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Nº 3081 du vendredi 1er septembre 2017

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Yasmine Hamdan. Une icône qui échappe à toutes les étiquettes

Elle est chanteuse, auteure, compositrice. Définir Yasmine Hamdan relève de la pure gageure. Elle est probablement la somme de tous ces pays où elle a vécu, ces villes qu’elle a connues, ces musiques qu’elle a écoutées et ces chansons qu’elle a retenues. Yasmine Hamdan, c’est aussi l’union de l’Orient et de l’Occident, la fusion entre la musique arabe traditionnelle et la pop occidentale.

Après son premier album en solo Ya Nass, sorti en 2013, elle récidive avec un second, Al Jamilat, dont la sortie internationale a eu lieu en mars 2017, alors qu’au Liban, elle est prévue pour la fin de ce mois et prochainement aux Emirats arabes unis et en Egypte. «Al Jamilat, produit par Hamdanistan records (société créée en partenariat avec son mari, le réalisateur Elia Suleiman), emprunte son titre à un poème de Mahmoud Darwiche. Il a été enregistré entre New York, Paris, Beyrouth et Londres». Pour cet album, Yasmine Hamdan décide de prendre elle-même les choses en main. «J’ai enregistré avec des musiciens à New York, qui n’avaient pratiquement pas entendu les maquettes auparavant. Puis à Paris; ensuite, avec Zeid Hamdan, mon ancien partenaire dans Soapkills à Beyrouth, et je l’ai terminé à Londres», confie la jeune femme à Magazine. A travers cet album, elle a voulu réaliser ses propres idées.
L’une des chansons phares d’Al Jamilat, Balad, elle l’a écrite avec une idée précise en tête. «Je me déplace toujours en taxi lorsque je suis à Beyrouth. Durant mes trajets, j’engageais des conversations avec les chauffeurs et je notais tout ce qu’ils me disaient. Ce sont des gens qui s’expriment clairement, sans détour, et qui ont des idées et des avis sur tout. Je me suis rendu compte que ce sont des personnes cultivées mais désabusées. La plupart ont atteint un point de rupture avec un système politico-économique corrompu. Cela faisait écho au sentiment que j’avais. Le taxi est un espace collectif, un lieu de passage public, imprégné de tant de choses. La chanson Balad est née de cette interaction. J’ai réalisé que je partageais le même avis».
On retrouve d’ailleurs cette dimension sociale et politique dans toutes les chansons de Yasmine Hamdan.
Colère et révolte. Le clip de la chanson, réalisé par son mari Elia Suleiman, est un pur ravissement. «Mon mari adore ce morceau et il avait les images à l’esprit. Les paroles font écho en lui et évoquent ce qu’il voit dans les rues de Beyrouth et d’ailleurs. Il a voulu mettre en image ces paroles avec un brin d’humour». Le clip exprime clairement, avec quelques notes humoristiques, le sentiment de colère et de révolte chez la chanteuse. «Cette colère, elle existe chez beaucoup de gens qui acceptent, pourtant, tout ce qu’ils subissent, convaincus qu’ils ne peuvent pas changer la situation. Ils se sentent impuissants. Toutefois, je pense qu’il y a toujours moyen de faire quelque chose». S’il est vrai que cette chanson est née des multiples échanges qui ont eu lieu dans les taxis, l’artiste reconnaît que toutes ces conversations traduisent ce qu’elle ressent et ce que chaque personne peut ressentir. «Nous vivons dans un monde d’écart. C’est pour moi un sentiment universel, qui existe partout au monde, mais qui est plus précis au Liban. L’écart entre les classes sociales se creuse de plus en plus. La grande majorité des gens subissent une situation qu’ils ne savent pas comment changer. C’est une forme d’abus au Liban, qui crée chez le peuple un sentiment de désespoir».
Lorsqu’on demande à Yasmine Hamdan de définir son style musical, elle estime que la réponse est difficile. «C’est dur de me qualifier. Moi, je crée de la musique. Je m’efforce de ne pas faire partie d’une catégorie déterminée. Je ne veux me limiter à aucun contexte. Rien n’est évident. C’est une confusion de styles. Je n’aime pas les étiquettes et je ne m’y retrouve pas».

Une globetrotteuse
Née à Beyrouth au début de la guerre, Yasmine Hamdan a vécu aux Emirats arabes unis, en Grèce, au Koweït et en France. Elle a fréquenté des langues différentes et connu plusieurs cultures. «Je suis le produit de plusieurs cultures. Cela m’a donné une forme de pluralité», dit-elle. Pour la chanteuse, nous sommes tous le fruit de beaucoup de choses. «C’est ainsi que l’humanité a évolué». Elle se considère chez elle dans plusieurs villes du monde. «Je me sens partout chez moi mais, en fait, nulle part c’est chez moi». Cette situation a développé chez elle le désir de découvrir, d’explorer. «J’ai toujours le sentiment qu’il y a quelque chose ailleurs que je dois aller chercher. J’en ai besoin, même si, pour cela, je dois aller dans des zones à risque. Cela m’excite de faire des choses que je n’ai pas faites auparavant. Peut-être avec le temps, ce sentiment changera, mais jusqu’à présent, j’ai toujours envie de rechercher et d’explorer des choses nouvelles».
Généralement, elle n’écoute pas les chansons qu’elle fait. «J’aime bien prendre de la distance. Quand je les joue live (en direct), j’ai un rapport différent avec les chansons. Récemment, j’ai écouté, par hasard, une chanson de Soapkills et cela m’a beaucoup touchée. Cela m’a ramenée à la personne que j’étais», confie-t-elle.
Evoquant, avec nostalgie, le temps où elle avait fondé, à la fin des années 90, avec Zeid Hamdan, le groupe Soapkills, Yasmine Hamdan confie que c’était une période magique. «C’était la période de la reconstruction. Tous les rêves étaient permis. Nous étions convaincus que tout pouvait changer. C’est vrai que les traces désespérantes de la guerre étaient encore bien là, mais il y avait un espoir de changement. La culture des concerts n’existait pas encore. Il n’y avait pas de réseaux sociaux, pas de Facebook ou de Twitter. Nous nous sommes battus à tous les niveaux et nous avons brisé beaucoup de tabous et de préjugés».
La jeune femme parle de sa révolte, de ses défis. «Je ne voulais pas perpétrer la tradition du destin classique d’une fille».
La musique underground n’était pas encore une notion claire mais, à travers les notes, Yasmine Hamdan se connecte à sa culture. «La musique m’a permis de savoir d’où je viens. A travers elle, j’ai réussi à concilier les différentes parties de moi-même. Je me suis explorée et j’ai appris à me connaître. J’ai appris à exister par moi-même, malgré toutes les difficultés; mais c’était très dur. Aujourd’hui, lorsque je regarde en arrière, je suis très touchée et émue. Je pense que Zeid et moi avions beaucoup de courage. Il y avait toujours le sentiment que chacun faisait quelque chose pour la première fois après la guerre».
 
L’influence d’Asmahan
Lorsqu’on demande à la chanteuse par quelle musique ou quel chanteur elle a été influencée, elle en parle plutôt sous une forme de cadeau, «une forme de générosité que les artistes nous donnent» et il y a toujours une influence quelque part. «J’ai écouté beaucoup d’artistes. Mon père aimait beaucoup la musique classique. Il écoutait Bach et Beethoven. Quand j’ai vécu en Grèce, j’étais influencée par David Bowie, Madonna… Par la suite, j’ai été marquée par Niel Young, Kate Bush…».
Au début, elle écrivait en anglais, mais elle avait toujours l’impression que ce n’était pas elle. Toujours le sentiment de ne pas se retrouver. «Un soir, j’étais au BO18. Il était tard et il restait peu de gens. On a passé un morceau d’Asmahan qui m’a beaucoup émue. Il m’a rappelé ma grand-mère qui le chantait souvent. Le lendemain, j’ai été à Hamra et j’ai commencé à chercher la musique d’Asmahan. C’était très difficile, car ce n’était pas au goût du jour. Quand j’ai commencé à chanter en arabe, nous avons perdu une partie du public, mais nous en avons gagné une autre».
Yasmine Hamdan écoute divers artistes, de différentes nationalités. «Je suis passionnée par la musique et par les voix ».  
Artiste aux multiples talents, icône de la musique underground dans le monde arabe, Yasmine Hamdan est apparue dans le film Only lovers left alive, du réalisateur Jim Jarmusch, où elle joue son propre rôle. La chanson Hal, qu’elle interprète dans ce film, fut nominée pour l’Oscar 2014 de la meilleure chanson originale.

Joëlle Seif

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