Magazine Le Mensuel

Nº 3044 du vendredi 11 mars 2016

general

Mustang. Une fougue féminine de Turquie

Avec ses quatre César, dont celui du meilleur premier film, Mustang de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven sort au cinéma Métropolis, dès le 11 du mois. L’histoire de cinq sœurs turques farouches comme la crinière d’un mustang.

Nous sommes en Turquie, loin d’Istanbul, dans un village reculé. Cinq sœurs, à peine des adolescentes, elles ont entre 12 et 16 ans; le spectateur assiste, impuissant, à leurs mariages forcés. C’est ce visage de la Turquie que la réalisatrice Deniz Gamze Ergüven a choisi de mettre en scène, de dénoncer dans son premier long métrage. Une production franco-turque présentée à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2015, avant d’être nommée aux Oscars pour représenter la France dans la catégorie du meilleur film étranger, sans pour autant l’emporter.
Le mariage forcé des adolescentes; un sujet, un crime qui sévit encore, voire davantage, dans certaines contrées qui plient sous l’échine d’une société patriarcale, archaïque. Une question que les Libanais ne sont, hélas, pas loin d’ignorer. Pourtant, Mustang est loin d’être un film glauque, déprimant ou misérabiliste, comme pourrait le faire supposer son sujet; il est rempli des couleurs printanières qui se dégagent de l’espièglerie de ses jeunes héroïnes, leur longue chevelure soyeuse, leurs yeux toujours brillants et déterminés, les sourires qui, même dans les pires moments de détresse, ne quittent pas leurs traits. Espiègles et rebelles, libres et fougueuses, si la prison se referme progressivement et de plus en plus fort sur elles, elles ne rompent jamais. Elles se plient peut-être aux coutumes rétrogrades qu’on leur impose mais à leur manière, assumant malgré tout leurs choix.

 

La fraîcheur comme crime
Le choix de l’innocence et de la fraîcheur est devenu soudain un crime aux yeux de cette société rurale, un crime qu’il faut punir et cerner avant qu’il ne déborde. Leur crime: être rentrées de l’école, un jour d’été, en jouant avec des garçons, une plongée dans la mer, des éclaboussures dans l’eau, des rires, des sourires, des chevelures libres de toute entrave, des jambes féminines qui frôlent des épaules masculines. Quelles obscénités! Elevées par leur grand-mère, cette dernière, devant ce scandale, appelle à la rescousse le mâle de la famille, leur oncle qui s’empresse de mettre de l’ordre dans la maisonnée. Quel meilleur moyen d’imposer sa dominance de mâle que de décider de la destinée des jeunes filles: elles seront mariées.
Sonay, Selma, Ece, Nur et Lale voient leur vie chamboulée; enfermées dans la maison familiale qui se transforme progressivement en prison, elles sont obligées de s’occuper à des tâches ménagères, de recevoir les futurs mariés venus avec leurs parents. Et l’école n’est plus qu’un souvenir. Mais, animées par un même désir de liberté, les cinq sœurs détournent les limites qui leur sont imposées. Leur chevelure que la caméra ne cesse de filmer, au plus près de la lumière, évoque le titre même du film et sa portée symbolique, ce célèbre cheval sauvage qu’est le mustang avec sa crinière indomptable.
Indomptables, en effet, ces jeunes filles turques auxquelles la jeune réalisatrice a voulu rendre hommage. Selon le site AlloCiné, le film est partiellement autobiographique, mais contrairement aux faits réels, les personnages se rebellent après avoir été brutalement réprimandés, alors que pour elle, le processus de rébellion a été beaucoup plus laborieux.

 

Une prison et la liberté
Au-delà de la lumineuse réalisation, Mustang se distingue par le jeu de ses jeunes héroïnes, des inconnues à l’écran. Toujours selon AlloCiné, pour dénicher ses interprètes, l’équipe du film a diffusé une annonce et auditionné des centaines d’adolescentes en l’espace de neuf mois, que ce soit en Turquie ou en France. Il fallait que la fratrie soit très organique, que les filles se ressemblent, puissent se répondre, se compléter, se comprendre… Deniz Gamze Ergüven a essayé plusieurs combinaisons et une fois que les cinq réunies, ce fut le déclic. Un déclic tellement visible à l’écran que le spectateur a peur de briser cette synergie, de devenir par là, par son voyeurisme, par son impuissance, un facteur conciliant de cette société étouffante qui cherche à détruire cette fratrie féminine et sensuelle. Qui y parvient, mais sans vraiment réussir à le faire.
«Ces héroïnes ont beau être victimes, elles ne se comportent jamais comme telles», écrit Télérama. Un parti pris qui fait toute la force du film et aiguise la colère, et même l’envie, du spectateur. Pas de lamentations, mais de l’action. Et le salut ne peut être que par l’éducation, la perche finale que tend Mustang, une victoire de l’esprit en soi. Selon la réalisatrice «la déscolarisation des filles et la réaction que cela suscite chez elles ont, l’air de rien, un impact déterminant sur l’histoire. Mais je n’approche pas les choses de manière militante. On ne fait pas un film comme un discours politique, ajoute-t-elle. «Le film exprime les choses de manière beaucoup plus sensible et puissante que je ne pourrais le faire». Dans la dernière scène, en effet, tout est dit, là, dans le silence, où ne pointent que quelques mots, que quelques gestes de tendresse et d’affirmation et la promesse d’une liberté retrouvée à travers l’éducation.

Nayla Rached

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