Magazine Le Mensuel

Nº 2908 du vendredi 2 août 2013

ACTUALITIÉS

Négociations de paix. Un sursaut sans lendemain?

Ce mardi, Israéliens et Palestiniens ont repris à Washington des négociations de paix restées au point mort depuis près de trois ans. Architecte de leur reprise, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, sait que les points d’achoppement restent insurmontables.

C’est par un dîner marquant la rupture du jeûne de Ramadan, l’iftar, qu’ont commencé les discussions préparatoires à une reprise des négociations de paix. Autour de la table neuf convives dont la ministre de la Justice israélienne, Tzipi Livni et l’envoyé spécial du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, Yitzhak Molcho, qui côtoyaient le négociateur palestinien, Saëb Erekat et le proche conseiller du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, Mohammad Shtayyeh, puis côté américain, John Kerry et le nouvel émissaire spécial qui supervisera la reprise du processus de paix, Martin Indyk. Si tout se passe selon le scénario élaboré par le secrétaire d’Etat américain, les discussions devraient durer neuf mois. Elles seront menées par Livni et Erekat. John Kerry et ses collaborateurs directs superviseront les discussions. Sur le papier, les positions de départ paraissent irréconciliables. Israéliens et Palestiniens ne sont d’accord sur rien. Mais les bouleversements de la région offrent à Benyamin Netanyahu et Mahmoud Abbas la possibilité de peut-être converger sur un intérêt commun: profiter de l’excès de la faiblesse et de l’isolement du Hamas qui contrôle la bande de Gaza, et qui a surtout subi l’onde de choc du coup d’Etat en Egypte contre le pouvoir des Frères musulmans.

Concessions de circonstance
L’activisme de l’ex-sénateur Kerry, crédité de six allers-retours au Moyen-Orient en quatre mois, a assurément joué en sa faveur. Après avoir amadoué Mahmoud Abbas et «Bibi» Netanyahu, il a réussi à décrocher le soutien des pays arabes. Avec l’Egypte, la Libye, la Syrie, l’Iran et l’Irak temporairement hors jeu, le secrétaire d’Etat s’est assuré le concours de la Ligue arabe, à commencer par les alliés saoudiens et jordaniens de l’Amérique, à qui il a vendu le principe d’échange de territoires.
Pour ne pas porter la responsabilité d’un éventuel échec des efforts du secrétaire d’Etat américain, Benyamin Netanyahu, qui redoutait un isolement diplomatique total d’Israël, et Mahmoud Abbas, qui ne peut se passer de l’aide financière américaine, ont tous deux lâché du lest. Le Premier ministre israélien a accepté de libérer 104 prisonniers palestiniens impliqués dans des attentats sanglants et détenus depuis plus de vingt ans (voir encadré). Mais a-t-il accepté de remettre en cause son credo idéologique en adoptant l’idée de deux Etats pour deux peuples, autrement dit en renonçant au «Grand Israël» de la Méditerranée au Jourdain?
Le président palestinien a, pour sa part, renoncé à exiger que les négociations soient fondées sur les lignes de 1967, autrement dit à réclamer d’entrée de jeu un engagement sur un retrait israélien de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza, occupés depuis la guerre des Six Jours. Mahmoud Abbas n’a pas non plus obtenu un gel total de la construction dans les colonies israéliennes. Le dirigeant palestinien s’est enfin engagé à ne pas s’adresser à l’Onu pendant les négociations pour obtenir par exemple une reconnaissance pleine et entière d’un Etat palestinien lors de son Assemblée générale en septembre prochain, ou de porter plainte contre des militaires israéliens pour «crimes de guerre» auprès du Tribunal pénal international de La Haye. Bref, chacun a mis du sien, même si Mahmoud Abbas a sans doute cédé davantage.

Menu copieux
Il est prévu que des équipes de négociateurs se réuniront régulièrement aux Etats-Unis. Tous les sujets seront sur la table. Parmi les dossiers les plus sensibles figurent le tracé des frontières d’un futur Etat palestinien, les arrangements de sécurité exigés par Israël, le statut de Jérusalem-Est, annexé par l’Etat hébreu mais dont les Palestiniens veulent faire leur capitale, le sort des réfugiés palestiniens de 1948 dispersés dans la région, l’avenir des colonies où vivent plus de 350 000 Israéliens en Cisjordanie. Lors de ces pourparlers, les deux parties devraient aussi évoquer la possibilité d’un échange de territoires. Israël entend annexer les grands blocs d’implantation de Cisjordanie, où vivent la majorité des colons; en contrepartie, les Palestiniens pourraient obtenir des territoires équivalents en superficie situés en Israël.
Malgré l’impasse totale de ces dernières années, Mahmoud Abbas n’a pas cédé à la tentation de déclencher une troisième intifada. Les opinions publiques des deux côtés paraissent prêtes à donner une chance aux négociations. Selon un récent sondage, 55% des Israéliens affirment qu’ils soutiendront un accord de paix. Les Palestiniens sont partagés pratiquement à égalité entre ceux qui croient à un arrangement avec Israël et ceux qui pensent qu’il est impossible.
Le président américain Barack Obama avait salué un moment «prometteur», tout en avertissant les deux camps qu’ils devront faire des «choix difficiles». Les dernières négociations de paix directes israélo-palestiniennes avaient capoté en septembre 2010, au bout de trois semaines, en raison de la poursuite de la colonisation israélienne à Jérusalem-Est et en Cisjordanie.

L’espoir est mince
Un optimisme très prudent est donc de mise, comme le souligne Tzipi Livni: «Il est désormais possible d’éprouver un peu d’espoir». Doux euphémisme. Les pistes de discussion sont donc fragiles et personne ne semble exagérément optimiste quant à une issue favorable. Et si les négociateurs parvenaient, dans les mois qui viennent, à un accord, ce dernier serait soumis à un référendum en Israël. Ainsi en a décidé, dimanche soir, le cabinet de Netanyahu, qui a jugé «important que, pour de telles décisions historiques, chaque citoyen vote directement».
Qu’attend Kerry de la reprise des négociations, à qui Barack Obama a donné carte blanche, presque vingt ans après la signature des accords d’Oslo, et trois ans après que les derniers pourparlers eurent échoué? Le secrétaire d’Etat estime qu’il faut agir avant qu’il ne soit plus possible de faire quoi que ce soit. «Je crois que la fenêtre pour la création de deux Etats se referme. Je crois que nous avons un peu de temps, un an et demi ou deux, et ensuite c’est terminé», expliquait-il en avril devant la Commission pour les affaires étrangères de la Chambre des représentants.
Aux Etats-Unis, des suiveurs les plus éminents de la politique étrangère des Etats-Unis s’interrogent. Si Kerry vient bel et bien de jouer un rôle essentiel pour relancer les négociations de paix, l’Administration américaine devra bientôt décider si «ces négociations méritent un tel investissement de temps», comparées à d’autres sujets brûlants comme la guerre civile en Syrie ou la transition démocratique en Egypte. 

Julien Abi Ramia
 

104 prisonniers libérés
Le Conseil des ministres israéliens a adopté un texte prévoyant la libération de 104 prisonniers palestiniens détenus en Israël, par 13 votes pour et 7 votes contre et 2 absentions.
«Le gouvernement a approuvé l’ouverture de négociations diplomatiques entre Israël et les Palestiniens et la formation d’un comité ministériel en charge de la libération de prisonniers palestiniens dans le cadre des négociations», a indiqué un communiqué du bureau du Premier ministre israélien, 
Benyamin Netanyahu, précisant que ce 
dernier présiderait le comité.
Les services de Benyamin Netanyahu n’ont pas précisé le nombre ni l’identité des 
prisonniers qui seraient libérés, mais la liste inclurait des «meurtriers de femmes et 
d’enfants israéliens», ainsi que des détenus ayant tué des Palestiniens soupçonnés d’avoir collaboré avec Israël, selon les médias. Selon Almagor, une association représentant des victimes israéliennes des attentats palestiniens, la liste comprendrait aussi des détenus de droit commun.

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