Magazine Le Mensuel

Nº 3056 du vendredi 3 juin 2016

Monde Arabe

Falloujah. La difficile reconquête d’une cité rebelle

Les combats s’annoncent âpres et violents, en Irak, pour la reconquête de Falloujah, bastion sunnite cueilli par l’Etat islamique en janvier 2014. Les forces irakiennes sont parvenues à entrer dans la ville lundi, tandis que les forces kurdes avancent à l’est de Mossoul.

L’assaut sur la ville aux mille minarets, Falloujah, a été lancé, lundi, par les forces irakiennes, marquant une nouvelle étape dans la reconquête de la cité initiée il y a une semaine. La bataille, qui s’annonce féroce, est menée par le service d’élite du contre-terrorisme, l’unité de combat irakienne la mieux entraînée. Les forces gouvernementales ont ainsi pu pénétrer, un peu avant l’aube, lundi, dans Falloujah. Dans les airs, les Irakiens bénéficient de la couverture de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, ainsi que du soutien de l’armée de l’air irakienne, et sont assistés au sol par le déploiement de l’artillerie. Autre soutien, celui des milliers de membres des unités paramilitaires de Hached el-Chaabi, constituées principalement de milices chiites proches de l’Iran.
Si les soldats irakiens sont parvenus à reprendre certaines zones de la banlieue sud et des positions de la périphérie nord et est de Falloujah, les combattants de l’Etat islamique continuent d’opposer une vive résistance. Désormais, c’est une véritable guérilla urbaine que les combattants vont devoir mener, maison par maison, quartier après quartier.

Boucliers humains
La bataille de Falloujah représente, avec Mossoul, l’un des objectifs principaux de la coalition internationale. Et un défi de taille. Première ville irakienne à tomber dans le giron de Daech en janvier 2014, Falloujah était considérée jusqu’alors comme le sanctuaire des islamistes sunnites. Les Américains s’en souviennent encore. L’opération Phantom Fury, lancée en novembre 2004, pour déloger les rebelles sunnites hostiles à leur intervention, restant à ce jour la bataille américaine la plus sanglante depuis la guerre du Viêtnam.
Située sur l’Euphrate, à 50 km de Bagdad, la ville a toujours été considérée une cité rebelle, et les tribus sunnites locales y sont très puissantes. Proche de la capitale et du sud chiite, Falloujah constituait donc pour le pouvoir une priorité, à sécuriser au plus vite.
Sa reconquête ne sera donc pas aisée. D’autant que les forces irakiennes ont, face à elles, un millier de jihadistes de Daech qui n’hésitent pas à utiliser les 50 000 civils, encore présents dans la ville, comme boucliers humains. Peu nombreux, ils ont en revanche sans doute piégé la ville au moyen d’IED, comme ils l’ont fait ailleurs en Irak. Environ 3 000 habitants étaient parvenus à s’enfuir, ces derniers jours, «épuisés, effrayés et affamés», selon le Conseil norvégien pour les réfugiés, tandis que des milliers d’autres restent bloqués «sans aide ni protection».
Autre crainte, dans un pays déjà fragilisé par les combats confessionnels, que des débordements sectaires se produisent entre sunnites et chiites. La présence, aux côtés de l’armée régulière irakienne, de combattants chiites proches de l’Iran, comme la brigade Badr et le Hezbollah irakien, inquiète. La présence sur le front irakien, la semaine dernière, du général iranien Qassem Soleimani, le chef des forces spéciales des Gardiens de la Révolution, a inquiété les représentants sunnites du pays. Conscient des risques de dérapages, l’ayatollah Ali el-Sistani a exhorté, par la voix d’un de ses représentants, à respecter la vie des civils et à éviter les «excès» et les «actes de traîtrise». Pour éviter tout débordement, il est d’ailleurs officiellement prévu que le «nettoyage» de la ville soit laissé aux troupes régulières, les milices restant cantonnées en bordure. Des violences sunnito-chiites rendraient, par ailleurs, plus difficile la reconquête de Mossoul, l’autre défi annoncé pour la fin de l’année.

Jenny Saleh
 

Les Kurdes à l’assaut
Tandis que l’armée irakienne entrait dans Falloujah, les forces kurdes sont parvenues à reprendre, lundi, neuf villages à l’Etat islamique, dans une zone représentant 120 km2, à proximité de la route principale reliant Mossoul à Erbil. Cette campagne militaire comprend plus de 5 000 peshmergas qui n’étaient, mardi matin, qu’à quelques encablures des villes chrétiennes de Qaraqosh et Karamlessh, sous contrôle de Daech depuis août 2014. Les Kurdes avancent avec le soutien de l’aviation de la coalition.
Toutefois, si la libération des villes chrétiennes de la plaine de Ninive apparaît faisable à une plus ou moins proche échéance, cela ne signifie pas que tout danger est écarté.
Daech tient toujours Mossoul et pourrait revenir à tout moment.

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