Magazine Le Mensuel

Nº 3055 du vendredi 27 mai 2016

ACTUALITIÉS

Les négociations piétinent. Retour au langage des armes en Syrie

Le cessez-le-feu en Syrie n’est plus qu’un lointain souvenir, le bruit des armes se fait entendre de nouveau, tandis que les négociations piétinent. Quant à l’Etat islamique, il a démontré une fois encore, lundi, qu’il pouvait semer l’horreur partout, y compris dans les zones gouvernementales jusque-là épargnées.

Sept attentats simultanés. En frappant lundi matin, simultanément les villes de Tartous et de Jablé, sur la côte méditerranéenne syrienne, l’Etat islamique a envoyé un message fort et inquiétant. Les habitants de cette zone gouvernementale de la province de Lattaquié, plutôt épargnée par le conflit qui mine le pays, sont toujours sous le choc. Les sept attentats, dont cinq auraient été conduits par des kamikazes, s’apparentent à un massacre. On dénombrait, en effet, 154 morts et des centaines de blessés, tous des civils. Un bilan qui pourrait être encore rehaussé, nombre des quelque 300 blessés se trouvant dans un état critique.
Les images sont effroyables. A Jablé, où deux attentats à la voiture piégée ont visé une gare routière très fréquentée à l’entrée de la ville, les autobus ont été réduits à l’état de carcasses fumantes. Une troisième attaque a ciblé un bâtiment administratif situé dans une zone résidentielle, tandis qu’un kamikaze actionnait sa ceinture d’explosifs à l’entrée de l’hôpital gouvernemental de la ville.
A une soixantaine de kilomètres de là, à Tartous, trois attentats dévastateurs ont également touché la gare routière, ainsi qu’un quartier résidentiel de la ville.
Dans un communiqué revendiquant les attaques, l’Etat islamique annonce avoir délibérément frappé «des rassemblements d’alaouites». Ce qui n’est pas vraiment exact. Jablé et Tartous sont deux villes à majorité sunnite, même si elles se trouvent, géographiquement, au cœur du bastion historique des alaouites, dont fait partie le président syrien, Bachar el-Assad. Selon RFI, le nombre de réfugiés de l’intérieur, venant d’Alep, Idlib ou Raqqa, installés à Lattaquié, avoisine les 1,6 million, soit presque autant que la population locale.
 

Message aux Russes
Si cet argument alaouite ne tient donc pas vraiment, le message envoyé par Daech au régime syrien est, en revanche, plus inquiétant. Car l’Etat islamique vient de montrer, par ses attentats simultanés hors de sa zone de confort, qu’il peut frapper partout. Ce qui s’est passé lundi à Tartous et Jablé constitue un grave précédent sécuritaire. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le ministre syrien de l’Intérieur, Mohammad el-Chaar, s’est déplacé aussitôt dans la région. L’organisation de sept attaques simultanées, dans deux villes différentes, suggère une logistique bien rodée et efficace.
Le choix même des villes ciblées par Daech n’est pas anodin. La base russe de Hmeimim, d’où décollent les avions de chasse engagés dans le ciel syrien, se trouve à tout juste dix kilomètres au nord de Jablé. Quant à Tartous, il s’agit de la seule base navale de la marine russe en Méditerranée. Si la communauté internationale s’est indignée de ces attentats meurtriers, le régime syrien a, lui, fait endosser la responsabilité de ce massacre à l’Arabie saoudite, à la Turquie et au Qatar. «Ces attentats terroristes représentent une escalade dangereuse de la part des régimes de la haine et de l’extrémisme de Riyad, Ankara et Doha, et ce dans le but (…) de faire échouer (…) l’accord de cessez-le-feu» en Syrie, a accusé le régime, dans des lettres adressées au secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon et au Conseil de sécurité.
En tapant dans ce fief jusque-là épargné du régime, l’Etat islamique rappelle, que s’il est en difficulté sur le terrain, en Irak (avec la bataille de Fallouja) comme en Syrie (où la bataille de Raqqa semble lancée), il n’est pas encore vaincu.
Par ailleurs, les attaques de lundi sonnent comme une réponse à la reprise des bombardements russes sur la province d’Alep, depuis dimanche. Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la trêve partielle du 27 février, entérinée par Moscou et Washington, l’aviation russe a procédé à des raids intenses sur Alep de 1h à 10 h du matin. Les frappes ont plus particulièrement touché l’unique route menant au secteur tenu par les rebelles. Baptisée la route de Costello, cette route recèle une importance stratégique pour les quartiers rebelles d’Alep, puisque c’est la seule qui leur permet encore d’être approvisionnés en combattants, en armes et en vivres. Les forces du régime ont d’ailleurs tenté, à plusieurs reprises, mais sans succès, d’en prendre le contrôle. Si le Costello venait à tomber dans l’escarcelle de l’armée syrienne, les quartiers rebelles seraient complètement assiégés. La chute d’Alep pourrait alors n’être qu’une question de jours. Toutefois, des informations faisaient état, lundi soir, de l’arrivée de quelque 6 000 combattants dans la région d’Alep, visant à prendre au piège les forces gouvernementales dans la ville. Selon le Centre russe pour la réconciliation des parties en conflit en Syrie, «dans la région d’Alep, les leaders du Front al-Nosra achèvent la formation d’un groupe de frappe comptant plus de 6000 hommes, et ce dans le but de bloquer les troupes gouvernementales dans la ville en frappant depuis le sud. Dans le nord, ils tentent de couper le passage vers la ville de Noubol». De même source, les rebelles auraient pilonné au mortier «les agglomérations de Handarat, de Haylan, l’aéroport al-Naïrobe, ainsi que plusieurs quartiers de la ville d’Alep, dont Cheikh Maqsoud, Qariat al-Ansari et Khalidiya».

 

Al-Nosra à l’offensive
L’offensive russe devrait encore s’intensifier. Alors que Moscou avait appelé, la semaine dernière, à une offensive commune russo-américaine contre les groupes terroristes actifs, le Pentagone a décliné la proposition. En cause, la divergence entre les deux pays concernant les objectifs militaires. Si pour Moscou, il s’agit d’assurer la survie du régime syrien, pour Washington, l’objectif est d’anéantir l’Etat islamique. Par ailleurs, la proposition du ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, d’inclure dans les frappes le Front al-Nosra pose problème aux Américains et à leurs alliés. Aujourd’hui, la plupart des groupes rebelles combattent aux côtés de l’organisation pourtant considérée terroriste par Washington. Et ce, malgré les avertissements répétés de Serguei Lavrov, le chef de la diplomatie russe, qui avait appelé les groupes rebelles à se retirer des zones tenues par le Front al-Nosra. Qu’importe, Moscou a annoncé que dès ce mercredi, son aviation frapperait les groupes rebelles qui ne respectent pas le cessez-le-feu.
Dans le même temps, le régime syrien a poursuivi son offensive autour de Damas, dans la Ghouta orientale ainsi qu’à Daraya, à 10 km au sud-ouest de la capitale. Une situation qui devrait changer, toutefois, la Russie ayant appelé, mardi, à un cessez-le-feu de 72 heures à partir de jeudi.
Alors qu’un retour aux armes semble désormais acté, il semble que la diplomatie et les négociations intersyriennes restent dans l’immédiat au point mort. Aucune date n’a encore été annoncée pour la reprise des pourparlers à Genève. Le groupe international de soutien à la Syrie, réuni à Vienne, la semaine dernière, n’est pas non plus parvenu à une avancée notable. Après quelques mois d’une très relative accalmie, ce sont donc les armes, à défaut des pourparlers, qui devraient reprendre leur bruit assourdissant.

Jenny Saleh

Un chef d’Ahrar el-Cham aux USA
Labib el-Nahas, qui se présente comme chef des relations extérieures du mouvement salafiste Ahrar el-Cham, a pu se rendre pour une visite de quelques jours à Washington, en décembre 2015, muni de son passeport européen. Il aurait rencontré plusieurs chercheurs de think tanks relatifs au Moyen-Orient, ainsi que des lobbyistes.
Né à Madrid d’un père syrien et éduqué au Royaume-Uni, ce membre important d’Ahrar el-Cham – un mouvement salafiste connu pour ses accointances avec le Front al-Nosra – aurait donc pu pénétrer en toute liberté aux Etats-Unis.
Interrogé à ce sujet par le site d’infos RT, le porte-parole du département d’Etat américain, Mark Toner, a laissé entendre que son bureau n’était pas au courant de cette visite. Le 11 mai dernier, Washington a bloqué une proposition russe aux Nations unies de placer Ahrar el-Cham et Jaïch el-Islam sur la liste noire des organisations terroristes, qui seraient exclues du cessez-le-feu, comme le sont déjà l’EI et al-Nosra.

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