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Nº 2996 du vendredi 10 avril 2015

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L’EI est affaibli, mais pas encore vaincu
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Ari Harsin, député kurde irakien. 
L’EI est affaibli, mais pas encore vaincu

Une minorité parmi tant d’autres en Irak, les Kurdes et notamment leurs redoutés peshmergas (ceux qui vont au devant de la mort), ont servi de rempart efficace contre l’expansion de l’Etat islamique (EI) dans ce pays. Magazine a rencontré Ari Harsin, député kurde combattant l’EI dans la région du Kurdistan irakien.
 

Vous avez participé à plusieurs batailles en Irak contre les combattants de l’Etat islamique. Quelle est, à votre avis, la composition des forces de l’organisation terroriste?
Daech (EI) est composé principalement de musulmans sunnites irakiens, dont une large majorité faisait partie de l’Organisation d’al-Qaïda en Irak, un mouvement dirigé précédemment par Abou Moussaab el-Zarqaoui. Il comprend également des Irakiens et des ressortissants arabes, ainsi que des mouhajereen (des émigrés) de diverses nationalités étrangères. Mais le cerveau de cette opération est principalement composé d’anciens hauts cadres d’al-Qaïda et d’officiers baasistes de haut rang.

J’ai rencontré récemment un des chefs de la tribu des Dulaim en Jordanie. Il a affirmé que près de 90% des troupes de l’EI font partie des tribus sunnites, comment expliquez-vous ce soutien indéfectible malgré les exactions commises par l’organisation terroriste? Sur un autre plan, que pensez-vous de certains rapports soulignant la participation de membres des tribus sunnites dans le combat contre l’EI auprès des forces sécuritaires irakiennes et du Hachd el-Chaabi (les forces populaires chiites)?
Les sunnites ont été écartés du pouvoir et le gouvernement irakien actuel comprend des factions principalement appuyées par l’Iran. Les tribus sunnites des régions de Mossoul et d’Anbar soutiennent Daech, non pas par sympathie ou par amour pour cette organisation, mais parce qu’elles sont animées par un désir de vengeance. Elles ne disposent pas d’autre alternative pour le moment. Pour ce qui est des rumeurs indiquant l’implication de sunnites dans les combats auprès du Hachd el-Chaabi, elles sont fausses.

Lors du forum de Suleimania organisé par l’Université américaine d’Irak, début mars, l’émissaire présidentiel américain, Brett McGurk, a estimé que l’EI avait perdu environ 25% du territoire irakien sous son contrôle. Ce retrait s’est-il ressenti au niveau des fronts? Avez-vous l’impression que les capacités militaires de l’EI sont désormais moindres?
Il est vrai que ses combattants semblent posséder moins de munitions, les stratégies militaires auxquelles ils ont recours étant de moindre envergure et leurs attaques au mortier de moins en moins précises. Ce qui nous amène à nous demander s’il y a eu des défections au niveau de ses cadres militaires ou si ces derniers ont été tués.

Pensez-vous que la puissance de l’Etat islamique soit plus faible que l’on ne le pense vraiment?
Lorsque j’ai pris part aux premières batailles contre les militants de l’EI dans les environs du barrage de Mossoul, en septembre dernier, j’ai eu alors l’impression que l’organisation agissait de manière très intelligente: elle improvisait constamment dans «l’art de la guerre». Mais aujourd’hui, elle semble avoir épuisé tous ses tours de sorcellerie, elle a perdu «sa magie». L’EI a fait preuve d’intelligence en ayant recours aux médias sociaux pour engendrer la peur en diffusant des vidéos d’exécutions et de décapitations macabres. En effet, cette organisation projette une image d’elle-même plus forte qu’elle n’est en réalité.  

La dissociation que l’on perçoit au niveau international entre les dossiers irakien et syrien entrave-t-elle la destruction de l’EI?
La Syrie et l’Irak font partie d’un seul package deal. Ce type d’insurrection est très autonome et peut donc survivre tant que l’on ne s’est pas attaqué aux causes d’origine ayant permis son apparition dans ces deux pays.

Les forces de sécurité irakiennes ont crié rapidement victoire dès les premiers jours de la bataille de Tikrit. Pensez-vous que cette bataille a été aussi facile que cela? Qu’en est-il de celle visant à reprendre la ville de Mossoul?  
Les premiers rapports étayant la prise de 60% de la ville de Tikrit n’étaient pas exacts, sinon je pense qu’on aurait assisté à des célébrations, ce qui n’a pas été le cas. Cette bataille qui a duré plus d’une semaine s’est avérée difficile en raison de la guérilla qui s’y déroule. L’intervention aérienne américaine a certainement pu faciliter la chose, notamment dans le cas où les Américains auraient eu recours aux hélicoptères Apache en plus des F15 et F16. Il faudra d’abord reprendre plusieurs autres villes avant de s’attaquer à Mossoul, qui sera un véritable enfer, car une grande partie des résidants soutiennent Daech. De plus, d’autres villes comme Tell Afar, Hawija et Tikrit, entre autres, doivent être complètement sécurisées afin d’empêcher le ravitaillement de l’organisation dans la ville de Mossoul. Dans ce cas de figure, nous aurons besoin de nouvelles armes et d’un soutien aérien d’Apache, ces derniers volant plus bas et étant en mesure de cibler de manière beaucoup plus précise les positions de l’Etat islamique.

Quel est le niveau de collaboration entre les deux grands partis kurdes, à savoir le Parti démocratique kurde (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) durant les batailles contre l’EI?
Les deux partis du PDK et de l’UPK sont gérés par un quartier général qui dirige les opérations militaires.

Dans une vidéo postée sur le site d’information kurde de Rudaw, j’ai remarqué que de nombreuses armes utilisées par les militants kurdes datent des années de la dernière Guerre mondiale! Les peshmergas manqueraient-ils d’armes?
En effet, nous disposons d’armes datant des années 80, mais nous avons reçu plus récemment certaines en provenance de pays européens. Le gros problème réside dans le fait que nos dépenses en armement ne sont pas couvertes par le gouvernement de Bagdad. Ce qui veut dire que dans le cas d’une offensive à Mossoul, le gouvernement central devra s’engager à nous verser la part qui nous est allouée dans le budget (bloqué en raison d’un désaccord sur les rentes pétrolières, ndlr) et notre part pour les dépenses militaires.

Les Américains avaient exigé le départ des milices chiites avant de s’attaquer à Tikrit. Ces dernières constituaient les deux tiers des forces déployées dans le secteur. Croyez-vous que ces milices aient véritablement suivi les directives américaines?
Je ne sais pas, mais cela a sans doute été particulièrement difficile au Premier ministre, Haïdar Abadi, de faire exécuter cette directive. D’après certaines informations dont je dispose en provenance de militaires déployés sur le front, le général iranien Qassem Soleimani était toujours dans les alentours de Tikrit le premier jour des raids américains.

Quelle serait la meilleure solution politique permettant de regagner la confiance des masses sunnites irakiennes, marginalisées par l’ancien Premier ministre Nouri el-Maliki?
Un iqlim, une région indépendante comme c’est le cas au Kurdistan serait, sans doute, la meilleure solution. Je crois en un Irak uni dans lequel chaque communauté 
ou ethnie est libre de sauvegarder son identité et de pratiquer sa religion.

Mona Alami, Erbil

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