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Nº 3030 du vendredi 4 décembre 2015

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Livre

Eric-Emmanuel Schmitt à Montréal. «J’adore les Libanais qui dansent sur des volcans»

Il vient de sortir un livre qui éclaire toute son œuvre. La nuit de feu est une autobiographie qu’il garde secrète depuis l’âge de 29 ans. A 55 ans, le dramaturge, écrivain, philosophe, musicien, réalisateur, prolifique à souhait, se dévoile sans pudeur à l’occasion du Salon du livre de Montréal.

Il lui aura fallu 25 ans pour faire son «coming out». «On me demandait toujours d’où venait cette lumière dans mes œuvres. Je pensais que c’était pour moi. C’est difficile de parler au ‘‘je’’, de parler de la foi. Mais en fait, cette lumière vient d’une nuit dans le désert».
En toute simplicité et sérénité, un des auteurs les plus lus et traduits au monde, raconte: «Je suis né dans une famille d’athées, avec une éducation d’athée».
Après des études de philosophie (il soutient une thèse sur Diderot en 1987), je suis allé en tournage au Hoggar, en Algérie, pour un documentaire sur Charles de Foucauld, un noceur du XIXe siècle, né en Alsace-Lorraine d’une famille très riche, officier de l’armée française, touché par la foi ambiante qu’il a rencontrée à l’occasion d’un séjour en Algérie. J’ai suivi ses pas vers son ermitage. Nous avons gravi une montagne, dormi à la belle étoile, campé dans un bivouac, accompagnés par un guide touareg. Du haut de la montagne, le panorama était sublime. Content, je dévale pendant deux heures la pente, sans vérifier si mes compagnons me suivaient. Soudain, je me rends compte que je suis perdu. La nuit tombe comme un couperet. Il fait froid. J’étais en short, sans sac, avec juste une gourde. J’étais perdu dans un désert dans lequel durant huit jours, nous n’avions pas vu une seule caravane. Une phrase me revient en boucle: «Il faut trois jours pour mourir de soif». Je me fais une couverture de sable, la tête dans les étoiles, en me disant que je vais passer des heures horribles. En fait, j’ai passé les plus belles heures de ma vie. Mon corps se dédouble. Il y en a un douloureux, mais un autre s’échappe de la pesanteur et du temps. Il va à l’encontre de quelque chose d’harmonieux, de fort, de puissant… Je me sens bercé. C’est véritablement l’extase, la sensation de sortir de soi. Je vais à cette rencontre jusqu’au moment où je fonds dans cette lumière. Au retour, quand elle me repose dans mon corps, une trace demeure dans mon cœur, une confiance, une foi».
Qu’est ce que cela change? «Croire n’est pas savoir, c’est une expérience spirituelle. Dieu n’est pas un objet de savoir. La condition humaine est un mystère. On a tous des questions et les réponses sont toutes différentes. Je vivais dans le mystère et l’angoisse. La croyance est une manière d’habiter l’ignorance. Quand on habite ce mystère avec confiance, on est dans la foi.
 

Le monde désenchanté
La mort c’est l’inconnu total, mais face à la mort, je suis serein. J’ai reçu un cadeau de la vie, j’aurai un cadeau de la mort. Je ne cherchais rien et j’ai reçu. J’étais dans un moment de faiblesse. Et c’est par là qu’Il est entré».
Dieu? «Cette force qui m’a appelé ne s’est pas nommée. Ce sont les hommes qui donnent le nom à Dieu. Ce qui fonde toutes les religions, c’est le noyau de feu, le mysticisme… Les religions sont le refroidissement de ce feu qui s’exprime par les dogmes, les rites, les histoires… Mais, par ailleurs, j’ai un regard bienveillant sur elles. Elles sont ‘‘humanisantes’’».
Dans la société d’aujourd’hui? «Le monde actuellement est désenchanté, c’est devenu un grand marché global, matérialiste. On a faibli sur notre modèle de société. Il y a des jeunes qui refusent cela et qui, donc, se radicalisent».
Sa réponse à cette déshumanisation croissante, l’auteur au grand sourire la trouve dans l’ouverture aux autres, dans la lutte au quotidien. «Il faut travailler du côté de la bienveillance, du vivre-ensemble. Ne pas créer des exclusions par notre regard ou pire encore par notre indifférence. Il faut essayer d’être ensemble. J’adore d’ailleurs les Libanais qui dansent sur les volcans. Si les Parisiens savaient vivre comme les Libanais…».
La nuit de feu (chez Albin Michel) raconte la part de rêves, d’idéaux, de valeurs. Ces mêmes valeurs dont Eric-Emmanuel Schmitt dira: «Un vrai talent doit transmettre des valeurs qu’il porte et qui le dépassent. Son but est d’obtenir des mercis et pas des bravos. Un livre doit vous aider à vivre mieux… emmener le lecteur quelque part, jusqu’au bout du voyage intérieur».

Gisèle Kayata Eid, Montréal

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