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Nº 2879 du vendredi 11 janvier 2013

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Les chrétiens récupèrent leurs terres. Réconciliation à Brih… 30 ans après

Le démantèlement de la maison druze du village de Brih, au Chouf, construite sur une terre appartenant à une famille chrétienne, marque la fin du processus de réconciliation de la Montagne, scellé en 2001. Le résultat d’un travail initié par Walid Joumblatt, sous la supervision du patriarche Béchara Boutros Raï. C’est désormais à l’Etat de prendre ses responsabilités.

Dans le Chouf druzo-chrétien souffle un vent nouveau. A Brih, contraction d’une locution araméenne signifiant Maison du Parfum, les acteurs locaux de la communauté druze, d’abord réticents, se sont résolus à tourner la page. La construction de la nouvelle maison druze du village, édifiée sur une terre de la communauté, vient de s’achever. Restait à démonter l’autre maison, celle qui a été bâtie en 1989 sur une parcelle appartenant à la famille chrétienne des Adwan. Pour les chrétiens du village, cette construction constituait le vestige d’une époque où les druzes avaient savamment effacé toute trace de leur présence dans la Montagne. Brih était la dernière d’une longue liste de localités du Chouf où, depuis 2001, Walid Joumblatt et l’Eglise maronite s’affairent à panser les blessures de cette sale guerre. Beaucoup reste à faire mais la première étape de la réconciliation est aujourd’hui achevée. En dépassionnant le dossier, l’action conjointe du leader druze et du patriarche a fini par porter ses fruits.

Joumblatt, l’évolution
«La réconciliation druzo-chrétienne s’est arrêtée au point où elle a commencé et, à ce jour, nous ne pouvons pas parler de réconciliation dans la Montagne. De nombreuses familles chrétiennes n’ont toujours pas regagné leurs villages, et des milliers d’entre elles sont incapables encore de visiter leurs maisons, leurs terrains et leurs propriétés». C’est ainsi qu’à l’été 2009, celui qui était encore l’évêque de Jbeil, Mgr Béchara Raï, décrivait la situation des déplacés. Huit ans séparent ces déclarations de la visite historique du patriarche Nasrallah Sfeir dans la Montagne. Depuis 2001 et pendant près d’une décennie, le processus de réconciliation s’est résumé à cette visite. Cette question était à peine évoquée dans les déclarations ministérielles des gouvernements successifs. Durant cette période, le dossier n’évoluait guère dans les arcanes du ministère des Déplacés qui a, pourtant, eu les moyens de son action. Près de deux milliards de dollars lui auront été alloués.
En réalité, ce sont les affrontements de la Montagne en mai 2008 qui ont fini par réactiver le dossier. S’ils ont été le prélude aux accords de Doha, qui ont sanctuarisé l’émergence d’un bloc-tampon politique, réuni sous l’égide d’un mouvement, dit centriste, autour duquel gravitent aujourd’hui le président Michel Sleiman et le Premier ministre Najib Mikati, ces combats ont surtout contraint Walid Joumblatt à changer son fusil d’épaule. La protection de la communauté, dont il a la charge, est désormais sa priorité. Il fait donc le choix stratégique de s’émanciper des deux camps qui s’affrontent, de bâtir un bouclier protecteur autour de sa région et d’en pacifier l’intérieur. Ceci passe nécessairement par une réconciliation avec les chrétiens de la région.
Depuis son grand «retournement» du 2 août 2009, le chef du PSP et du bloc parlementaire de la Rencontre démocratique, Walid Joumblatt, s’implique chaque fois davantage dans ce qu’il appelle le processus de dialogue et de détente interne. Restait à associer les forces chrétiennes
concernées par cette quête.

Travail de fourmi
Sous l’égide du patriarche Raï et du CPL, le dossier des déplacés, qui porte en lui les craintes d’une communauté chrétienne plus que jamais inquiète pour sa présence au Moyen-Orient, est devenu un véritable sujet de travail.
Le 10 décembre dernier, le chef du bloc parlementaire de la Réforme et du Changement, Michel Aoun, a reçu à Rabié, une délégation des habitants du village de Brih, en présence notamment de l’ancien ministre Mario Aoun. A ses interlocuteurs, le leader du CPL a indiqué que les habitants pourront bientôt fêter leur retour sur les terres de leur village, d’autant que «les conditions du retour ont été fixées avec Walid Joumblatt».
C’est avec Michel Aoun que le leader du PSP a rouvert le dossier plein de cartes cadastrales, de listes de familles et de demandes d’aides financières. Pour les déplacés, la date du 11 janvier 2010 est à marquer d’une pierre blanche. Ce lundi-là, Walid Joumblatt, accompagné de la plupart de ses ministres et de ses députés, s’est rendu à Rabié où le maître des lieux s’est lui aussi entouré de ses cadres. Depuis plusieurs jours, une commission mixte, formée de représentants des deux partis, étudie le dossier des déplacés. Pendant trois ans, un travail magistral aura été fourni. La commission s’est partagé la tâche entre le retour des déplacés et sa consolidation. D’emblée, il a été convenu d’aborder le dossier des réconciliations au cas par cas, famille par famille, parcelle par parcelle.
Avec le démantèlement de la maison druze de Brih, c’est le dernier nœud du dossier qui s’envole. Il achève une réconciliation que le leader du CPL, en août dernier, au cours de sa tournée dans le Chouf, a évoquée en ces termes. «Ce que vous avez perdu de plus précieux après votre déplacement ne se limite pas aux propriétés et aux biens mais c’est plutôt l’unité, la vie décente, les bons souvenirs et les traditions qui ne peuvent pas être oubliés, et que vous avez vécus avec vos voisins pendant de nombreuses années. Chacun de nous a connu les catastrophes et les horreurs de la guerre et nous avons tous souffert de la mort de nos proches, la désertion des maisons, la cruauté des jours et les pertes inestimables. Après trois décennies, je suis convaincu que la souffrance n’a pas réussi à affaiblir votre détermination à tourner la page et à vous réunir de nouveau».

Consolider le retour
Avec le démantèlement de la maison druze de Brih, c’est une blessure qui se referme. Les chrétiens de la région ont recouvré leur droit au retour chez eux. Un droit élémentaire pour un progrès symbolique. Pour refermer ce volet du dossier, Walid Joumblatt s’est rendu vendredi dernier à Bkerké pour s’entretenir avec le cardinal Raï. «Lorsque le patriarche nous a rendu visite au Chouf en septembre dernier, nous lui avons promis de panser la dernière blessure laissée par les incidents douloureux de la Montagne. C’est ce que nous avons entrepris à Brih. Désormais, nous tournons la page de la guerre de la Montagne et de ses afflictions».
Une page est tournée, un nouveau chapitre s’ouvre. Pour parachever le succès symbolique et communautaire, les acteurs doivent désormais assurer l’accompagnement des déplacés. A ce jour, seuls 10% d’entre eux sont revenus chez eux. Pour dynamiser le retour des suivants, c’est l’Etat qui doit entrer en scène. Le retour de cette population exige de nouvelles infrastructures dans la région. L’idéal, pour ces gens qui ont refait leur vie à Baabda, dans le Metn ou à Beyrouth, est de reconstruire des églises, des écoles, des universités et des hôpitaux dans la Montagne, de nature à permettre aux habitants de vivre chez eux tout au long de l’année. Un autre chantier en perspective.

Julien Abi-Ramia

 

Célébration nationale
A cette réconciliation, Walid Joumblatt a associé, outre le cardinal Raï, le chef de l’Etat Michel Sleiman. Il a publiquement souhaité que «la réconciliation officielle s’effectue prochainement, sous le parrainage du patriarche Raï et du président de la République». Une idée que le leader druze a exposée lundi, à Baabda, au cours d’une rencontre avec le chef de l’Etat et le Premier ministre Mikati. Sleiman a salué dimanche l’événement de Brih, déclarant que «la réconciliation renforce l’unité nationale et la coexistence entre les Libanais».
 Selon des sources concordantes à Baabda, l’idée d’une cérémonie officielle fait sérieusement son chemin.

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