Il fut un temps, hélas court, où sur les 10452 km2, le plus petit territoire national de la région était un modèle de démocratie et un abri pour les exilés et les opprimés des pays arabes et un lieu où les vacanciers venaient respirer un air de liberté. Liberté d’expression, des écrits, des convictions et de la foi. Mais, objet de toutes les convoitises de ses voisins ployés sous les dictatures, le Liban fragilisé par ses divisions pouvait-il résister longtemps à la turbulence de ses voisins jaloux et effrayés de l’exemple qu’offrait à leurs peuples l’image de ce «frère» qui ne connaît pas l’oppression? La réalité est, aujourd’hui, tout autre et la contagion a franchi les frontières libanaises, telle une épidémie virale galopante. Affaibli par la corruption ambiante polluée, par l’incompétence ou même l’incurie de ses responsables, le Liban a perdu son immunité. Jadis refuge favori et destination privilégiée des touristes, le pays riche de son Histoire et de sa civilisation millénaire, est quasiment effacé de la carte planétaire. Son nom y est, très souvent, noyé dans les eaux de la Méditerranée. Pour le repérer, il faut rechercher un point quasi invisible entre la Syrie et Israël. Libérés pour la énième fois d’une occupation étrangère, nous n’avons pas su gérer notre indépendance qui, peut-être, à soixante ans, a perdu sa vigueur. Notre jeunesse a, progressivement, abandonné son identité profonde non sans souffrance. L’hommage rendu à Edouard Honein, un vétéran du combat pour la démocratie et la vérité a, sans doute par-delà la nostalgie, ramené l’espoir dont les Libanais tirent leur force, envers et contre tous et tout. Nous ne pouvons pas vivre sans cesse dans le passé glorieux que seule l’ancienne génération a connu.
Nous avons occulté le sens de la démocratie dans laquelle nous avions baigné. Abraham Lincoln disait «un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil». Mais est-il plus efficace que les armes sophistiquées et lourdes de menaces de 2013? Rien n’est moins sûr. Preuve en est, l’enterrement à la va-vite, justifié par l’insécurité, de l’échéance constitutionnelle. Après des mois perdus à discuter du sexe des anges, ceux que nous avions élus, il y a quatre ans, ont choisi sans ciller de renouveler, en quelques minutes, de leur seul et propre gré, le mandat que nous leur avions accordé, visiblement à tort, nous privant de notre droit le plus sacré. Après des décennies stériles, les députés ne se sont départis de leur inertie que pour s’entendre à maintenir leurs sièges et leurs privilèges quelques mois de plus, alors que les fonctionnaires et les salariés attendent de connaître leur sort, et celui de leurs familles qui dépend de leur bonne volonté. Malgré la proposition de cheikh Sami Gemayel à ses collègues de renoncer, jusqu’aux prochaines législatives, à leurs émoluments, ceux-ci continueront à en bénéficier aux frais du contribuable. Un sursaut de dignité retrouvée leur fera-t-il saisir la perche qui leur est tendue après avoir suivi le corbillard qui emporte la démocratie dont la mort fait tant mal?
Mouna Béchara