Les
pontes du système doivent trembler dans leurs fauteuils. Excédés par
des décennies d’humiliation, qui a culminé avec une crise économique et
financière sans précédent, les Libanais ont poussé un tonitruant cri de
colère. Ça suffit!Le peuple libanais mérite mieux que cette classe
parasitaire qui s’est enrichie d’une manière éhontée en pillant les
biens de l’Etat et les ressources du pays. Une caste d’irresponsables et
d’incapables qui ont mené le pays à sa ruine; une clique de corrompus
qui éprouvent un tel mépris pour le peuple qu’ils étaient persuadés
qu’ils pouvaient impunément continuer leurs pires excès sans que
personne ne leur demande jamais de comptes; une bande de mafieux, qui
ont détourné des dizaines de milliards de dollars empruntés à des taux
improbables pour financer leurs palais, les mariages somptueux de leurs
enfants, et autres indécences, au lieu de reconstruire une
infrastructure détruite par leur interminable guerre, lorsque certains
étaient miliciens et d’autres financiers de milices.En redistribuant
une infime partie de ce qu’ils pillaient pour entretenir une clientèle
plus ou moins importante, ils ont réussi à se régénérer, d’une campagne
électorale à l’autre, en pensant pouvoir se reproduire à l’infini,
rassurés que les murs du confessionnalisme qu’ils se gardaient bien
d’abattre, empêcheront les Libanais de s’entendre, un jour, sur une
cause unique. Mais ce système bien verrouillé a fini par rendre l’âme
parce qu’il n’y avait plus rien à piller. Cupides, avares et mesquins,
ils n’ont pas eu assez de courage ni d’intelligence pour puiser quelques
miettes dans les fortunes colossales qu’ils ont amassées pour continuer
à entretenir leur clientèle, si bien qu’une bonne partie de leur base,
qui a sombré dans une grande pauvreté ou un désespoir extrême, s’est
retournée contre eux.La révolte des Libanais est spontanée et
authentique. Mais pour réussir à arracher au pouvoir des concessions
durables et sérieuses, ils doivent rester focalisés sur la question
sociale et économique qui transcende les communautés. Ceux qui essaient
de les entraîner sur le terrain politique espèrent dissiper leur énergie
et diviser leurs rangs. Chacun souhaite pour lui-même, pour ses enfants
et pour ceux qu’il aime une meilleure justice sociale, davantage
d’opportunités d’emploi, un avenir plus sûr. Mais lorsque des questions
d’ordre politique sont abordées, il y aura autant d’avis qu’il y a de
manifestants dans la rue. C’est là un piège dans lequel la classe
politique veut précipiter le mouvement de contestation dans l’espoir de
le torpiller.  Même blessée, surtout blessée, la classe politique
reste très dangereuse. Comme elle a pillé l’Etat, elle n’hésitera pas à
précipiter le pays dans les pires abîmes pour conserver ses privilèges.
Il faut rester vigilant.
Paul Khalifeh