Magazine Le Mensuel

Nº 2994 du vendredi 27 mars 2015

ACTUALITIÉS

Le massacre du musée Bardo. La Tunisie, nouveau front terroriste de Daech

Une semaine après l’odieux attentat qui a frappé le cœur de la capitale tunisienne, la Tunisie est encore sous le choc. Ces attaques particulièrement meurtrières au musée du Bardo ont coûté la vie à 23 personnes et portent la signature de l’Etat islamique, qui ouvre ainsi son second front en Afrique du Nord.

Quatre ans après la révolution du jasmin, la Tunisie, symbole de transition démocratique dans le monde arabe face à d’autres pays ayant sombré dans le chaos, fait face à une menace d’un genre nouveau.
Le 18 mars dernier, l’horreur frappait en plein cœur de Tunis. C’est au musée du Bardo, bâtiment jouxtant celui du Parlement, qu’un commando d’hommes armés de kalachnikovs et bardés de ceintures d’explosifs fait irruption au beau milieu de l’enceinte, alors remplie de touristes. Au même moment à l’Assemblée, des cadres militaires et judiciaires sont auditionnés sur la réforme de la loi antiterroriste. Pour 17 d’entre eux, Français, Allemands, Polonais et Italiens, la visite s’arrêtera là. Quelques minutes plus tard, alertée par les coups de feu, une députée tunisienne, Sayda Ounissi, lance l’alerte sur Twitter «Grosse panique à Bardo, un homme armé au Majlis». Commence alors une véritable opération de sauvetage par les forces de sécurité tunisiennes envoyées sur place. Tandis que le reste des touristes est évacué, l’assaut est donné. Après d’intenses échanges de tirs, les deux terroristes sont finalement abattus. Le bilan fait état de 23 morts, dont un policier et 17 touristes occidentaux.

 

Formés en Libye
Jeudi après-midi, le groupe Etat islamique revendique les attaques dans un message écrit et sonore diffusé sur Twitter. Le message est clair: «Ce que vous avez au Bardo n’est que le début». Dans le même temps, le groupe dévoile l’identité des deux jihadistes sous leurs pseudonymes respectifs: Abu Zakaria el-Tounsi et Abu Anas el-Tounsi, âgés de 20 et 27 ans. Ils sont tunisiens, l’un originaire de Kasserine (Jabeur Khachnaoui), l’autre d’un quartier de Tunis, non loin du Bardo (Yassine Labidi).
Au lendemain du massacre, une enquête est ouverte. Neuf personnes suspectées d’avoir été en contact avec les assaillants sont interpellées. Selon un communiqué de la présidence, «quatre éléments en relation directe avec l’opération (terroriste) et cinq autres soupçonnés d’être en relation avec cette cellule» sont arrêtés. Après avoir été identifiés par les forces de sécurité tunisiennes, les premiers éléments de l’enquête révèlent que les tireurs étaient connus des services de renseignements, notamment pour être partis s’entraîner dans des camps en Libye. Selon une source policière, les deux frères, la sœur et le père de Jabeur Khachnaoui sont également arrêtés dans la nuit de mercredi à jeudi, puis relâchés. D’après Rafik Chelly, le secrétaire d’Etat tunisien des Affaires sécuritaires, les terroristes sont des «éléments extrémistes salafistes takfiris. Ils ont quitté clandestinement le pays en décembre dernier pour la Libye et ont pu se former aux armes en Libye», avant de revenir en Tunisie.

 

«Eradiquer le terrorisme»
Face à l’état d’urgence de la situation, le gouvernement tunisien est déterminé à lutter contre la menace. Dans le cadre d’une réunion du Conseil supérieur de l’armée et du Conseil supérieur des forces de l’intérieur, le président tunisien Béji Caïd Essebsi a déclaré la Tunisie «en état de guerre», annonçant dans le même temps une mobilisation des forces armées et de la police, dans le but «d’éradiquer le terrorisme». Le pays, qui avait su s’imposer en modèle de transition démocratique dans le monde arabe, se retrouve face à un nouveau défi, notamment en matière sécuritaire. Face à l’urgence de la situation, le président Essebsi a annoncé des mesures radicales. Selon la présidence, l’armée participera désormais à la sécurisation des grandes villes de Tunisie. Des militaires seront amenés à effectuer «des patrouilles à l’entrée et aux alentours des grandes villes», «dans la coordination la plus totale» avec la garde nationale. Il a également appelé les Tunisiens à se mobiliser contre la menace. «Il faut, dit-il, que chaque Tunisien se sente lui-même menacé par ces exactions-là et je pense que les Tunisiens vont répondre comme un seul homme à cet appel».

 

Le tourisme menacé
Le soir même des attaques, des centaines de Tunisiens s’étaient rassemblés face au théâtre de l’avenue Habib Bourgiba à Tunis, scandant des slogans contre les terroristes.
Les attaques du Bardo ont changé la nature de la menace. Ce jour-là, c’est la première fois que les intérêts occidentaux (des touristes) étaient directement visés. Une mauvaise nouvelle pour le tourisme tunisien, secteur économique-clé du pays, qui risque de subir les répercussions de l’attentat de mercredi dernier. Principal moteur de l’économie, il génère 7% du PIB et 400 000 emplois, soit 10% de la population active. Selon des chiffres communiqués le 22 janvier dernier par le ministère tunisien du Tourisme, le nombre de touristes venus en Tunisie en 2014 avait déjà enregistré une baisse de 3,2%, passant de 6,27 à 6,07 millions en un an. Selon le Premier ministre Habib Essid, ces attaques auront un impact économique «terrible». Les groupes italiens MSC Croisières et Costa Croisière ont déjà suspendu leurs escales dans le port de la Goulette. Face au vent de panique général, le président tunisien a tenu à rassurer les futurs touristes: «Ils peuvent venir en toute sécurité, nous avons pris les mesures pour… Nous n’avons pas la politique de la peur, nous allons continuer».

 

Failles sécuritaires
Après l’attentat, le Premier ministre Habib Essid a reconnu des «failles dans tout le système sécuritaire». Le vice-président de l’Assemblée, Abdelfattah Mourou, confirmait le lendemain que les gardes chargés de sécuriser l’entrée du bâtiment n’étaient pas à leur poste, dénonçant «une grande défaillance». En déplacement à Tunis vendredi dernier, le ministre de l’Intérieur français, Bernard Cazeneuve, a ainsi annoncé un renforcement de la coopération franco-tunisienne dans la lutte contre le terrorisme: «Nous sommes aux côtés de la Tunisie, démocratie ferme et déterminée dans la lutte contre le terrorisme parce que nous sommes nous aussi confrontés à ce péril (…) nous devons rester debout, déterminés, forts de nous-mêmes, forts de nos valeurs, de manière à ne pas laisser les terroristes atteindre le but qui est le leur, c’est-à-dire celui de semer l’effroi».
Dimanche, le président tunisien Béji Caïd Essebsi déclarait qu’un troisième assaillant était toujours en fuite. Lors d’une interview donnée depuis le musée du Bardo, il a déclaré qu’il y avait sûrement trois complices, puisque filmés et identifiés par les caméras de surveillance. «Il y en a deux qui sont exécutés et il y en a un qui court quelque part. Mais de toute façon, il n’ira pas très loin». Un peu plus tôt la veille, le ministère de l’Intérieur annonçait être à la recherche d’un certain Maher Ben Mouldi Kaïdi, considéré dangereux et impliqué dans la tuerie.

Marguerite Silve

Le sanctuaire libyen
Si la Tunisie est aujourd’hui l’un des plus grands pourvoyeurs de jihadistes étrangers, les Tunisiens seraient également des centaines à être partis s’entraîner en Libye dans les rangs de la branche libyenne de l’Etat islamique, créée en novembre dernier. Selon le secrétaire d’Etat tunisien des Affaires sécuritaires, Rafik Chelly, il existe des camps d’entraînement (en Libye) pour les Tunisiens à Sabratha, à Benghazi et à Derna, sous-entendant qu’ils (les deux assaillants) aient pu se rendre dans l’un de ces camps. Depuis quelques mois, des jihadistes tunisiens de l’EI diffusaient, depuis la Syrie, l’Irak ou la Libye, des vidéos promettant des attentats en Tunisie.
Le groupe EI, qui ne possède encore pas de branche tunisienne, compte cependant des centaines de Tunisiens dans ses rangs. Ces derniers sont les ressortissants les plus nombreux en Syrie et en Irak, avec 3 000 jihadistes pour 11 millions d’habitants. En Tunisie, 500 seraient déjà rentrés, et la police les considère comme l’une des principales menaces à la sécurité nationale.

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