Magazine Le Mensuel

Nº 3036 du vendredi 15 janvier 2016

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Harcèlement sexuel. Les hommes aussi… silencieuses victimes

Le harcèlement sexuel ne touche pas que les femmes. Un homme aussi peut en être la proie. Et sa situation est d’autant plus difficile qu’il n’y a pas de loi qui le protège, ni une opinion publique qui le défend. Un homme dans les milieux arabes doit être machiste et ne doit surtout pas larmoyer même quand il est harcelé. Témoignages et avis d’experts.

Le témoignage de Michel, 40 ans, est significatif… et choquant. Il travaille dans une boîte de publicité gérée par une femme. «Dès que je me suis présenté à ce poste, raconte-t-il à Magazine, la P.D.G. a semblé tomber sous mon charme et cela n’a fait qu’empirer au fil des jours. Je ne savais plus quoi faire. Elle venait me voir inutilement, me regardait avec des yeux doux, me complimentait sur mon apparence physique et me chuchotait parfois des blagues à caractère sexuel. Elle m’invitait à passer chez elle, ‘‘pour régler des dossiers en suspens’’, prétendait-elle. Mais je m’esquivais sous divers prétextes. Les choses se sont dégradées quand, ayant une offre à étudier dans un pays arabe, elle me demande de voyager avec elle. Le soir, elle m’invite à dîner et s’impose littéralement dans ma chambre d’hôtel. Le problème, c’est qu’elle ne m’intéressait pas du tout et je lui ai fait comprendre qu’elle devait arrêter son jeu. De retour au Liban, je reçois, sans surprise, une lettre de licenciement. Mon avocat me conseille de tourner la page, puisque, selon la loi et au regard de la société, je n’avais aucun droit, et surtout, il serait honteux de me plaindre du fait qu’une femme non honorée par mes services ait réussi à me jeter hors de ses bureaux», souligne-t-il.
L’histoire de Hani est différente. Ce jeune stagiaire, dans l’un des hôpitaux de la ville, a été enchanté de sentir qu’il était dans les bonnes grâces de son chef de service. Ce dernier l’entourait de petits soins, n’hésitait pas à lui confier des missions médicales intéressantes, l’assistait quand besoin est. Hani ne s’est douté de rien jusqu’au jour où son patron l’invite à aller prendre un verre dans l’un des bars de Beyrouth et le coince dans les toilettes… tentant de l’embrasser. «J’ai été tellement choqué par son geste, confie-t-il, que j’ai failli m’effondrer. Ma bêtise et ma naïveté me revenaient. Et dire que j’avais pris tous ses gestes pour des encouragements, moi qui avais l’âge de son fils. Je ne savais plus comment agir. J’étais tétanisé, mais j’ai réussi à le repousser et à faire comme si de rien n’était. A partir de cette nuit, il n’a eu de cesse de me harceler à tout bout de champ au point où j’ai décidé de changer d’hôpital, sans toutefois en avouer la raison à quiconque, pour ne pas être traité de mauviette qui se fait harceler», avoue le jeune homme.
 

Qu’est-ce que harceler?
Le harcèlement se définit comme le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle, portant atteinte à sa dignité, en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou qui créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Concrètement, dès qu’un supérieur hiérarchique a un comportement ou des propos connectés sexuellement, alors qu’ils n’ont pas été sollicités ou qu’il continue bien qu’il lui ait été demandé d’arrêter, il s’agit de harcèlement sexuel. Il y a toute une gamme de comportements qui peuvent commencer par un discours avant d’aboutir à une relation physique. Il y a toujours l’association d’une certaine forme de violence. Dans le cas du harcèlement, la violence est psychologique et physique. La violence psychologique est une menace à l’identité de l’individu. La violence morale peut aboutir à une transgression des valeurs sociales.
Quelles séquelles peuvent garder ces personnes? Les hommes sont-ils aussi fragilisés que les femmes dans une situation de harcèlement? Selon la psychologue Maya Halabi, «tout dépend de l’intensité du harcèlement et de sa chronicité. Si cela est répétitif et de grande intensité, les conséquences psychologiques peuvent être graves. La  personne harcelée se sentira en situation de peur, voire d’insécurité, avec des relations perturbées avec autrui, aussi bien dans son cadre professionnel ou ailleurs. Ses relations constitueront toujours un rappel de ce qui s’est passé. La victime, parce qu’il s’agit bien d’une victime, se sent souvent dans une position de honte et a beaucoup du mal à en parler ou à évoquer son traumatisme. A court terme, il est important d’essayer de changer d’environnement, si ceci est possible, et de demander une aide psychologique». Dans ce cadre, précise la psychologue, «nous pouvons presque dire que la situation des hommes est presque pire que celle des femmes». «En effet, explique-t-elle, dans les milieux orientaux, évoquer le harcèlement est tabou chez les femmes, mais il l’est encore plus chez les hommes. Un homme doit être fort, machiste… Sinon, il sera taxé de tous les noms. Un homme ne peut pas permettre qu’une femme l’avilisse et, s’il le fait, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même et, surtout, ne pas partager son expérience, au risque de se voir nier son identité masculine», indique-t-elle.
«Cette mentalité erronée, poursuit Mme Halabi, cause beaucoup de dégâts, d’autant plus que, non seulement atteints dans leur virilité et fragilisés émotionnellement et psychologiquement, les hommes harcelés ne prennent pas la peine de se plaindre auprès des autorités, du fait qu’au Liban, il n’y a pas de lois dans ce sens qui leur permettraient de défendre leurs droits».
Certes, il n’y a pas de lois au Liban qui protègent du harcèlement. Toutefois, dans les sociétés et compagnies qui se respectent, le règlement intérieur comprend une clause réprimant tous genres de harcèlement, que ce soit entre les employés ou entre ces derniers et les directeurs. En revanche, il est rarissime qu’il y ait des plaintes sur ce sujet pour les raisons que nous avons déjà évoquées. C’est contre ces silences que les ONG (organisations non gouvernementales) tentent de se battre, tout en essayant, mais en vain, de faire pression sur les députés, afin de créer une législation à ce sujet… Ce qui ne risque pas de se concrétiser de sitôt.  

 

Des chiffres évocateurs
Dans les cinquante prochaines années, le pourcentage d’hommes harcelés au travail devrait augmenter, vu la nomination croissante de femmes à des postes élevés. Aux Etats-Unis et en Europe, le pourcentage des hommes qui portent plainte pour harcèlement sexuel a doublé en 20 ans passant de 8 à 16%, selon l’Equal Employment Opportunity Commission (EEOC, 2010). Dans les pays arabes et précisément au Liban, aucune statistique n’a été effectuée sur ce sujet du fait du secret qui entoure les problèmes de harcèlement qui touchent les hommes. En Occident, les sanctions sont très fermes mais seulement 24% des harceleurs ont été sanctionnés faute de preuves accablantes.

 

Danièle Gergès
 

Quand Nasawiya descend dans la rue
L’ONG Nasawiya a organisé plusieurs actions dans les rues de Beyrouth. La première, qui a fait beaucoup de bruit pour son originalité, consistait en un clip sonore de femmes draguant des hommes à leur façon. Un camion publicitaire a sillonné les rues de Beyrouth, jouant ces clips sur haut-parleurs. Combinées aux sifflements et bruits de bouche qu’on pourrait entendre dans les rues, des phrases lancées par des voix féminines comme «Oh là là! Quels beaux biceps!», «Toi, beau brun, tu me plais, tu habites où?» étaient répétées.

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