Magazine Le Mensuel

Nº 2887 du vendredi 8 mars 2013

POLITIQUE

Saïda. Le spectre de la fitna

Les gesticulations médiatiques du barbu de Saïda, alias cheikh el-Assir, se poursuivent, malgré les appels au calme, inquiétant la population du chef-lieu du Sud, qui a pourtant toujours vécu dans la coexistence. Avec dans l’ombre, le spectre de la fitna.

Jusqu’où ira-t-il? C’est la question que l’on peut se poser, depuis ces derniers jours, alors que le cheikh salafiste Ahmad el-Assir tente de s’imposer sur la scène médiatique à coups de déclarations fracassantes. Déjà connu pour sa verve anti-Hezbollah, voilà que le prédicateur islamiste se pose désormais comme le nouveau héraut d’une communauté sunnite en mal de leaders. Assir s’octroie ainsi le rôle de défendre l’honneur des sunnites, affirmant qu’il ne permettra «à personne de bafouer notre dignité». Alors qu’il avait déjà lancé un ultimatum à l’Etat libanais, et plus particulièrement à la justice, dans le dossier des détenus islamistes de la prison de Roumié, cheikh Assir entend multiplier les rassemblements, pacifiques pour le moment, à Saïda, comme à Beyrouth (voir encadré). En ligne de mire, quelques familles chiites, soupçonnées par le cheikh d’appartenir au Hezbollah, qui ont l’outrecuidance de résider dans des appartements situés dans le quartier d’Abra, où se trouve malencontreusement la mosquée fief d’Assir. «Le Hezbollah a loué des appartements à Abra, à proximité de la mosquée, et a mobilisé des miliciens armés pour suivre mes faits et gestes», a-t-il ainsi dénoncé. Ce à quoi le Hezbollah et des personnalités sunnites de Saïda rétorquent que ces familles résident parfois depuis plus de 25 ans dans cette région.

Plutôt mort qu’humilié
Depuis la semaine dernière, le cheikh harangue ses partisans, qui, de leur côté, scandent que «la mort est préférable à l’humiliation». Un discours soutenu par le fils du fondateur du mouvement salafiste au Liban, Daï el-islam el-Chahhal, qui avait menacé d’émettre des fatwas «contre ceux qui humilient les sunnites».
Mais si jusqu’à présent l’armée et l’Etat avaient laissé faire, ce n’est plus le cas. Visiblement, le gouvernement et l’armée ont pris le parti d’isoler les manifestations d’Assir à Saïda, afin d’éviter tout débordement qui pourrait s’avérer dramatique, comme lors de l’épisode de Taamir.
Le 1er mars, un jour de prière, Assir et ses partisans ont donc été contraints de manifester dans la cour de la mosquée Bilal Ben Rabah, encerclés par l’armée, qui avait déployé un important cordon sécuritaire dans Saïda, dès le matin. Les autorités avaient fermement décidé d’interdire toute manifestation armée et toute tentative de s’approcher ou d’entrer par effraction dans les appartements incriminés par Assir. Un déploiement qui a suscité les craintes des partisans du prédicateur salafiste. Le porte-parole d’Assir, Mohammad Kawwam déclarait ainsi: «De deux choses l’une: soit ils voudraient interdire la manifestation, soit ils veulent orchestrer une opération qui ressemble à l’attaque du 7 mai (2008)».
On s’en doute, avec la résurgence des manifestations organisées par cheikh Ahmad el-Assir, à un rythme désormais quotidien, la tension est à son comble à Saïda. Faisant craindre, en arrière-plan, qu’une étincelle de trop aboutisse à la fitna, tant redoutée.
Pour autant, la plupart des parties politiques présentes dans la capitale du Sud, appellent à l’apaisement. C’est ainsi que la commémoration du 38e anniversaire de la mort de Maarouf Saad, organisée par son fils Oussama, chef de l’Organisation populaire nassérienne, a attiré une foule très nombreuse dans les rues de Saïda dimanche. Comme pour éloigner le spectre d’une discorde entre sunnites et chiites, qui hante de plus en plus les esprits.
Ismat el-Kawwas, un proche d’Oussama Saad, a souligné à Magazine que la commémoration a «attiré une foule beaucoup plus nombreuse que l’année dernière», avec parmi eux des représentants de tous les bords, chrétiens, sunnites ou chiites. «Les gens de Saïda ne soutiennent pas Assir, bien au contraire, d’autant que toutes les religions coexistent dans la ville, et cela depuis des années», poursuit-il. «Si nous arrivions à un conflit déclenché par Assir, ce serait un désastre à tous les niveaux», s’inquiète-t-il.

Du côté du Courant du futur, dont Saïda est aussi un fief important, les condamnations ne sont pas dirigées concrètement contre cheikh Assir, mais plutôt contre Hassan Nasrallah. Dans un communiqué conjoint publié le 28 février, Bahia Hariri et Fouad Siniora ont ainsi choisi de dénoncer «le discours de Hassan Nasrallah (qui) contient des menaces voilées». Le leader du Hezbollah avait déclaré dans son apparition télévisée du 21 février, en allusion aux accusations d’Assir, «Nous sommes pour la retenue, mais ne faites pas de mauvais calculs». Signalant au passage que son parti ne répondrait pas aux insultes et n’y aurait même pas recours. Pour les députés du Courant du futur, «ce genre de propos (…) reflète une véritable arrogance et constitue une provocation». Dans leur communiqué, Bahia Hariri et Fouad Siniora ont également mis en garde contre un plan visant à «mener des attaques armées contre la ville de Saïda sous des prétextes fallacieux» et noté que les habitants de la ville «refusent la présence d’hommes illégalement armés», appelant les autorités à sévir et à «arrêter immédiatement les criminels qui ont assassiné des innocents».

Couverture du Moustaqbal?
Le communiqué ne comporte en revanche aucune condamnation nominative des appels incendiaires de cheikh Assir. Contactée par Magazine à ce sujet, Bahia Hariri a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer au sujet des problèmes de Saïda.
Cette omission fait réagir du côté des partisans d’Oussama Saad. Pour Ismat el-Kawwas, «le communiqué de Hariri et Siniora ne parle pas du problème el-Assir, et lui procure même une couverture politique». Même si en apparence, le Courant du futur veut se démarquer du cheikh salafiste. Le député Mohammad Kabbani a ainsi déclaré «le refus par Moustaqbal du phénomène Assir», rejetant également «le recours à la rue et aux armes pour imposer une opinion par la force».
Toutefois, tout danger n’est pas écarté pour Kawwas. «Assir et ses alliés ont le projet d’importer la crise syrienne au Liban», souligne-t-il, «et il n’est pas seul». «Hariri et Siniora ne travaillent pas de la même manière mais dans le fond, au point de vue politique, ils sont dans le même camp qu’Assir», accuse-t-il. «Leur projet, c’est le conflit avec le Hezbollah, appuyés par leurs relations avec l’Arabie saoudite, le Qatar et leurs alliés américains».
Concernant la position du gouvernement sur le phénomène du cheikh Assir, ce proche d’Oussama Saad estime «que la solution d’envoyer l’armée vient bien en retard». «L’été dernier, lors du sit-in des partisans d’Assir à Saïda qui bloquait les accès au Sud, le gouvernement n’a rien fait pour rouvrir la route», regrette-t-il. Kawwas avance qu’«au sein du pouvoir au Liban, il y a des gens qui sont pour ce mouvement d’Assir, même dans les forces de sécurité et dans le gouvernement, lui assurant ainsi une couverture politique, afin d’en faire un contrepoids contre le Hezbollah». Quant au parti de Dieu, pour l’heure, il ne répond pas aux provocations, jouant la carte de l’apaisement. Ismat el-Kawwas estime toutefois que la situation reste dangereuse à Saïda, et qu’il y aura sans doute des «incidents ou d’autres problèmes politiques de l’ordre de ce qui s’est passé à Taamir». «Nous travaillons pour ne pas tomber dans ce piège, mais l’autre clan continue à faire des provocations».
La situation à Saïda inquiète, tant au niveau de ses habitants, que plus largement au niveau national. Lundi, le mufti de la République, cheikh Mohammad Rachid Kabbani, s’est entretenu avec le vice-président du Conseil supérieur chiite, cheikh Abdel-Amir Kabalan, dans l’objectif de définir des moyens «d’éviter que le pays ne glisse vers les dissensions confessionnelles et les confrontations». Walid Joumblatt a également appelé lors de son édito dans al-Anbaa, à «préserver Saïda et l’empêcher de glisser dans la discorde», via la «réinstauration de l’autorité de l’Etat». Sera-t-il entendu?

Jenny Saleh

Manif contre manif
Alors que cheikh Ahmad el-Assir avait décidé de transposer sa manifestation quotidienne de Saïda, à Beyrouth, dans le quartier de Tariq Jdidé, mardi après-midi, des partisans du Courant patriotique libre et des Marada ont décidé, en réponse, de bloquer le passage ouest de l’autoroute de Batroun, entre Tripoli et Beyrouth. Assir avait d’abord appelé ses partisans à se rassembler au niveau du rond-point Elya, devant le centre commercial Le Mall à Saïda, sans bloquer la route. Les forces de sécurité ont finalement rouvert le passage de Batroun dans la soirée.

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