Dans
ses mémoires publiés en 2010, le vice-président de l’Etat des Emirats
arabes unis, cheikh Mohammad Ben Rached al-Maktoum, évoque un rêve qu’il
dit avoir souvent fait, celui «de voir un jour Dubaï devenir un
Beyrouth». Les Libanais sont-ils conscients que leur capitale a inspiré
cet homme visionnaire et ambitieux, qui a réussi à faire émerger des
sables du désert un émirat au rayonnement planétaire? Un centre
d’affaires qui s’est réservé une place parmi les grands, tels Hong
Kong, Shanghai, Londres et New York? Un bouillon de culture qui a
transposé la Sorbonne, le Louvre, et bien d’autres noms et lieux
prestigieux dans la Péninsule arabique? Une cité médiatique qui a attiré
les titres et les plumes les plus convoités?Quelle que soit
l’opinion que l’on se fait de Dubaï aujourd’hui, force est de
reconnaître que cette ville sous-peuplée, sans patrimoine, ou si peu,
sans beauté sinon celle des dunes dorées, propre à toutes les cités du
Golfe, est devenue l’une des destinations les plus prisées du monde.
Voilà un prince qui a réussi son pari, qui a concrétisé son rêve!
Certes, l’atout des pétrodollars, qui n’est pas des moindres, lui a
facilité la tâche. Mais les pétrodollars, qui coulent aussi à flot en
Arabie saoudite, au Koweït et au Qatar, n’ont pas fait bourgeonner
d’autres Eldorados dans ces pays immensément riches.   Pendant que
Dubaï entrait à pas sûrs dans l’avenir, Beyrouth, lui, sombrait dans les
précipices du passé. Les Libanais ont réussi le tour de force de
plonger leur ville dans les affres de la guerre, puis une fois la paix
revenue, de reconstruire la pierre sans y insuffler l’âme qui lui
donnait ce cachet unique. La gloire d’antan n’est plus qu’un vieux
souvenir, la culture se raréfie, la beauté ressemble à celle d’une femme
(ou d’un homme) toute refaite, la joie de vivre n’est plus qu’amertume
et aigreur, la satisfaction apportée par le travail plus qu’un dur et
insupportable labeur. Avec une insouciance couplée à une affligeante
ignorance et une criminelle irresponsabilité, les Libanais, peuple et
dirigeants, ont perdu un à un les atouts qui faisaient de leur capitale
le phare de la région. Fut un jour où Beyrouth était l’université, la
maison d’édition, la cité médiatique, du monde arabe, une oasis de
liberté pour les opprimés et les oppressés, un havre de tolérance. Il
n’est plus qu’une ville sévère et peu hospitalière de par la cherté de
la vie et l’absence des services les plus élémentaires. A vouloir
cloner bêtement l’émirat du désert, les Libanais ont perdu ce qui
faisait la gloire et la beauté de leur ville, sans pour autant gagner
les atouts qui font la force de Dubaï. Beyrouth s’enfonce dans le passé.
A ce rythme, et si rien n’est fait pour stopper la chute, l’âge de
pierre n’est plus très loin.
Paul Khalifeh