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Nº 2889 du vendredi 22 mars 2013

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Agression sectaire, discours enflammé, tensions aux frontières. Une étincelle peut déclencher la fitna

La fitna sunno-chiite revient sur le devant de la scène libanaise. L’agression contre des cheikhs sunnites le week-end dernier a montré l’impuissance des figures politiques sunnites traditionnelles et la montée au créneau des islamistes avec, en perspective, une guerre que beaucoup craignent imminente.

Tout va mal au Liban. Le Pays du Cèdre sombre inexorablement dans le marécage du conflit confessionnel. Trente-sept ans après le déclenchement de la guerre civile, le Liban reprend le même chemin familier, pavé de haine fratricide et de conflits, dans une sorte de guerre larvée, à petit feu, faite d’incendies rapidement éteints, d’incidents itinérants se propageant ponctuellement d’une région à l’autre, ainsi que d’assassinats politiques. «C’est la première fois que je suis vraiment inquiet», affirme Hazem el-Amine, journaliste et expert en mouvances radicales.
Le Liban est d’autant plus fragilisé par la lente détérioration de la situation sécuritaire avec, en toile de fond, le clivage grandissant opposant sunnites et chiites. Dimanche dernier, les cheikhs sunnites de Dar el-Fatwa Mazen Hariri et Ahmad Fakhran, officiant à la mosquée Mohammad el-Amine au centre-ville de Beyrouth, ont été attaqués par des individus de confession chiite. L’incident a évidemment pris rapidement une tournure communautaire.  Les deux cheikhs ont été agressés au niveau de Khandak el-Ghamik et de Basta el-Tahta. En parallèle, deux autres cheikhs, Ibrahim Abdellatif et Omar Imani, qui se rendaient à Majdel Anjar, ont été agressés au niveau de Chiyah. Lors de ces altercations, la barbe de l’un des cheikhs a été rasée de force. «Ce geste est hautement symbolique, notamment dans des régions à forte mixité sunno-chiite considérées comme zones de démarcation», commente Amine.
Depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, attribué à la Syrie puis au Hezbollah chiite, et le début de la révolution en Syrie contre le régime Assad, les tensions ne font que monter au Liban entre sunnites soutenant les rebelles et chiites alliés indéfectibles du président Bachar el-Assad.

Prééminence des islamistes
L’agression contre les cheikhs a été suivie par des mouvements de foules, des jeunes de la communauté sunnite ayant coupé de nombreux axes routiers, au niveau de Mazraa, Verdun, Tarik Jdidé et Kaskas, ainsi que les artères menant à la Cité sportive.
Autre symptôme de cette poussée communautaire, la prééminence  donnée aux figures religieuses islamistes aux premières heures de l’attaque. C’est en effet le cheikh salafiste Ahmad el-Assir qui a accouru au chevet des cheikhs à l’hôpital Makassed. Il a demandé aux jeunes de rouvrir les routes bloquées et de «laisser l’Etat faire son travail». D’autres figures religieuses de Dar el-Fatwa, comme cheikh Hicham Khalifé, ont appelé les pouvoirs politiques à assumer leurs responsabilités. Le soir même, seul le député de Beyrouth, Nohad Machnouk, s’était rendu au chevet des deux cheikhs.
Lundi, c’est également le Comité des ulémas musulmans qui a organisé dans le quartier sunnite de Tarik-Jdidé un sit-in pour dénoncer l’agression contre les cheikhs. Cheikh Daï al-Islam al-Chahhal, fondateur du courant salafiste au Liban, s’est insurgé contre «les mesures de sécurité injustes renforcées uniquement dans nos régions, alors que beaucoup de criminels restent libres dans d’autres». Le dignitaire sunnite a accusé les institutions sécuritaires d’être manipulées par certains camps. Il a promis qu’il combattrait ceux qui s’attaquent aux innocents».
«Les islamistes tentent de reprendre les rênes de la rue sunnite, en l’absence d’un leadership fort. Ce vide au niveau de la communauté permet aux groupes salafistes de prendre les devants lors des manifestations, mais cette mouvance très active reste malgré tout marginale», commente le professeur Hilal Khashan de l’Université américaine de Beyrouth.
Ces tensions communautaires ont trouvé un écho dans la ligne de démarcation séparant Bab el-Tebbané (à majorité sunnite) de Jabal Mohsen (à majorité alaouite). Le week-end a également été marqué par des échanges de tirs entre les deux secteurs, suite à l’attaque ayant visé deux jeunes de Bab el-Tebbané qui passaient par Jabal Mohsen où ils ont été poignardés. Trois personnes ont été également blessées dans le quartier de Bab el-Tebbané par des tirs de francs-tireurs.

Le facteur syrien
Cette simultanéité des incidents sectaires n’est pas une coïncidence, estiment les experts. «Ces clashs ont lieu au moment où on observe un changement au niveau de la balance des forces en faveur de la rébellion en Syrie. Le régime Assad a intérêt à raviver les tensions communautaires au Liban dans l’espoir de déclencher une guerre civile», estime Amine.
Une opinion que partage également Khashan. «Il n’est certainement pas dans l’intérêt d’Amal et du Hezbollah de soutenir ce type de comportement dans le contexte actuel. Le parti de Dieu qui défend le régime syrien ne veut toutefois pas importer la guerre au Liban. Une telle guerre impliquerait une union des fronts syro-libanais et une entrée en scène de la rébellion au Liban, ce que le Hezbollah ne peut accepter, car il ne peut pas gagner», explique Khashan.  
Qu’elle soit ou non impliquée dans ces derniers événements, la Syrie ne reste pas pour autant les bras croisés. Au Liban-Nord, les villages frontaliers de Hekerjanin et de Kachlak, dans le Akkar, ont été la cible d’obus, alors que Wadi al-Khail, près de Ersal, a été bombardé par l’aviation syrienne. Ce que Damas a démenti. Cette situation met en tout cas en exergue la dangereuse escalade dans la relation libano-syrienne.
«Toutes ces altercations ne peuvent déclencher à elles seules une guerre, en l’absence d’une décision régionale. La Syrie semble la désirer, mais  à elle seule et dans sa position de faiblesse actuelle, elle ne peut pas la mener à bien, tout dépend d’autres acteurs mais le danger est de plus en plus présent», conclut Hazem el-Amine.

Mona Alami
 

Réactions
Le mufti de la République, cheikh Mohammad Rachid Kabbani, a condamné l’agression contre les cheikhs sunnites, tout en appelant au calme. Il a exhorté les Beyrouthins à «tout faire pour éviter la guerre civile» et à attendre les résultats de l’enquête. Le Hezbollah et Amal ont, quant à eux, publié un communiqué conjoint condamnant les incidents en assurant que les coupables, «quelle que soit leur appartenance, doivent être sanctionnés». Des sources proches des deux factions assuraient que les voyous impliqués dans l’agression n’avaient rien à voir avec leurs formations. L’armée a publié un communiqué annonçant l’arrestation des trois agresseurs de Khandak el-Ghamik: Hassan Hammoud, Hassan Kaakour et Hassan Baalbacki.

Bombardements syriens
Des avions et des hélicoptères syriens ont tiré des roquettes sur le nord du Liban, touchant Wadi Khail, près de la ville frontalière de Ersal. La porte-parole du département d’Etat, Victoria Nuland, a rappelé au régime de Damas qu’une résolution des Nations unies prévoit un strict respect de la souveraineté et du territoire du Liban. Le bombardement de l’aviation syrienne intervient au lendemain d’une nouvelle sévère mise en garde de Damas. «Le Liban et la Jordanie jouent avec le feu en laissant passer en Syrie des jihadistes et des armes», indiquait dimanche le quotidien gouvernemental syrien as-Saoura. «Le feu du terrorisme ne consumera pas seulement la Syrie mais pourrait se propager au Liban et à la Jordanie, surtout si ces deux pays interviennent dans la situation en Syrie, en ignorant le passage d’hommes armés et d’armes à partir de leurs territoires ou en participant directement au complot contre la Syrie», a assuré le journal.
Au cours d’un sit-in observé à Saïda, cheikh Assir, imam de la mosquée Bilal Ben Rabah, a réitéré son appel aux pays arabes de «fournir de l’artillerie lourde aux révolutionnaires syriens et de leur envoyer des renforts». Le cheikh Assir s’est demandé si les politiciens libanais avaient entendu les menaces “assadiennes” contre le Liban et s’ils comptaient y riposter. Il s’est également interrogé sur «les raisons qui empêchent le Conseil supérieur de défense à ne pas défendre les habitants à Arida, Qaa, Ersal et les différentes régions frontalières».

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