné et au meilleur prix. L’objectif recherché par la loi 91 de 2010 est donc celui-ci.
 

Les génériques sont-ils sûrs?
Deux principales raisons ont été à l’origine de ce projet, certifie le Dr Boustany. D’abord, la loi qui impose aux médecins d’apposer sur chaque prescription un timbre (au prix de 250 livres libanaises) n’a jamais été appliquée. En effet, la caisse de retraite d’un ordre ne peut être financée que par ses bénéficiaires. «Le droit de timbre que doit percevoir l’Ordre des médecins sur toute ordonnance est un droit prévu déjà par la loi et ne représente qu’une partie infime du financement de la caisse. Ce droit est lié à l’ordonnance et il est normal qu’il augmente avec le nombre d’ordonnances. C’est le principe universel de solidarité entre les bénéficiaires d’une même Caisse de retraite», précise le Dr Pharès. Aujourd’hui, et avec la prescription unifiée, le timbre est imprimé à l’avance et les paiements effectués permettront d’assurer des rentrées consistantes pour la Caisse de retraite des médecins. A noter que «la retraite d’un million de livres libanaises par mois actuellement pour les médecins pourrait s’élever à 1 200 000 voire 1 400 000, avec l’application de la prescription unifiée», avance le Dr Boustany. La deuxième raison qui a mené à une telle décision revient à encourager l’usage des médicaments génériques et à réduire ainsi le coût de la facture médicale annuelle, assez élevée au Liban par rapport au nombre d’habitants, à savoir un milliard 400 millions de dollars par an, comme le suggère le directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), le Dr Mohammad Karaki. A cela, il ajoute que le prix du médicament, à la suite de l’application du projet, sera réduit de 20% dans un premier temps et de 50% par la suite.
A travers cette prescription unifiée, le médecin donne le droit au pharmacien de substituer des médicaments qu’il a prescrits par d’autres médicaments génériques approuvés par le ministère de la Santé «à condition que le médecin ne précise pas la mention ‘‘non substituable (NS)’’, que le prix de ce produit soit inférieur au prix du médicament prescrit, et que le patient accepte la substitution proposée», comme le précise le Dr Boustany. Même si, d’après le Dr Mohammad Karaki, dans d’autres pays et en Europe, le pourcentage des génériques utilisés varie entre 70% et 90% (selon les pays), nous ne pouvons établir une comparaison avec le Liban, étant donné que le contrôle effectué sur les médicaments génériques dans notre pays n’est pas tout à fait adéquat, comme l’indique une source sûre qui a requis l’anonymat. D’une part, le problème se pose surtout au niveau de la composition des médicaments d’origine. Plus la composition d’un produit médical est «complexe», plus il est difficile de le reproduire. Le médicament générique aura donc du mal à «copier» le principe actif qui constitue le médicament d’origine, ce qui peut avoir des répercussions négatives sur la santé du patient. D’autre part, les laboratoires locaux qui produisent des médicaments génériques devraient prouver au ministère de la Santé le respect des trois éléments requis pour la constitution d’un tel médicament, à savoir la qualité, l’efficacité et la sécurité, avant de procéder à toute vente. C’est au ministère de la Santé alors de vérifier que ces données sont effectivement respectées. Quant aux médicaments génériques importés, ils proviennent de divers pays tels que l’Arabie saoudite, l’Inde et les pays européens. Mis à part le contrôle que doit entreprendre le ministère de la Santé sur ces médicaments, malgré le manque de grands laboratoires où généralement des tests seraient effectués pour vérifier l’efficacité de ces médicaments, il y a risque de commercialisation. En d’autres termes, lorsque le pharmacien aura le droit de choisir lui-même le médicament générique correspondant à la molécule (au principe actif) mentionné par le médecin dans la prescription unifiée, le premier, pour des raisons financières, optera pour le médicament qui lui garantira un maximum de profit, que ce médicament soit réellement efficace ou pas. C’est donc le patient qui en souffrira au cas où le médicament générique est «mauvais». Plus encore, le risque se présente également pour les malades souffrant de diabète et ceux qui ont des problèmes cardiaques, vu qu’un médicament générique ne peut «copier» à 100% la composition d’un médicament d’origine. L’application de l’ordonnance médicale unifiée n’est donc qu’un outil d’exécution. L’essentiel est dans le choix du médecin qui doit s’affiner en passant du choix du «médicament qui convient» au choix du «médicament qui convient le mieux», en considérant le rapport qualité/prix, selon le Dr Pharès. Cet exercice d’affinement du choix va pousser les laboratoires fabricants de «princeps» à continuer à baisser leurs prix autant que possible et les laboratoires «génériqueurs» à un plus grand professionnalisme et à une plus grande transparence dans la fabrication et la promotion de leurs médicaments, pour que les critères de choix restent en premier lieu des critères scientifiques de qualité, tant au niveau du médecin, qu’à celui du pharmacien. Il ne serait pas étonnant que les laboratoires fabricants de princeps mettent de nouveau la pression sur le législateur libanais pour renforcer l’application des droits de brevets et interdire, de façon stricte, toute mise sur le marché au Liban, de génériques considérés, par les normes internationales, comme des copies illégales de leurs princeps.

Natasha Metni 

Quelle liberté pour le médecin?
«Ce n’est pas la liberté du médecin d’imprimer sa propre ordonnance médicale qui est en cause, mais bien son droit exclusif de prescrire le médicament qu’il trouve opportun de prescrire. La loi 91 réaffirme ce droit dans les deux articles 46 et 47 et sans aucune ambiguïté», atteste le Dr Pharès. A quoi répond le Dr Boustany que «l’Ordre des médecins − étant responsable de l’impression de la prescription à grande échelle − pourra bénéficier de prix très compétitifs, ce qui reviendra aux médecins de payer moins cher leurs prescriptions». La position du Dr Karaki est claire
à ce sujet: «Il est du devoir et de la responsabilité de l’assureur du patient de déterminer la prescription et les données que cette dernière comporte. Il revient donc à la Sécurité sociale, au ministère de la Santé et à la coopérative des fonctionnaires de l’Etat, de fournir le modèle de prescription adéquat.  

Dans deux semaines?
Le Dr Mohammad Karaki, directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) confie à Magazine que le projet a été approuvé en date du 9 mars 2015 par le ministre du Travail, et qu’une prise de contact avec le président de l’Ordre des médecins a été effectuée le 11 mars pour finaliser la prescription unifiée envoyée par la suite à la Sécurité sociale. C’est donc ensuite au ministère de la Santé, à l’Ordre des médecins et à la Sécurité sociale de se mettre d’accord sur la forme finale de cette ordonnance dans un délai qui ne dépasse pas les deux semaines. La décision officielle sera annoncée par le ministre de la Santé et par le directeur général de la Sécurité sociale, après quoi, l’Ordre des médecins passera à l’impression de la prescription.

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