Magazine Le Mensuel

Nº 3035 du vendredi 8 janvier 2016

Société

Le syndrome du nid vide. Quand les enfants déménagent

Près de 60% des parents souffrent de ce qu’on appelle «le syndrome du nid vide». Quand les enfants quittent le domicile familial, une sorte de désœuvrement, voire de dépression, s’installe. Cela se traduit par un sentiment d’abandon, de vacuité, de tristesse diffuse… Analyse et témoignages d’un phénomène naturel et irrévocable.

«A 23 et 25 ans, mes deux filles ont décidé de poursuivre leurs études aux Etats-Unis dans le cadre prestigieux des universités américaines. Quand l’aînée m’a mise au courant de sa décision, j’ai paniqué. Mais, au fond de moi-même, je me disais que la plus jeune restera là. Le choc a été quand Marwa m’a annoncé, à son tour, qu’elle pensait, elle aussi, s’installer à New York. Je me suis effondrée. J’avais consacré toute ma vie à mes filles. Je n’avais jamais travaillé. Mon mari était souvent en voyage d’affaires et comptait sur moi. Pendant quelques mois, j’ai vraiment déprimé. Je tournais en rond comme une âme en peine. Je pleurais pour un rien. Je n’avais même plus envie de vivre. Jusqu’au jour où une amie m’a prise en main, m’obligeant presque à me reconstruire en ayant ma propre vie et en ne vivant plus en fonction des autres. J’avais désormais un agenda super-chargé et j’avoue que lorsque mes filles sont rentrées pour les vacances d’été, j’ai été super-heureuse de les avoir, mais je pensais avec plaisir à toutes les activités qui m’attendaient après leur départ».
Désormais, au Liban comme partout ailleurs, de plus en plus de jeunes quittent le foyer pour étudier à l’étranger ou s’installer seuls, loin du cocon familial. Le départ des enfants s’accompagne souvent d’une morosité, d’un vague à l’âme, parfois carrément d’une dépression. Ce phénomène touche aussi bien les femmes que les hommes à des degrés différents. Les enfants mobilisent énormément l’attention et l’énergie alors, forcément, leur absence provoque une sensation d’inutilité bien compréhensible. Retrouver autant de temps libre angoisse les mamans surtout, elles qui ont consacré leur vie à materner et qui se retrouvent soudain face à elles-mêmes, sans profession et sans passion. Mais, selon tous les spécialistes, il ne faut pas trop s’en faire: passé un temps d’adaptation, la plupart des parents se sentent heureux d’avoir conduit leurs jeunes adultes aux portes de l’autonomie et se donnent souvent le temps de se redécouvrir et de se consacrer à des activités qu’ils avaient mises en berne. Toutefois, ces mêmes spécialistes sont unanimes: cette étape, celle du départ des enfants, se prépare dans le sens où être une maman ou un papa dévoués et attentionnés ne doit pas empêcher d’avoir une vie à soi, indépendamment des enfants pour ne pas avoir le sentiment, le jour de leur départ, d’avoir raté sa vie et de ne plus avoir envie de rien.
Selon le sociologue Pierre Abi Saleh que nous avons rencontré, il faut éviter à tout prix de transmette les angoisses aux enfants. «L’autonomie, explique-t-il, est le but de toute éducation. A partir du moment où ils prennent leur envol, c’est sans doute qu’ils sont prêts à le faire. Mieux encore, c’est le signe que vous avez réussi votre mission de parent. Encouragez-les donc et évitez de les culpabiliser en lançant des phrases genre «comment vais-je vivre sans toi?». «Tu m’abandonnes, alors que je t’ai consacré tout mon temps et mon énergie»… C’est souvent le cas quand, inconsciemment bien sûr, le désir de les maintenir dans l’enfance est le plus fort. La relation parents-enfants évolue. Désormais, elle doit être davantage basée sur une transmission d’expérience, un soutien, une écoute. Ces nouvelles relations procurent des joies différentes. Cesser de les materner leur permettra de prendre leurs responsabilités, une étape nécessaire à leur évolution».
Comment dépasser cette étape un peu difficile, surtout quand pendant toute notre vie nous avons été femmes au foyer, couvant et maternant en bonne conscience? «Leur départ est inévitable, c’est dans la logique de la vie. S’y préparer est nécessaire. Prenez du temps pour un projet personnel, une passion, quelque chose qui n’inclut pas l’enfant dès que vous avez un moment à vous. Par ailleurs, être parents ne signifie pas négliger le couple d’autant que le départ de l’enfant lui redonne sa place. En laissant une place trop importante à l’enfant, ce dernier occulte le couple, les amants que sont ses parents. Le fait qu’ils se retrouvent seuls, en tête à tête, peut aider à renouer des liens un peu oubliés ou à renforcer une relation qui n’a pas pris un coup de vieux. Mais là réside aussi un danger. Si le couple n’était soudé qu’à cause des enfants, il risque de vaciller et même d’éclater. Il est donc nécessaire que chaque partenaire ait son autonomie et profite du départ des enfants pour être lui-même et assumer ses choix de vie.
Le départ des enfants coïncide parfois avec la ménopause, avec un départ à la retraite. Deux événements qui peuvent s’accumuler et se révéler réellement difficiles à surmonter. Ils renvoient immanquablement au vieillissement et aux peurs qui vont avec… Accepter l’inévitable cours de la vie est la seule solution. C’est le moment de changer de perspective.
Le témoignage de Mirna, actuellement en charge d’une ONG, est intéressant à ce sujet. Cette femme a toujours vécu à l’ombre de son mari, veillant sur ses enfants avec beaucoup d’amour et d’intérêt. Sa relation avec son conjoint n’a pas été de tout repos. Il la trompait sans cesse, voyageant avec ses maîtresses, comptant sur elle pour s’occuper de l’éducation de ses quatre progénitures, deux filles et deux garçons. Cette femme éduquée, raffinée a décidé, de plein gré, de consacrer sa vie à sa famille. «A l’approche de la cinquantaine, j’ai réalisé, qu’en fait, je n’avais jamais rien fait pour moi. Toute ma vie tournait autour des autres, alors que je foisonnais de projets. Quand mon fils aîné m’a confié vouloir s’installer seul dans un appartement, j’ai eu comme un flash. J’ai réalisé que mes enfants avaient le droit de voler de leurs propres ailes et qu’il fallait même les encourager à le faire et à me prendre enfin en charge. Je me suis consacrée à une association caritative qui s’occupe de drogués. Je me suis retrouvée à la tête de cette association et cela a changé ma vie. Actuellement, je suis en plein divorce et je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie. Le départ de mes enfants m’a donné le courage de construire mon avenir».
En fin de compte, que les enfants deviennent autonomes est certes difficile à accepter, surtout si on leur a consacré notre vie, mais dites-vous bien que personne n’abandonne personne dans cette histoire. On est là, les uns pour les autres, mais chacun chez soi et pour soi. 

Danièle Gergès
 

Quand l’enfant quitte le nid
Selon les spécialistes, quand les enfants décident de s’installer seuls, près de 60% des parents se sentent «abandonnés» à l’annonce de cette nouvelle. Les mères, plus que les pères, du fait de leur dépendance aux contraintes familiales. Mais une fois cette phase «choquante» dépassée, dans la majorité des cas, près de 40%, des femmes se reprennent en main. Certaines, près de 10%, continuent de vivre, même à distance, à travers leurs enfants en s’immisçant dans leurs affaires à tout bout de champ, ce qui n’est sain pour personne. Seules 5% des mamans s’installent dans la dépression sur la durée, refusant d’avoir une vie à elles et de se consacrer à ce qui leur plaît.

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