Magazine Le Mensuel

Nº 3054 du vendredi 20 mai 2016

general

Familles et partis. L’inextricable enchevêtrement

Le puzzle des élections municipales au Mont-Liban a été marqué par un inextricable enchevêtrement des alliances entre les familles traditionnelles, les formations politiques et les partis.

A Jbeil, au Kesrouan, au Metn, à Baabda, à Aley et au Chouf, ce fut la danse des chiffres. Les listes annoncent leur victoire, annoncent des résultats puis se rétractent, les urnes ayant révélé plus d’une surprise, même si parfois elles étaient attendues. Le taux de participation plutôt élevé, variant entre 47,9% et 65%, est légèrement supérieur à celui de 2010. Les électeurs du Mont-Liban ont répondu à l’appel et les prévisions que les grandes batailles auraient lieu au Mont-Liban n’ont pas été démenties. L’esprit de famille et la présence de partis actifs ont eu une forte répercussion sur le déroulement du scrutin. Toutes les armes politiques étaient de rigueur. Les coalitions des partis et familles sont étonnantes. Les partis surtout s’alliaient les uns avec les autres ou les uns contre les autres au gré les localités. L’accord de Maarab était soumis à sa première épreuve. S’il a fait ses preuves dans certaines régions, il a été quasiment absent dans d’autres où le CPL et les FL se sont répartis dans les listes.
 

Plébiscite à Jbeil
Avec un taux de participation dépassant les 65% en l’absence d’une véritable bataille, Jbeil a créé la surprise. Dans la ville même, la liste du président sortant, Ziad Hawat, est partie gagnante. Les résultats prévus d’avance, faute de concurrence sérieuse, se limitaient à une seule candidate. Le scrutin fut l’occasion pour les jbeiliotes de renouveler leur confiance en Hawat.
Des villages dans le jurd du caza, tel Kartaba, avaient évité la bataille. D’autres ont vécu une bataille en règle, surtout à Akoura, où deux listes se sont disputé les 15 sièges du conseil municipal de la localité, l’une dirigée par le président sortant, l’autre soutenue par le CPL et la famille Hachem. C’est cette dernière qui a remporté la victoire.
A Amchit, trois listes s’affrontaient: la première appuyée par le CPL et les FL, la deuxième par les Kataëb et la troisième par les familles.
Mais ce sont surtout les localités chiites du jurd qui ont créé la surprise face aux listes opposant des partisans du Hezbollah et du mouvement Amal. Un bloc chiite indépendant du Hezb serait-il en formation dans la région?
A Afqa, la journée électorale n’est pas passée sans incidents. Des tirs en l’air ont électrisé l’ambiance. L’Armée libanaise est intervenue pour mettre un terme à la dispute qui a opposé des membres du clan Zeaiter divisés entre les deux listes qui s’affrontaient dans la localité.
Le caza, regroupant quelque 80 600 électeurs, a vécu des élections à forte couleur familiale mettant en échec la volonté des partis, tout en faisant dominer celle du développement.

 

Achats de voix au Kesrouan
Au Kesrouan, plusieurs cas d’achats de voix ont été signalés, selon les observateurs. La dureté de la bataille s’est manifestée par un taux de participation de 62,80%. Mise à part la bataille très acharnée à Jounié, exemple le plus frappant de la non-efficacité de l’accord de Maarab, face aux intérêts et à la volonté des familles, les autres régions ont connu des batailles plus ou moins calmes.
Zouk Mikael a voté, pour la première fois depuis 54 ans, pour quelqu’un d’autre que Nouhad Naufal qui a préféré ne pas se représenter. L’ambiance est calme entre deux listes présidées par deux vice-présidents par alternance du conseil municipal précédent, qui déclarent jouir tous deux de l’appui du CPL. Le parti du général Michel Aoun avait donné à ses électeurs la liberté du choix.
Dans les autres régions du Kesrouan, surtout dans le Ftouh, ce sont des batailles entre familles qui ont prévalu. La politique cède la place aux ententes ou aux disputes familiales.

 

Murr s’affirme au Metn
Sur le littoral du Metn, l’ancien ministre Michel Murr est omniprésent. Avec un taux de participation global de 58,24%, les électeurs étaient au rendez-vous. Si les candidats de Jdeidé, Dékouané et Bourj Hammoud ont été élus d’office, Antélias, Jal el-Dib, Sin el-fil et Dbayé ont connu de dures batailles.
Dans la plupart des localités, c’est une alliance Murr-Kataëb qui a remporté le scrutin. Dans d’autres, comme à Antélias, c’était la confrontation acharnée. Les opposants étaient surtout des jeunes qui voulaient s’imposer et qui prônaient le changement face à des listes qui maintenaient les anciens en place.
Au Metn central, les batailles ont surtout eu lieu à Dhour Choueir, fief du ministre Elias Bou Saab, à Beit Chabab et Beit Méry. Mais ce sont des compétitions locales qui n’ont pas causé d’incidents.
Bikfaya a connu une bataille électorale symbolique. La liste présidée par Nicole Amine Gemayel a disputé les sièges de la municipalité à quelques indépendants.
Sur les 54 municipalités du caza, Murr, en alliance avec les Kataëb, et parfois avec d’autres forces sur place, a annoncé avoir remporté 41 municipalités, dont 20 étaient élues d’office.
A Jal el-Dib, le député aouniste Nabil Nicolas a fait cavalier seul, allant à l’encontre de la volonté de son parti d’appuyer l’une des listes en présence.

 

50,20% à Baabda
La journée municipale s’est déroulée à Baabda dans le calme, avec un taux de participation variant entre 38 et 56%. 162 500 électeurs étaient appelés aux urnes, en moyenne 50,20% ont répondu à l’appel. La bataille la plus dure s’est déroulée à Hadath où l’entente de Maarab est mise en échec par deux listes qui s’affrontaient, la première appuyée par le CPL qui devait remporter le scrutin, la deuxième affirmait être aussi soutenue par le CPL et les Forces libanaises.
La tension à Baabda était tangible devant le bureau de vote, les électeurs de la région relevant la présence de beaucoup d’étrangers inscrits sur les listes électorales.
A Hazmié, comme dans d’autres localités, les élections sont disputées avec âpreté. Les aspirations au changement se font ressentir sans toutefois réussir à s’imposer. Deux listes, l’une appuyée par le CPL, l’autre présidée par le président sortant qui a remporté le scrutin bénéficiant nettement de l’appui des FL. Ces dernières avaient pourtant annoncé se tenir à l’écart du scrutin.
A Ghobeyri, une liste de la société civile tente de s’imposer face à la liste appuyée par Amal-Hezbollah. Elle a récolté 35% des suffrages, un taux considéré élevé dans cette région où, à l’instar des autres régions de la banlieue sud, le tandem Amal-Hezbollah est omniprésent.

 

Surprise à Choueifate
Ce sont, dans l’ensemble, des élections ordinaires qui se sont déroulées à Aley. Seule la circonscription de Choueifate a dérogé à ce calme. Avec un taux de participation de 52%, la mobilisation était forte dans le caza de Aley, et le leader druze Talal Arslan a réussi à s’imposer.
A Choueifate, l’entente Joumblatt-Arslan a fait défaut. Deux listes se sont affrontées, la première formée par des membres de la société civile, appuyée par le leader druze Walid Joumblatt, l’autre soutenue par Arslan qui a remporté le scrutin.
C’est une atmosphère de réconciliation qui a prévalu à Kfarmatta. Deux listes, présidées toutes deux par la famille Khaddaj, se disputaient les sièges municipaux. La première soutenue par Joumblatt et les Forces libanaises, la deuxième formée des familles.

 

Panachage dans le Chouf
Deir el-Qamar et Damour ont volé la vedette au Chouf. Les autres localités ont connu des élections tranquilles avec un taux de participation de 53,5%. Le panachage est à son paroxysme dans les régions du Chouf, et les listes appuyées par l’ancien ministre Wiam Wahhab ont infiltré les listes joumblattistes.
L’accord de Maarab a bien fonctionné à Deir el-Qamar. Le CPL et les FL, ainsi que Joumblatt et des familles, ont appuyé une liste qui a remporté douze des dix-huit sièges municipaux, face à la liste soutenue par Dory Chamoun, les Kataëb et l’ancien ministre Nagi Boustany. Pourtant, historiquement, ce sont les Chamoun et les Boustany qui se disputaient le scrutin municipal. Les six candidats qui ont réussi à percer avaient été nommés par Boustany. Aucun candidat chamouniste n’a réussi à arracher une place au conseil municipal.
A Damour, c’est Charles Ghafari, le président du conseil municipal sortant, qui a été reconduit pour un troisième mandat. La liste qu’il présidait – soutenue par les Kataëb et les Forces libanaises – a remporté la totalité des sièges au terme d’une bataille très serrée, face à une liste appuyée par l’ancien ministre et haut responsable du CPL au Chouf, Mario Aoun.
Brih votait pour la première fois depuis la fin de la guerre, ce qui s’est traduit par une volonté de retour en force dans la Montagne. Aux deux listes de 12 membres qui s’affrontaient, figurait un nombre égal de chrétiens et de druzes, avec un accord sur la présidence du conseil municipal qui serait dévolue à un chrétien et la vice-présidence à un druze.
Les élections du Mont-Liban ont montré, encore une fois, que la volonté de changement était présente, mais n’a pas pu se traduire dans les urnes. La volonté des familles primait celle des partis et les ententes qui ont prévalu dans certaines localités ont fait défaut dans d’autres.

Arlette Kassas
 

Taux de participation
Jbeil 39 municipalités, taux de participation de 65%.
Kesrouan 54 municipalités, taux de participation de 62,80%.
Metn 54 municipalités, taux de participation de 58,24%.
Baabda 46 municipalités, taux de participation de 50,20%.
Aley 57 municipalités, taux de participation de 52%.
Chouf 74 municipalités, taux de participation de 53,50%.

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