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Nº 3042 du vendredi 26 février 2016

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Prochain plan de sécurité à Achrafié. Pour que les voyous ne fassent plus la loi!

Achrafié. Un quartier aisé et tranquille, dans la banlieue est de Beyrouth. Cet endroit paisible de la capitale est de plus en plus secoué par des crimes qui ont lieu en plein jour et dont les victimes sont d’innocents citoyens. Quelques mois à peine après le sauvage assassinat de Georges Rif pour une histoire de priorité de passage, le 16 février, sous les yeux de sa fiancée, le jeune Marcellino Zamata est tué à coups de poignard par deux étrangers au quartier: le Palestinien Ahmad Mounir Saad et le Libanais Hassan Ibrahim Fakih.

Après quatre ans et huit mois d’amour, Marcellino Zamata (26 ans) et Stéphanie Saad (24 ans) avaient décidé d’officialiser leur relation le jour de la Saint-Valentin et se sont fiancés le 14 février. Ils avaient commencé à faire des projets d’avenir. Mais le destin, ou plutôt deux criminels en avaient décidé autrement. Le 16 février, alors que Marcellino et Stéphanie circulaient tranquillement à bord de leur voiture, place Sassine, deux voyous adressent des propos mal placés à Stéphanie. Marcellino descend de la voiture et, en un clin d’œil, les deux criminels lui sautent dessus, lui assènent six coups de poignard, dans le cœur, la poitrine, l’épaule et le bras. Tout se passe très rapidement. Stéphanie a à peine le temps de sortir de la voiture et de se lancer derrière son fiancé pour le retenir, que le mal est déjà fait. Le crime a lieu à proximité de la permanence des Forces libanaises (FL), dont les militants, alertés par les cris, se précipitent pour porter secours au jeune homme. Contrairement à ce qui fut rapporté ultérieurement, ce ne sont pas des agents des Forces de sécurité intérieure (FSI) qui ont capturé les présumés meurtriers mais des membres des FL.
Une semaine après le drame, toujours sous le choc, Stéphanie raconte que dans la soirée du mardi 16 février, achevant leur dîner, elle s’était rendue, en voiture, en compagnie de Marcellino, pour acheter un dessert. Le Palestinien Ahmad Mounir Saad et le Libanais Hassan Ibrahim Fakih sont à pied au niveau de leur voiture. Stéphanie ne comprend pas très bien ce qu’ils disent. Lorsque Marcellino arrête la voiture et descend parler aux criminels, elle a juste le temps de défaire sa ceinture de sécurité et de le rejoindre, mais il est déjà trop tard. Marcellino est adossé sur la voiture, les yeux retournés et le sang est partout. Ce n’est qu’en lui relevant sa chemise qu’elle aperçoit une énorme plaie à la place du cœur, d’où le sang gicle. Elle appelle Souheil, le père de Marcellino, qui arrive aussitôt en pyjama et robe de chambre à bord d’une moto. La fin de cette tragique histoire on la connaît. Marcellino décède des suites de ses blessures, laissant derrière lui un père éploré et une fiancée entièrement dévastée.

Les «appâts» des criminels
Ce drame n’est pas sans rappeler celui qui a eu lieu, il y a quelques mois à peine, dans le quartier de Gemmayzé, lorsque de la même manière Tarek Yatim, sous les yeux de sa compagne et des passants, assassine à coups de poignard Georges Rif. Pour une question de priorité de passage, Yatim avait pris en chasse sa victime de la route de l’aéroport jusqu’à Gemmayzé. Un crime qui a secoué l’opinion publique et rempli les gens d’effroi. Comment en plein jour, dans des quartiers connus pour leur tranquillité, des drames pareils peuvent-ils se produire? Comment à Beyrouth, en particulier Achrafié qui, malgré tout, est considérée une ville sûre, de tels crimes peuvent-ils avoir lieu? Les habitants d’Achrafié se demandent pourquoi leur quartier attire les malfaiteurs. En raison de sa symbolique et de la particularité que représente ce quartier dans la conscience collective? De sa réputation de quartier aisé?
Si ces crimes sont connus en raison du tapage médiatique, il n’en demeure pas moins que beaucoup d’incidents ont lieu fréquemment et ne sont pas portés à la connaissance du public. Des bandes organisées, «louent» nourrissons, enfants et femmes, les utilisant comme appâts. Les altercations en raison d’une place dans un parking, qui dégénèrent en véritables rixes, les vols à l’arraché, les pickpockets, la prostitution dans les caves des immeubles, la mendicité, etc… tout cela fait qu’Achrafié devient de plus en plus un quartier dangereux. Dans un pays où les divisions se font profondes et où l’appartenance communautaire prime toute autre identité, les réseaux sociaux s’enflamment et tout prend une tournure confessionnelle. Après le crime qui a coûté la vie à Marcellino Zamata, beaucoup ont appelé à l’autoprotection et encouragé les citoyens à s’armer.
Dans un entretien accordé à Magazine, le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, qui a tenu une réunion à son domicile, en présence des députés Nadim Gemayel et Serge Toursarkissian, ainsi que de nombreux responsables sécuritaires pour traiter du dossier de la sécurité à Achrafié, à la suite de l’assassinat de Marcellino Zamata, appelle à faire confiance aux services de l’Etat. «Tous les services de sécurité sont présents à Achrafié: les services de renseignements, la Sécurité de l’Etat, les FSI. Actuellement, nous sommes en train de mettre en application un plan, qui entrera en vigueur dans les deux prochains mois, et qui consiste dans le déploiement d’une police communautaire à Achrafié. Dans le cadre de ce projet, le nombre des agents de police sera porté de 30 à 90 agents, des caméras seront installées, les rues seront constamment éclairées et des mesures seront prises pour renforcer la collaboration entre les citoyens et la police». Se voulant rassurant, le ministre Pharaon estime que les crimes et infractions n’ont pas de caractère communautaire et sont le résultat de la pauvreté. «Les criminels potentiels vont dans les régions qui sont supposées avoir de l’argent. La hausse du tourisme, la présence d’étrangers sur le sol et le nombre de chantiers qui existent nécessitent qu’une attention particulière soit portée à Achrafié, sans pour autant tomber dans la panique».


Michel Pharaon
Les agents de police passeront de 30 à 90 membres à Achrafié.

Interrogé à son tour par Magazine, le député Nadim Gemayel rejette les appels à l’auto-sécurité. «Je suis contre cette approche et j’estime que nous avons une région assez bien sécurisée. Il y a certainement des crimes et des infractions qui ont lieu, mais cela peut aussi bien arriver dans n’importe quelle autre ville du monde. Le nombre d’infractions a diminué récemment, quoique le problème le plus grave demeure les vols à l’arraché. La bande qui sévissait durant la période de Noël et qui était responsable de la grande majorité des vols a été arrêtée grâce aux efforts des Forces de sécurité intérieure». Pour le député d’Achrafié, la sécurité est assez bien tenue en raison de la présence de tous les services de sécurité dans le quartier. «Des mesures seront prises pour renforcer la sécurité et le commissariat d’Achrafié sera entièrement rénové et servira de projet pilote pour mieux être à l’écoute des citoyens». Interrogé sur la fascination et l’attirance qu’exerce Achrafié, le député Nadim Gemayel estime que ce quartier est considéré un golden square. «C’est normal qu’Achrafié attire les pauvres et les étrangers. Si l’on compare les chiffres, le nombre de crimes et d’infractions qui ont lieu à Hamra et Raouché est supérieur à celui d’Achrafié quoiqu’on en parle moins. Il y a beaucoup d’étrangers partout dans le pays. Mais il ne faut pas pour autant tomber dans la psychose. Le cas de Marcellino Zamata est un différend entre deux personnes qui a dégénéré en crime».

Nadim Gemayel
Le commissariat d’Achrafié sera rénové et servira de projet pilote


Pour le député Serge Toursarkissian, il ne peut y avoir de sécurité sans l’armée et les services de sécurité, qui doivent être les seuls à détenir des armes. «Les incidents qui ont lieu à Achrafié et ailleurs ont pour raison principale l’anarchie dans laquelle nous vivons, le grand nombre d’étrangers sur notre sol et la pression politique. La vigilance des fils de la région a contribué à arrêter les assassins de Marcellino mais, malheureusement, ils n’ont pas réussi à lui sauver la vie».
L’ancien ministre Nicolas Sehnaoui confie, à Magazine, qu’il faudrait que la municipalité de Beyrouth crée une police municipale. «Nous avons des gardes municipaux, mais ils ne sont pas armés. J’ai discuté avec le mohafez de Beyrouth de ce sujet. Sur un autre plan, nous avons entrepris une initiative auprès de l’armée pour la réinstallation de barrages aux portes d’Achrafié, comme à Sodeco, car la présence de l’armée est dissuasive et renforce la sécurité». Sur un autre plan, Nicolas Sehnaoui appelle à la vigilance des habitants et lance surtout un appel à la justice pour qu’elle soit plus ferme. «C’est l’impunité qui encourage les criminels à passer à l’acte. Quand les juges deviendront sourds aux politiques et les sentences seront sévères contre les criminels, cela les dissuadera d’agir contrairement à la loi». L’ancien ministre comprend parfaitement la peur et l’inquiétude des gens. «Face à la recrudescence de la criminalité, même s’il y a des crimes ailleurs, nous n’accepterons pas que notre région se transforme». En conclusion pour Sehnaoui, une collaboration entre la municipalité, l’armée et la justice pourrait nettement contribuer à améliorer la sécurité.

Nicolas Sehnaoui
Réinstaller les barrages de l’armée aux portes d’Achrafié

 

Ziad Abs, activiste et membre du Courant patriotique libre (CPL), plaide pour une protection préventive. Interrogé par Magazine, il ramène la recrudescence des crimes à Achrafié au grand nombre d’étrangers qui s’y trouvent. «Il faut qu’on arrête de louer des petites chambres à des prix exorbitants pour des dizaines de travailleurs étrangers». Pour Ziad Abs, de simples mesures pourraient renforcer la sécurité et apaiser les inquiétudes des habitants. «Il faut augmenter la garde et la police de la municipalité de Beyrouth. Certaines municipalités le font désormais et leurs agents sont devenus les protecteurs de leurs localités». Abs évoque le rôle des citoyens et des partis politiques, qui devraient fournir des informations aux agents des FSI lorsqu’ils remarquent quelque chose de suspect. Le cadre du CPL est opposé à l’autoprotection, car elle pourrait se transformer en un véritable fléau et le danger pourrait venir de ceux-là mêmes qui sont supposés assurer la sécurité. «Il faut établir une collaboration entre les FSI, la municipalité et la société civile pour assurer la protection».

Selon des sources proches des services de sécurité, il existe un manque d’effectifs à Achrafié. «Un plan pour renforcer la sécurité sera prochainement mis en œuvre. Il prévoit la création d’une police communautaire, qui renforce les liens entre les citoyens et les agents de l’ordre». Pour ces sources, le drame qui a coûté la vie à Marcellino Zamata n’a pas de caractère communautaire et aurait pu avoir lieu n’importe où. Ces sources se veulent également rassurantes et affirment que tous les services de sécurité se trouvent à Achrafié et y sont très actifs. «Beyrouth est toujours une ville sûre», affirme cette source.
En définitive, beaucoup d’habitants à Achrafié appellent à ce que justice soit faite et que les criminels soient châtiés à l’endroit même où leur crime a eu lieu afin que cela serve d’exemple.


 

Parole aux chiffres
Selon les statistiques des services sécuritaires, les crimes instantanés ont atteint 40% des crimes en général en 2013. Par «crime instantané», on entend les crimes qui ont lieu à la suite d’une altercation ou d’un différend entre les citoyens, sans préméditation. Leur nombre a atteint 62 en une seule année. En 2014, malgré une baisse, tombée à 32% de la totalité des crimes dont le nombre est de 171, les crimes instantanés ont atteint 55 cas, semblables à celui qui a eu lieu à Achrafié. En 2015, malgré une baisse de 9,9% de la criminalité, les statistiques relèvent 154 meurtres. Quant au nombre de crimes instantanés en 2015, il n’a toujours pas été fourni par les services sécuritaires. La raison principale de cette hausse de la criminalité est l’absence de l’Etat et le laxisme de la justice.

Pas de remords
Dans une entrevue télévisée, le dénommé Saleh Riad Khalaf, arrêté par les services de sécurité pour absence de détention de papiers légaux et qui a partagé la cellule du Palestinien Ahmad Mounir Saad, raconte avec quel sang-froid ce dernier a parlé du crime qu’il avait commis. Il a raconté comment il avait assené les six coups de poignard qui ont coûté la vie à Marcellino, donnant des détails sur la taille du poignard. Saleh Riad Khalaf a confié que le Palestinien n’avait montré aucun remords, se vantant même d’avoir déjà poignardé une autre victime dans la jambe et que l’histoire s’était terminée par un arrangement à l’amiable. Il a également raconté que le criminel avait toujours du sang sur ses habits et qu’il n’a fait preuve d’aucune compassion ni d’aucun remords.

Joëlle Seif

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