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Nº 3093 du vendredi 7 septembre 2018

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Dans les salles de gym. La consommation de stéroïdes explose

La consommation de stéroïdes explose dangereusement dans les centres de fitness. Prêts à tout pour s’offrir le physique de leurs rêves, ils sont nombreux à avoir frôlé la mort. Enquête sur un fléau.

Je voulais arriver rapidement à des résultats, avoir des biceps, des pectoraux, un  corps homogène. Comme beaucoup, ma priorité était d’avoir le corps qu’il faut pour la plage, à commencer par les «six packs», confie Habib 34 ans, présentateur sur une chaîne de télévision nationale.
«J’ai commencé à m’entraîner et, au bout d’un an, on m’a conseillé de prendre des stéroïdes en me disant que ça facilitait le gain musculaire. Je faisais une piqûre un jour sur deux dans le bureau du propriétaire de la salle. C’était la file indienne, chacun attendait son tour. Parfois il y avait des promotions; par exemple une piqûre pour 15 000 livres libanaises», relate-t-il, le visage à moitié couvert par une paire de Ray Ban.
Trois mois plus tard, il est admis en urgence à l’hôpital pour des crampes à l’estomac et du sang dans les urines. «On a dû me retirer la vésicule biliaire car des caillots de sang s’étaient formés à l’intérieur. Mon médecin m’a dit que c’était à cause des stéroïdes», poursuit-il.
D’ordinaire utilisée à des fins thérapeutiques, en cas de retard de croissance ou pour provoquer la puberté masculine, ces hormones liées à la testostérone permettent un gain rapide – en moins d’un mois – de masse musculaire. «Les gens oublient que tous les muscles augmentent de taille, y compris le cœur. Les stéroïdes peuvent entraîner une cardiomégalie et un arrêt cardiaque. Une autre répercussion est le dérèglement total du système hormonal. La prostate se nécrose, ne produit plus de glandes hormonales car elle s’est habituée à en recevoir d’une source externe», alerte Jihad Haddad, président de la Commission anti-dopage. Parmi les autres effets néfastes possibles, l’expert cite la poussée de seins, l’infertilité, l’impuissance et surtout l’apparition de cancers.

Instruments rouillés
Docteur en physiologie du sport et professeur à l’Université Notre Dame de Louaizé, Zaher el-Hajj avoue être dépassé par l’ampleur du phénomène. «On trouve des types qui se dopent partout! Ils commencent avec des pilules, par exemple des anavars, et après trouvent que ce n’est pas suffisant et commencent à prendre des trucs plus forts. L’année dernière un de mes étudiants est décédé. J’entends de mes élèves qu’ils se procurent leurs produits dopants à Dahié. Ils n’ont pas besoin d’ordonnances, ils ont leurs réseaux. Ils rapportent les produits et les coachs les injectent. Il y en a plein qui le font. La plupart n’ont aucune formation, ils se basent juste sur leur expérience», s’alarme-t-il.
Sur les murs de cette salle d’haltérophilie, des posters géants de silhouettes masculines sont placardés un peu partout. Le corps huilé, le crâne rasé, ces mannequins affichent une musculature improbable: biceps démesurés, abdominaux proéminents, cuisses exubérantes.
Pour obtenir ces résultats spectaculaires, les adeptes de la gonflette s’en remettent à leur «coach». Ziad, propriétaire d’un centre de fitness à Dahié est l’un d’entre eux. Aux clients qui le souhaitent, il concocte les fameux «cycles» qui leur permettront de transformer, en un temps record, leur apparence physique. Il se définit toutefois comme un entraîneur «clean». «J’ai fait une formation de deux ans et j’ai beaucoup lu sur le sujet», assure-t-il. «Lorsqu’on me demande, je le fais pour éviter que la personne se tourne vers de mauvais entraîneurs. Beaucoup de jeunes s’autoproclament coach alors qu’ils n’ont aucune formation. Ils injectent des stéroïdes n’importe comment. Il y a aussi beaucoup de centres clandestins où les conditions d’hygiène sont déplorables, les instruments rouillés».
La prise de stéroïdes demeure toutefois illégale. Leur apparition dans le monde du fitness a accompagné le développement des salles de gym à partir de la fin des années 80. Si la consommation est contrôlée chez les athlètes de haut niveau, elle sort complètement des radars quand il s’agit des salles de gym. Contrairement aux clubs qui dépendent des fédérations sportives, celles-ci, enregistrées sous le seul statut commercial, ne sont soumises à aucune réglementation. Résultat, ce type de produits circulent allègrement dans l’écrasante majorité des centres privés.

Un filon lucratif
Importés clandestinement de l’étranger (Turquie, Inde, Irlande, Iran, Pakistan…), une bonne part de ces substances atterrit dans la banlieue sud de Beyrouth. «En général, il y a le big boss, celui qui importe, et le distributeur qui revend à tous les agents», détaille Ziad. Les connaisseurs ont leurs adresses. Les produits sont en général stockés dans l’arrière-boutique de commerces classiques. Le filon lucratif de ce marché noir ne profite pas qu’aux seuls fournisseurs. «Il y a des pharmacies et mêmes des médecins qui en vendent. Je connais des praticiens qui font payer la consultation 1 000 dollars au lieu de
250 dollars pour prescrire les cycles et faire les injections. Ils justifient cela en disant que les gens le feront de toute façon. Mais les médecins devraient dire non dans tous les cas. Leur rôle c’est de protéger la santé!» s’indigne Zaher el-Hajj. Le coût d’un cycle oscille entre 600 et 1 200 dollars. «Au bout du compte, ceux qui ont de l’argent s’en sortent mieux car au moins, ils sont suivis sérieusement. Sur le marché noir, il n’est pas rare que les produits soient coupés. Dans ce cas là, c’est à double tranchant: soit le traitement est inefficace, soit les effets sont catastrophiques», observe le spécialiste. Jihad Haddad fait le même constat: «Les jeunes venant de classes défavorisées sont les populations les plus attaquées».
Aucune statistique n’est disponible sur le nombre de décès annuels liés à la consommation de stéroïdes, mais les experts estiment que leur prise a systématiquement un impact sur la santé. Plus de la majorité des clients des salles de fitness se doperaient et seraient ainsi potentiellement concernés. «C’est un cercle vicieux dont personne ne peut sortir sans dégâts», martèle Jihad Haddad. Malgré la gravité de la situation, la législation tarde à voir le jour. Un projet de loi destiné à étendre les prérogatives de la Commission libanaise antidopage à ces centres privés est sur la table depuis des années. Le texte a déjà subi une série de reports. Une fois la loi adoptée, sa mise en application dépendra du montant du budget débloqué par le gouvernement libanais pour financer le contrôle des salles de gym.
Sur ce dernier point, Jihad Haddad n’est pas très optimiste: «L’argent alloué devrait a minima nous permettre de faire de la sensibilisation».

Philippine de Clermont-Tonnerre

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