Magazine Le Mensuel

Nº 3069 du vendredi 2 septembre 2016

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Cigares et République dominicaine. Un blend réputé

Quel est le premier producteur mondial du luxueux compagnon aussi bien du calme contemplatif que de la réunion amicale? Non, ce n’est pas Cuba, mais la République dominicaine avec 600 millions de cigares par an, avant le Honduras (340 millions), Cuba (140 millions), puis le Nicaragua.  

La République dominicaine est réputée pour ses cigares légers et aromatiques, moins corsés que leurs homologues cubains. Et si les grosses sociétés américaines s’y sont implantées (les cigares Davidoff y sont exclusivement fabriqués aux alentours de la ville de Santiago) et si 183 millions de cigares premium (faits à la main) y sont produits, c’est parce qu’à l’instar du vin, le terroir a un impact sur la saveur et l’arôme du cigare. Sur cette île des Caraïbes, paradis des touristes, réputée pour ses plages de sable doré et ses cocotiers légendaires, les conditions du sol, la température, le degré d’humidité, l’ensoleillement et le savoir-faire ancestral sont propices à un tabac de grande qualité, notamment dans la vallée de la rivière Cibao (Santiago de Los Caballeros), protégée des ouragans et des vents marins. Visite aromatisée.
Tout remonte à l’époque de Christophe Colomb, en 1492, quand il débarque à Hispaniola, appelée aujourd’hui la République dominicaine. Il y trouve des indigènes qui fument d’une drôle de façon cette plante qui sert à soigner les blessures des flèches. Au cours des cérémonies religieuses, quand la danse les épuise de fatigue, les insulaires se mettent à la fumer. Ils étendent alors les feuilles de tabac à demi-sèches sur des charbons mal allumés et prennent ensuite un tuyau fourchu par un bout en forme de Y dont ils placent le pied sur le tabac et les deux branches de la fourche dans les narines. La fumée ne tarde pas à leur monter au cerveau. Cela leur donne des visions prémonitoires et, semble-t-il, un certain bien-être malgré son odeur forte et désagréable, sa saveur âcre, brûlante, nauséabonde et très irritante. Très mal vu au début, notamment par l’inquisition (seul Satan joue avec le feu!), le tabac, considéré au début une plante décorative, est bientôt reçu avec enthousiasme en France, quand il a été offert à Catherine de Médicis et distribué à la cour. Dès 1531, les Espagnols commencent son exploitation commerciale… Cinquante ans avant Cuba et avant que la stabilité politique de l’île de Fidel ne lui permette de gagner la renommée qu’on lui connaît aujourd’hui.  C’est l’embargo américain sur les produits cubains qui a fait décoller la fabrication de cigares en République dominicaine et… l’expertise cubaine exilée à la suite des nationalisations de Castro.
 

Tout un savoir-faire
Mais pour que la bouffée qui vous remplit de plaisir soit aussi savoureuse, pour que d’année en année, le goût et la consistance d’un cigare dominicain conservent ce qui fait sa personnalité, c’est tout un art qui s’explique quand on connaît son processus. Au tout début, le tabac est ensemencé. Puis les plants sont récoltés et cultivés dans des champs qui appartiennent à des paysans qui, plusieurs mois plus tard, le cueillent, feuille après l’autre, de bas en haut et à plusieurs périodes de l’année. C’est cette sélection de feuilles qui donne tout l’arôme au cigare, son blend. C’est la réussite de leur mélange qui fait la personnalité d’un bon cigare. Les valdo, à la base de la plante, lui confèrent sa douceur; les seco lui confèrent son arôme et sa subtilité; les ligero au haut, exposées au soleil, sa saveur la plus forte. Réunies par taille et suspendues pour être séchées, dans le rancho, pendant plusieurs mois, les feuilles perdent leur ammoniac et leurs composantes chimiques. Elles sont alors découpées sur un établi, roulées à la main selon un rituel immuable, en trois étapes: la  tripe, le
cœur du cigare appelé filler, la sous-tripe, feuilles intermédiaires solides et flexibles qui donnent sa forme au cigare, puis l’enveloppe extérieure, la cape, qui d’après certains, proviendrait principalement du Connecticut. Ces trois couches sont roulées puis placées par le cigarier (payé à la pièce) dans un moule qui permet de les calibrer au diamètre requis. Les cigares sont alors glissés dans une presse pendant au moins 30 minutes, avant d’être encore fermentés dans une chambre noire pendant un autre mois, après avoir été contrôlés un à un et étiquetés. Les saveurs sélectionnées se mélangent et l’humidité les équilibre. Un cigare non fermenté correctement gardera un goût amer, sera dur et s’éteindra vite.
 

Une histoire d’origine
Les vrais amateurs de cigares vous le diront. Une partie du plaisir de fumer un cigare est de discuter de son pays de fabrication, des types de tabac et des techniques de fabrication, précisément de celui qu’ils tiennent entre les doigts. Découvrir les marques, les caractéristiques, différencier les arômes, évaluer leur puissance, comparer les diamètres, les bagues du cigare… Un petit mémo pour vous aider à vous retrouver.
Le tabac de la vallée du Connecticut a une feuille plus dure et un goût plus sucré. Il est souvent mélangé à celui de l’Indonésie, plus délicat.
Le tabac mexicain est plus foncé. Utilisé pour les longs cigares, sa texture est légère, douce et poivrée, surtout ceux de San Andrea Valley.
Les cigares du Nicaragua rivalisent avec ceux de Cuba, très corsés.  Ils ont un goût de terre épicé.
Les feuilles de tabac du Cameroun sont les plus prisées des connaisseurs, mais peu accessibles pour des raisons conjoncturelles.
Le Honduras produit des cigares épicés, avec des tons de café. Ils sont produits  avec des grains de Cuba et du Connecticut.
Les cigares du Brésil sont doux, avec
une légère saveur sucrée. Ils ont une couleur foncée.
Les cigares cubains, réputés pour être les meilleurs au monde, proviennent de la légendaire vallée du Vuelta Abajo, dans la partie ouest du pays. Mais depuis 1963, ils ne sont pas vendus aux Etats-Unis qui distribuent à travers leur plus grande compagnie Altadis USA les Montecristo, Roméo et Julieta, H. Upmann, Trinidad, VegaFina… (situation qui risque de changer sous peu avec l’ouverture des Américains au marché cubain).
Le Juan Clemente est le cigare dominicain le plus réputé en France. (Jean Clément est français, né à Troyes): moins poivré que les cigares cubains, léger, il dégage beaucoup d’arômes et de bouquets.
La «vitole» englobe toutes les caractéristiques propres d’un cigare: qualité du tabac, construction, combustion, personnalité, arôme, force (par exemple on dira: le No4 D’Arturo Fuente Réserve supérieure, un Corona Belrive Selection Medium filler ou un Churchill Davidoff Millenium Blend, Je fume du Monte#2).
Le module désigne la taille et le diamètre d’un cigare: Churchill, Robusto, Corona, Panatela… La bague indique le diamètre du cigare et doit porter l’inscription hecho a mano. Un cigare fait à la main (à Cuba ou en République dominicaine) est de loin supérieur à ceux fabriqués en usine.
Les coffrets de cigares sont faits de bois de cèdre du Honduras dont l’odeur se marie harmonieusement au tabac.
Un cigare peut se conserver jusqu’à 10 ans dans de bonnes conditions d’humidification.
Les feuilles candela, blond-vert, sont récoltées avant maturation, les Claro, de couleur naturelle, sont gardées plus longtemps sur la plante.  
Les parjos sont des cigares à côté droit, les figurados, des cigares à contours irréguliers.
Un scotch ou un bourbon accompagnent un cigare très fort. Un Cognac, un cigare moins fort alors qu’un cigare plus doux se marie fort bien avec un Cabernet, un porto ou un café.
Le cigare doit être coupé pour dégager son arôme, avant d’être goûté «cru».
Pour allumer un cigare, on le pose au-dessus de la flamme (et pas en bouche), on le tourne pour allumer tous ses côtés, puis on souffle doucement dessus pour harmoniser la braise. Si le pied entier du cigare brille d’une lumière orange, c’est que le processus est bien achevé.
Enjoy!

San Domingo, Gisèle Kayata Eid

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