Magazine Le Mensuel

Nº 2867 du vendredi 19 octobre 2012

LES GENS

Tom Fletcher. Un optimisme à toute épreuve

«Pour rien au monde je ne voudrais être ailleurs qu’au Liban». Ces paroles sont celles de Tom Fletcher, ambassadeur de Grande-Bretagne à Beyrouth depuis août 2011. Il est le vivant démenti de la réputation de froideur des Britanniques. Ses yeux bleus pétillent d’enthousiasme lorsqu’il parle d’un sujet qui l’intéresse et révèlent une nature positive, riche d’optimisme. Il fait partie de ceux qui croient en leur mission.

Dès que l’on franchit la porte de l’ambassade, on est pris par la courtoisie britannique. Les visiteurs sont traités avec le plus grand respect. Les portables remis à l’entrée, sont déposés dans des boîtes fermées à double tour dont la clé est remise au propriétaire. Souriant, l’ambassadeur arrive et nous met tout de suite à l’aise en proposant de faire l’entrevue en français, langue qu’il maîtrise parfaitement. Il dit également se débrouiller en arabe. Une fois le thé servi, il nous entraîne dans les souvenirs qui ont jalonné son parcours de diplomate.
Né dans le Kent, Tom Fletcher vient d’une lignée de grands explorateurs. Cent ans auparavant, son grand-père paternel avait survolé le Nil, alors que son grand-père maternel allait promouvoir l’éducation au Nigeria. «Je dois posséder dans mon ADN les gènes d’un explorateur. J’ai toujours été encouragé à voyager», confie Fletcher. C’est donc tout naturellement qu’il choisit une carrière diplomatique. «Je voulais faire quelque chose en accord avec mes valeurs d’une part et avec moi-même d’autre part», confie-t-il. Il a dix-huit ans lorsqu’il voyage en Palestine, à Oum El Fahm, où il enseigne l’anglais et apprend l’arabe. «C’est la raison pour laquelle on me dit souvent que j’ai un accent palestinien lorsque je parle l’arabe», dit l’ambassadeur en souriant. Une fois rentré en Angleterre, il s’inscrit au cours d’histoire à la prestigieuse Université d’Oxford et y décroche un master en histoire moderne.
Avant d’être nommé au Liban, Tom Fletcher avait passé quatre années au 10 Downing street où il avait occupé plusieurs fonctions auprès du Premier ministre, un poste qui n’était pas de tout repos. Il n’arrêtait pas de travailler, jour et nuit.  «C’est pourquoi il y a quatre ans de différence entre mes deux garçons. En comparaison, ma situation actuelle est beaucoup plus facile puisqu’elle me donne l’opportunité de passer plus de temps avec ma famille», confie l’ambassadeur. Marié à Louise  Fletcher, il est père de deux garçons, Charles (5 ans) et Theodore (1 an). C’est avec beaucoup de tendresse qu’il parle de ses enfants et des moments qu’il passe avec eux. «Le matin, je me lève à six heures avec mon fils et je l’aide à se préparer pour aller à l’école et le soir, malgré mes nombreux engagements, je passe à la maison leur  donner le bain et les aider à se mettre au lit. Ce sont des heures de qualité que je passe avec eux. Je me considère gâté d’être ici et de pouvoir passer autant de temps avec eux», raconte le diplomate. Ce sont eux qui réussissent à le faire changer d’esprit et à le faire rire après une rude journée. «Ils ne me prennent jamais au sérieux et passent leur temps à me donner des surnoms très drôles», raconte-t-il en souriant.

Au Liban, depuis un an, l’ambassadeur britannique se dit plus optimiste aujourd’hui qu’à son arrivée. «Je suis frustré de voir les gens pessimistes. Je suis convaincu que les Libanais peuvent traverser cette période et pour la première fois, le Liban peut évoluer sans intervention étrangère», s’exclame-t-il. A travers ses propos, on devine une réelle appréciation de notre pays et c’est avec un grand enthousiasme qu’il parle de Byblos, de la montagne… «En tant qu’historien, je suis fasciné par le passé du Liban. C’est un pays qui unit l’histoire et la géographie. Je ne voudrais être nulle part ailleurs» dit-il. Pourtant, à la fin de sa mission au 10 Downing Street, on lui avait conseillé de choisir un endroit calme et tranquille. «Tout le monde m’avait dit: ne va pas au Liban, c’est trop dur. Mais j’ai insisté et pour me faire taire ils ont accepté», ajoute le diplomate en souriant. Cet attachement pour le Liban remonte à 2005 alors qu’il était en fonction à Paris, à l’ambassade britannique. «A cette époque, nous étions inquiets pour le Liban et je m’y intéressais beaucoup. Je lisais tous les rapports sur la situation et je suis tombé amoureux de ce pays. J’ai tout de suite su que c’est là que je voudrais être», raconte Tom Fletcher. Optimiste de nature, il ne se laisse décourager ni par les embouteillages ni par la lenteur d’internet ni par les tracas quotidiens que connaît le pays. «Tout cela est en dehors de mon contrôle et représente autant de défis. Je préfère me consacrer à œuvrer pour la stabilité du Liban et je considère que ce que nous faisons dans ce sens est très positif. J’apprécie le beau temps, la chaleur humaine et je suis tout le temps surpris en voyant la réaction des gens lorsque je parle positivement du pays. Ils ont l’air étonné et en même temps heureux que j’en parle de cette façon», estime l’ambassadeur. Depuis qu’il est en fonction, il n’a fait que rencontrer une certaine élite, celle des familles traditionnelles, des hommes d’affaires et de hauts fonctionnaires. «Je veux connaître d’autres personnes en dehors de cette élite et rencontrer des gens ordinaires», dit-il. Il est fasciné par les Libanais qui portent en eux tant de contradictions. «Ils sont tous chaleureux, accueillants et possèdent pour la plupart une personnalité exubérante. Ils ont un très bel esprit et le cœur ouvert. Ceci revient probablement au cocktail de civilisations et de cultures qu’ils ont connu. Les Libanais ont beaucoup de talents et c’est ainsi qu’ils réussissent là où ils vont. Ce sont d’excellents négociateurs qui comprennent tout de suite les différentes cultures», ajoute le diplomate.
Ses multiples occupations ne lui laissent pas beaucoup de temps pour des loisirs, mais l’ambassadeur aime le cricket, qu’il pratique lorsqu’il est en Angleterre, et le ski. Il joue également du piano mais son plus grand plaisir reste le temps qu’il passe avec ses enfants. Sa devise dans la vie c’est l’authenticité dans tout ce qu’on fait, surtout dans la vie professionnelle.  «Chacun est là dans un but. Je suis ici pour la stabilité du pays. Je ne sais pas jouer un rôle comme on s’y attend de la part d’un ambassadeur. Je suis peut-être naïf mais je suis un idéaliste. Je suis convaincu qu’il faut quitter les lieux dans un état meilleur que celui qui existait à l’arrivée», assure le diplomate. Avec son enthousiasme si communicatif, Tom Fletcher estime que c’est une excellente année pour un ambassadeur. «Cette année, Londres fut le centre du monde avec le jubilé de la reine, les jeux olympiques et para olympiques. Nous avons aussi organisé plusieurs événements  tels que la semaine britannique à l’ABC, une fête à Zaytoua Bay, ainsi qu’un concert donné par Tania Kassis», Il vient de lancer sur son blog une discussion sur le Liban qu’on voudrait pour 2020. Un thème qui suscite un large débat. De toute manière, pour le sujet de Sa Majesté, la lumière au bout du tunnel, c’est le Liban…

Joëlle Seif  

 

Ce qu’il en pense
-Le printemps arabe: «Je n’aime pas cette appellation. J’estime qu’il est encore trop tôt pour juger des conséquences de ce phénomène. Nous sommes encore au début de ce processus et ces jeunes dans le monde arabe ont un immense potentiel pour réaliser de grands desseins. Ce sont des transitions qui prennent du temps. Il faut garder notre sang-froid et les encourager dans ce qu’ils font».
-Risque de guerre dans la région: «Il faut être prêt à toutes les éventualités. Je pense qu’il y a des questions-clés auxquelles il faudrait apporter des réponses. Il faut d’abord trouver un accord entre l’Irak et l’Arabie saoudite, créer un Etat palestinien tout en sécurisant Israël, collaborer avec les islamistes tout en les gérant et quoi qu’il arrive en Syrie, il faut qu’il y ait une continuité de l’Etat pour reconstruire le pays. J’estime qu’avec un esprit positif, des efforts et surtout la volonté de certains pays à regarder au-delà de leurs intérêts propres, nous pourrions trouver une solution. Le Liban est la clé car il en sera affecté. La stabilité du Pays du Cèdre dépend largement de ces défis et de ces réponses».
-Menace pour les chrétiens d’Orient: «La visite du pape a été accueillie et célébrée par toutes les communautés qui lui ont toutes manifesté leur support. Elle fut très importante car elle  a constitué un support et un encouragement de tous. Ceux qui veulent diriger la Syrie doivent montrer clairement qu’ils ont l’intention de protéger les chrétiens. Je souhaiterais que les chrétiens croient en leur avenir au Liban et le construisent ici. Avec tous les changements qui ont lieu, le Liban a l’opportunité de prendre lui-même ses décisions sans aucune pression. Le Liban, avec toute sa diversité, est une idée qui mérite de se battre pour elle».

Facebook et Twitter
Alors que l’ambassade britannique a une page sur Facebook, depuis qu’il est au Liban, Tom Fletcher utilise copieusement Twitter où il possède un très grand nombre de followers. «Je l’utilise 2 à 3 heures par jour et c’est moi qui gère personnellement mon compte. J’estime que c’est plus authentique quand le compte est géré par la personne elle-même. Cela crée une plus grande interaction avec les gens. J’ai eu même une fois un Tweet du président Mikati et une autre fois de Haïfa Wehbé».

 

Related

Mère Agnès Mariam de la Croix. La religieuse-hippie

Ghassan Moukheiber. Un idéaliste réaliste

Ahmad el-Assaad. La politique en héritage

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.