La
première année du sexennat du général Michel Aoun, élu le 31 octobre
2016 après deux ans et demi de vacance à la première magistrature de
l’Etat, vient de s’achever. Partisans et détracteurs du mandat avancent
des bilans tellement contradictoires qu’on a l’impression qu’ils ne
parlent pas du même pays. Les fidèles du chef de l’Etat égrènent une
longue liste de «réalisations», qui n’auraient pu être concrétisées sans
la présence, au palais de Baabda, d’un «président fort». Les réussites
du mandat vont de l’adoption d’une nouvelle loi électorale introduisant
le mode de scrutin proportionnel et le vote des émigrés, à la bataille
de l’«Aube des jouroud», qui a permis la libération, par l’armée
libanaise, du territoire des groupes terroristes, en passant par les
nominations administratives, militaires, sécuritaires, diplomatiques et
juridiques, bloquées depuis des années. Au crédit du chef de l’Etat,
également, le renforcement de la sécurité préventive, qui a épargné au
pays de nombreux attentats, la condamnation à mort d’Ahmad el-Assir et
d’autres extrémistes, dont les procès avançaient au ralenti à cause de
l’absence d’une volonté politique. Sur le plan économique et social, les
partisans du mandat soulignent le vote du budget 2017, après 12 ans de
dépenses selon la douzième provisoire – qui autorise toutes sortes
d’abus –, et l’adoption de l’échelle des salaires dans la fonction
publique, qui renforce le pouvoir d’achat de dizaines de milliers de
familles. Dans le bilan des contempteurs du mandat, ces
«réalisations» ont cédé la place à une interminable liste de fiascos,
d’échecs et de défaillances. «L’Etat est en déliquescence», déplore
l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, qui se livre dans les colonnes
de Magazine à un réquisitoire au vitriol contre le pouvoir actuel (voir
page 16). Pour les détracteurs du président Aoun, les nominations ne
sont qu’un partage du gâteau entre les partenaires de la coalition
gouvernementale. Plus qu’une faute, l’échelle des salaires serait un
péché, selon eux, car son financement impose des charges et des taxes
supplémentaires aux chefs d’entreprises, aux sociétés, à la classe
moyenne et les catégories les plus démunies. Le vote du budget n’est en
aucun cas une source de fierté, car il s’agit de l’année fiscale
écoulée, et déjà le gouvernement a dépassé les délais constitutionnels
dans l’examen et l’approbation du budget 2018. De plus, la loi
fondamentale votée au Parlement permet de mesurer la gravité du
phénomène du gaspillage des deniers publics, avec des centaines de
milliards de livres qui partent en fumée entre les administrations
publiques, les dépenses inutiles et les fonds secrets (voir page 34).
Entre ces deux descriptions antagonistes du Liban, il y a la perception
qu’ont les Libanais de leur pays. Rares sont ceux qui ont le sentiment
que leur vie s’est améliorée d’une année à l’autre. La tâche qui attend
le mandat est tellement titanesque, que les réalisations accomplies,
aussi importantes soient-elles, n’ont que très peu pesé dans le jugement
que les Libanais se font des conditions et de la qualité de leur vie.
Paul Khalifeh