Le
coup d’Etat manqué en Turquie – et tous les mystères qui l’entourent – a
été une occasion de mesurer la vulnérabilité du Liban et de vérifier,
une fois de plus, à quel point notre pays est travaillé par des courants
d’influence extérieurs. Les manifestations de joie après l’échec de la
tentative de putsch, et les commentaires jubilatoires dans les médias et
les réseaux sociaux saluant la déchéance annoncée, un peu trop
hâtivement, de Recep Tayyip Erdogan, ont suivi la ligne de fracture
confessionnelle traditionnelle. Ce sont essentiellement – pour ne pas
dire exclusivement – des sunnites qui ont exprimé, parfois bruyamment,
leur satisfaction après l’échec du coup militaire. A l’opposé, les
chiites, et ceux qui s’identifient à eux politiquement, sans pour autant
appartenir à leur communauté, n’ont pas caché leur joie dès l’annonce
du coup d’Etat. Il fallait voir, sur les écrans de télévision, ces
soi-disant «experts» se fendant de pompeuses analyses sur les
implications stratégiques et géopolitiques de la chute d’Erdogan sur les
rapports de force régionaux. Certains ont persisté à dire que le putsch
avait réussi, alors que des soldats turcs se faisaient piétiner en
direct par des manifestants en colère sur les ponts du Bosphore.La
réaction des Libanais est primaire, car elle est surtout motivée par des
pulsions confessionnelles qui sont tout sauf rationnelles. Erdogan
a-t-il été sacré leader des sunnites pour que les fils de cette
communauté au Liban se croient obligés de le défendre? Les chiites
sont-ils de fervents partisans de la laïcité, s’il s’avère que le putsch
a été organisé par des militaires soucieux de défendre l’héritage
d’Atatürk? Sont-ils devenus des «Gulénistes», s’il apparaît que le coup a
été fomenté, comme le soutient le gouvernement turc, par Fethullah
Gülen, qui est, il faut le rappeler, un prédicateur sunnite?Les
sunnites, qui ont salué la survie d’Erdogan, ne se rendent-ils pas
compte qu’ils sont plus proches des positions de l’Iran et de la Russie
plutôt que de celles de l’Arabie saoudite? En effet, Téhéran et Moscou
ont fait preuve, dès les premiers instants, d’une très grande
circonspection vis-à-vis des événements du 15-16 juillet, alors que
Riyad s’est muré dans un silence suspect. A l’inverse, les chiites, qui
ont applaudi au putsch, ne réalisent-ils pas que les Etats-Unis et
l’Union européenne ont tardé à inonder les médias de leurs ritournelles
sur le respect des droits de l’homme et du processus démocratique? En
bons opportunistes, ils ne l’ont fait que lorsqu’il est devenu clair que
le putsch avait échoué et qu’Erdogan resterait le maître de la Turquie.Les
sunnites continueront-ils à considérer Erdogan leur héros si le virage
qu’il a amorcé timidement en Syrie, sous l’impulsion de la Russie, se
confirmait? Que feraient les chiites si les soupçons sur un rôle de la
CIA dans le putsch étaient avérés? Il ne faut pas oublier que Gülen vit
depuis 2009 aux Etats-Unis et ses relations avec Langley ne sont pas un
secret.Probablement que rien ne changerait, car ceux qui ont
remplacé leur cerveau par des réactions épidermiques et confessionnelles
ont perdu toute capacité de réfléchir.
Paul Khalifeh