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Nº 3036 du vendredi 15 janvier 2016

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Industrie du luxe. Et si les Chinois remplaçaient les Arabes?

Depuis le début de la guerre en Syrie, le tourisme libanais doit composer sans les visiteurs arabes qui constituaient, pourtant, plus de la moitié des dépenses détaxées. Pour l’industrie du luxe, c’est la douche froide. La nécessité de se réinventer se fait de plus en plus pressante. Comment Beyrouth peut-il rester le Paris du Moyen-Orient?

«Dans les grands hôtels de la capitale, le temps où le champagne coulait à flots est bel et bien révolu», regrette Peter Edholm, le directeur marketing du Phoenicia de Beyrouth, l’emblème de l’hôtellerie de luxe au Liban. Avec nostalgie, le responsable se souvient de «l’âge d’or» de l’établissement. «A cette époque, les riches fortunes du Golfe pouvaient dépenser des milliers de dollars sans bouger de leurs chambres, raconte-t-il. Caviar, champagne à n’importe quelle heure, tout était permis».
Aujourd’hui, si la clientèle arabe n’a pas totalement disparu, les grandes fortunes ont laissé la place aux hommes d’affaires, nettement moins dépensiers. «Bien entendu, la clientèle d’affaires n’est pas ici pour faire la fête ou passer des vacances, comme c’était le cas des riches familles arabes avant la crise syrienne», poursuit Edholm.
Selon les chiffres de l’établissement, la clientèle arabe aurait diminué d’au moins 30% depuis 2011. «Durant l’âge d’or, il fallait réserver des mois à l’avance pour obtenir une chambre en période de fêtes, explique le responsable. Ces dernières années, les réservations pouvaient se faire à la dernière minute».
Depuis le début de la guerre en Syrie et les boycotts plus ou moins officiels des pays arabes du Liban, les touristes du Golfe ont pratiquement déserté le pays, alors que leurs dépenses représentaient plus de 60% des dépenses détaxées avant la crise syrienne. L’économie libanaise, et en particulier le tourisme, reposaient bel et bien sur cette manne financière.
Pour Nicolas Chammas, président de l’Association des commerçants de Beyrouth, «au niveau de l’offre, rien n’a changé, Beyrouth est toujours la capitale de la mode et du luxe. Les boutiques sont toujours à la page et proposent encore ce qui se fait de mieux. Le problème est que la demande n’est plus au rendez-vous. Les fortunes arabes ont déserté le pays depuis le début de la crise syrienne. L’Arabie saoudite, le Koweït, les Emirats arabes unis, le Qatar et Bahreïn étaient les moteurs de l’industrie du luxe au Liban». «Aujourd’hui, alors que nous avons perdu 35 à 40% de cette demande, il n’y a plus de business».
Brahms Chouity, lui aussi, regrette l’âge d’or libanais. L’homme d’affaires a créé la franchise de Quintessentially, conciergerie de luxe pour la région Mena. Son concept était de proposer aux clientèles fortunées composées d’hommes d’affaires et de riches familles arabes un service de conciergerie haut de gamme 24 heures sur 24 et sans aucune limite concernant les commandes. Mais pour Chouity, comme pour l’industrie du luxe au Liban, la crise syrienne est passée par là.
«Le temps où un client nous appelait dans la journée pour réserver un hôtel tout entier et son personnel est lui aussi bien révolu, regrette-t-il. Finies, également, les commandes d’une douzaine de Rolex pour un de nos habitués».
 

Fermeture de Quintessentially
En 2010, Quintessentially enregistrait quelque 120 abonnements pour un revenu annuel brut de 330 000 dollars. En 2015, ce chiffre est tombé à 30 abonnements pour un revenu annuel de 80 000 dollars. «L’industrie du luxe connaît, depuis le départ des visiteurs arabes, une crise sans pareille, explique Brahms Chouity. En ce qui nous concerne, notre activité a au moins été amputée de 80% en quatre ans».
Aujourd’hui, l’homme d’affaires libanais a décidé de fermer Quintessentially. «Ce business n’est tout simplement plus tenable», explique-t-il. «La néo belle époque de 1995 à 2005 était surtout alimentée par la consommation des visiteurs arabes. Comment n’avons nous pas prévu cet effondrement de l’industrie?».
«Il faut survivre coûte que coûte, insiste Nicolas Chammas. Les professionnels doivent résister. Pour cela, il leur faut maîtriser les coûts opérationnels et leurs liquidités afin de rester à flot en attendant de jours meilleurs».
Selon Chammas, les enseignes de «luxe abordable» ont été les plus affectées par la crise. Les grandes marques internationales résistent mieux car elles sont plus solides. «Les locales, elles, sont les premières touchées par les événements, relève-t-il. Les boutiques ayant fermé leurs portes au centre-ville, par exemple, sont celles qui proposaient du luxe accessible».
Cette année, 13% des marques remboursant la détaxe auraient mis la clef sous la porte. «Nous n’avons jamais vu cela au Liban».
Dans ce contexte, les professionnels n’ont d’autres choix que de séduire de nouveaux touristes comme les Chinois, qui pourraient bien devenir les consommateurs arabes de substitution.
Au Phoenicia, Peter Edholm, le directeur du marketing est bien décidé à faire de même. «Nous ne pouvons plus nous concentrer uniquement sur les marchés arabes, insiste-t-il. Aujourd’hui, nous travaillons sur le développement de nouveaux marchés comme l’Afrique, l’Europe, le Mexique ou encore la Chine». Les premiers touristes chinois sont déjà arrivés. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne deviennent les nouveaux investisseurs au Liban, prévoit Edholm. Pour nous, cela peut représenter une clientèle de substitution».
«Outre la conquête de nouveaux marchés, l’industrie du luxe doit rajeunir son image de marque, considère Peter Edholm. Il faut savoir attirer les nouvelles générations, celles qui ne cherchent pas le clinquant, mais à vivre une expérience». L’établissement développe ainsi ses restaurants l’Amethyste et le Café Mundo afin de les rendre accessibles et attractifs aux locaux. «Nous sommes obligés de revoir notre cible et de séduire les locaux puisque les touristes se font rares».
C’est également sur ce concept de «luxe accessible» que Brahms Chouity a décidé de surfer. S’il a décidé de fermer les portes de sa conciergerie de luxe Quintessentially, en bon entrepreneur qu’il est, le Libanais vient de lancer un nouveau service, Shayyaka, adapté aux nouvelles évolutions du marché.
«La situation politique régionale et la baisse constante des prix du pétrole nous ont appris une chose: même les clients fortunés font désormais attention à leurs dépenses», explique l’entrepreneur. Shayyaka est un service en ligne destiné à dénicher les objets «rares» et «authentiques».
A la question de savoir si Beyrouth est toujours la capitale du luxe dans la région, Brahms se montre ainsi optimiste. «En un sens, il l’est toujours, même si Dubaï a accaparé une belle partie de notre clientèle. Car Beyrouth a quelque chose que Dubaï n’aurait jamais: son charme authentique, cette âme qu’avec tout l’or du monde, il est impossible de copier. De nos créateurs de mode à nos escapades de charme, les voyageurs le savent bien: Beyrouth est une ville à part».

Soraya Hamdan

La stabilité, l’unique solution
Pour Charles Arbid, président de la Lebanese Franchise Association (LFA), un changement politique est la seule condition à la reprise de l’industrie du luxe au Liban. «Si la situation ne se stabilise pas politiquement au Liban, 2016 risque bien d’être pire que 2015», prévient-il. Le secteur du luxe, comme l’ensemble des ventes au détail connaissent une crise profonde en particulier au centre-ville. «Le centre-ville où sont localisées la plupart des grandes boutiques de luxe est toujours le premier affecté par les événements politico-sécuritaires», insiste Arbid. Sur les six premiers mois de 2015, l’indice de la LFA indique une chute globale de 22,6% des ventes au détail. Les baisses les plus significatives ont touché les catégories des accessoires de sport et de loisirs (-44%) et les produits de luxe (-33,9%). «Si nous n’avons pas encore les chiffres des six derniers mois de l’année, je peux d’ores et déjà vous dire que les mois de septembre, octobre et novembre ont été bien pires que le reste de l’année», annonce Charles Arbid.

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